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De la Formule 1 au DR400, l’expertise d’un artisan.

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Gil Roy

Fort de son expérience de la compétition automobile au plus haut niveau, l’Atelier Chabord a développé une gamme de solutions pour réduire les nuisances sonores tout en augmentant le rendement des moteurs. Les aviateurs sont plus sourds aux arguments du fabricant haut-savoyard que les pilotes de F1.


 » On voulait entrer par la fenêtre, la DGAC nous a expliqué qu’il fallait passer la porte « . Une manière imagée pour raconter son premier contact avec le monde de l’aviation. Alain Chabord, débarquait de l’univers de la Formule 1 dans lequel une seule notion compte : la performance. La découverte de la réalité aéronautique, tout autre, a été brutale. C’était en 1992.

Quelques années plus tôt, Marianne Maire était venue trouver Maurice Chabord, le père d’Alain, pour lui demander de monter un échappement sur son TR200. La réputation du discret chaudronnier-soudeur haut-savoyard était parvenue jusque sur le terrain d’Annecy où s’entraînait la voltigeuse. Il s’était fait un nom dans le sport automobile. Il accepterait peut-être de s’intéresser à son cas.  » Elle était uniquement motivée par la performance. On ne parlait pas encore de bruit « , se souvient Alain. On était en 1987.

A l’école de la Formule 1

A cette époque, Maurice Chabord évolue dans le monde de la Formule 1. Renault F1 lui a confié l’échappement de son moteur V6 Turbo. Une fonction essentielle sur ce type de moteur. L’échappement canalise les gaz d’échappement jusqu’à l’entrée du turbo. Le problème que rencontrait alors l’écurie Renault résidait dans le manque de fiabilité des échappements. Au fil des développements successifs du moteur, les températures étaient toujours plus élevées et l’acier inoxydable ne tenait plus le choc.

Précédé par la réputation qu’il a acquise dans la compétition automobile, Maurice Chabord est appelé à la rescousse par le constructeur français. Il a déjà expérimenté un nouveau matériau, l’inconel 625, lequel à la propriété de conserver ses caractéristiques aux températures les plus élevées. Cet alliage de nickel, de chrome et surtout de matériaux spéciaux tels que le tungstène, le titane ou encore le molybdène est en effet utilisé dans les tuyères des fusées spatiales. Chabord le fait venir des USA. Le tour est joué. Maurice Chabord fournira les échappements des Renault F1 jusqu’en 1990 date à laquelle les moteurs turbo, trop puissants, sont interdits en course. C’est le grand retour en force des moteurs atmosphériques : les V8, V10 et même V12.

Maurice Chabord qui a pris goùt à la Formule 1, fait le tour des écuries pour leur proposer de s’occuper de leurs échappements.  » Les échappements n’étaient pas encore considérés comme déterminants par les constructeurs. Mon père leur a proposé de réduire de moitié le poids de cette pièce en remplaçant l’inox par d’inconel « , se souvient Alain.  » Grâce aux propriétés étonnantes de cet alliage, il était possible de réduire de moitié les épaisseurs et donc de diviser par deux le poids tout en augmentant la fiabilité « .

L’argument fait mouche. En Formule 1, chaque gramme pèse plus lourd qu’ailleurs. C’est ainsi, par exemple, que les échappements sont tenus uniquement au niveau des sorties de culasses. Les techniciens font l’économie des pattes de fixation, mais en contre partie, pour résister d’une part aux températures de 950 °C atteintes au niveau de la pointe, là où se rejoignent les tuyaux, d’autre part aux fortes vibrations de moteurs tournant à plus de 20.000 tours/ mn, il faut effectivement augmenter les épaisseurs ou recourir à des matériaux très résistants. Pourquoi ne pas essayer l’inconel 625 ?

Naissance d’un réseau de virtuoses

Le premier à tenter le pari est Franck Williams. Maurice Chabord relève le défi avec succès et s’ouvre les portes des plus prestigieuses écuries de l’époque : Beneton, Jordan, Ligier, Minardi, Sauber.  » On s’est alors retrouvé avec des problèmes de production. Il est très difficile de répondre, en même temps, à six équipes qui courent sur six voitures différentes « , se souvient Alain.  » En début de saison, il faut livrer le premier échappement pour maquettage. Les premiers essais de roulage ont lieu en janvier et la première course se déroule en mars. Pendant ce temps, ce sont des allers retours incessants avec l’équipe. Quand tout se passe bien, on trouve la fiabilité rapidement.
Mais il est arrivé que 15 jours avant le premier grand prix, rien ne fut encore figé. Le week-end du premier grand prix, chaque écurie exigeait de disposer de six échappements. D’une voiture à l’autre, les échappements sont totalement différents. Outre le nombre de cylindres, il y a la longueur des tubes primaires qui vont de la culasse au collecteur. Cette longueur est déterminée par le calcul, mais optimisée par des essais au banc « . Dans ces périodes de haute tension, le maître mot était : réactivité.

 » Grâce à la Formule 1, nous avons su mettre en place une organisation très réactive en nous appuyant sur du personnel motivé et des sous-traitants passionnés « . Au fil des saisons de Grand Prix, l’Atelier Chabord a tissé, dans un rayon d’une dizaine de kilomètres, un réseau d’ateliers qui possèdent tous un savoir-faire spécifique : usinage, découpe laser, traitement thermique, traitement de surface, banc d’essais. Il est d’une certaine manière le chef d’orchestre d’une formation composée de virtuoses qui font équipe depuis 25 ans et qui ont découvert, ensemble, l’aviation.

La première expérience de Chabord dans l’aéronautique ne diffère pas radicalement de ce qu’il vivait alors dans la compétition automobile. Le TR200 était un avion expérimental qui échappait à la DGAC.  » En trois semaines nous avons fait un échappement. Nous avons apporté de la puissance. Nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire dans l’aviation « . Le bouche-à-oreille fonctionne, d’autant qu’entre temps Mariane Maire est passé au TR260 équipé d’un moteur Lycoming 6 cylindres.  » Avec le 260 cv, le TR260 montait aussi haut que le Cap 230 équipé d’un 300 cv. Auguste Mudry, nous a alors appelé pour que nous réalisions un échappement six en un pour le Cap 230, puis toute la gamme des monoplaces « .

L’apprentissage de la DGAC

Côté aviation, on en reste là. Chabord préfère se diversifier en compétition automobile. Il est sur tous les fronts des 24 Heures du Mans au Paris-Dakar, en passant par le championnat du monde de rallye, la Formule 3000 et bien sùr toujours la Formule 1. Il fait des podiums tous les week-ends, sur tous les circuits du monde.

C’est l’aéro-club de Megève qui lui remet le pied à l’étrier. En 1992, le grand club de montagne décide d’équiper ses Mousquetaire jugés trop bruyants par certains riverains de son altiport.  » En trois semaines, nous concevons un équipement et nous le fabriquons. L’expérience de la course a joué à fond. Tout de suite nous avons trouvé les bons matériaux, la bonne épaisseur et la bonne architecture. C’est à ce moment que nous découvrons la relation avec l’administration. Il nous faudra deux ans pour certifier notre échappement « .
En fait, Alain Chabord et son père vont faire l’apprentissage administratif de l’aéronautique. Ils vont aller de surprise en surprise, en se rendant compte en particulier que pour chaque type d’avion, un dossier de certification est nécessaire. Eux qui croyaient naïvement qu’un même échappement pouvait couvrir une gamme entière, tombent de haut. Ils sont également confrontés à la nécessité de certifier leur atelier.  » Ce fut une révolution dans l’entreprise. Nous avons beaucoup appris dans l’organisation de la fabrication. Cela nous a beaucoup contraints au début, mais cela nous a aussi beaucoup apporté par la suite « . Depuis 2005, l’Atelier Chabord possède un agrément de conception et un agrément de production délivrés par l’EASA.

Alain Chabord est positif et pragmatique. Il apprend vite également. Il installe une nouvelle relation avec l’administration.  » L’idée était de se mettre d’accord au préalable sur un protocole d’essais. Pour cela nous avons réuni tous ceux qui sont concernés, c’est-à-dire la DGAC, le Centre d’essais en vol et notre pilote d’essais en l’occurrence Gérard Ducoin d’iAéro. Nous avons ratissé tous les points de la norme CS23 relative à l’échappement et nous nous sommes mis d’accord ensemble sur ce qu’il fallait démontrer « , résume-t-il.  » Nous aurions du commencer par là. Nous avons eu tendance à passer en force au lieu de prendre le temps de la réflexion. Nous étions chauds bouillants et nous subissions la pression des clients « .

Un lent retour sur investissement

A ce jour, environ 300 avions sont équipés d’échappement et de silencieux Chabord. Les deux tiers sont en CDN et un tiers en CNRA. La fabricant propose une dizaine de modèles et depuis 1998, il fournit le kit MCR de Dynaéro.  » Nous en produisons entre 40 et 50 par an pour Dynaéro. En quinze ans d’aéronautique, nous n’avons encore jamais eu de CN, sur aucun de nos modèles. C’est gratifiant. Notre produit est fiable et notre documentation de montage est explicite « . Pour l’heure, les silencieux ont un potentiel de 600 heures.

Apex devrait prochainement décrocher la certification de l’ensemble Chabord sur son Cap 10. Les difficultés économiques du constructeur ont freiné le dossier qui devrait être bouclé dans les mois à venir. L’Atelier est également impliqué dans le programme du remorqueur MCR à moteur Lycoming de 180 cv, développé sur un cahier des charges de la Fédération de vol à voile.
Alain Chabord regrette que les propriétaires d’avions et en particulier les aéro-clubs s’intéressent peu à ce problème. Il faut vraiment qu’ils soient acculés par les riverains pour passer à l’acte. Pourtant, les équipements que propose l’Atelier Chabord ne réduisent pas uniquement le bruit de manière sensible (de l’ordre de 4 à 10 dBA), ils optimisent également les performances (les distances de décollage sont réduites d’environ 50 m). Les avions équipés montent plus rapidement et consomment moins (de 10 à 12 % de moins).

Si le bruit est l’affaire du silencieux qui fonctionne sur le principe de la diffraction et sur celui de l’absorption, en revanche, les gains sont liés à l’échappement proprement dit. La première fois que Maurice et Alain Chabord ont mis le nez dans un moteur d’avion, ils ont été surpris par la rusticité de l’échappement.  » C’est un ramasseur de gaz « . Ils ont pris un réel plaisir à transposer leur savoir-faire automobile.  » L’échappement a pour fonction de créer une dépression dans la chambre de combustion pour aider les gaz frais à monter dans la chambre. Il a aussi une fonction de créer une contre-pression pour conserver les gaz frais dans la chambre de combustion. On améliore ainsi la détonation et le rendement du moteur. Le gain de puissance est de l’ordre de 5%. Avec ce crédit de puissance, on peut jouer sur le silencieux. On récupère d’abord de la puissance et on travaille ensuite sur le bruit. Le moteur travaillant mieux, il consomme moins « . L’approche est évidemment très différente de celle qui a motivé la mise au point des premiers silencieux aéronautiques. Montés avec des  » ramasseurs de gaz  » standards, ils étouffaient à la fois le bruit et le moteur. Il fallait ne pas avoir le choix pour en passer par là. Les matériels ont changé. Les mentalités ont encore du chemin à faire.

Il faut compter entre 3000 et 3500 euros hors taxe, soit entre 3600 et 4200 euros pour un ensemble échappement plus silencieux Chabord. A cela s’ajoute le coùt de la pose qui prend environ 8 heures. Des aides pouvant couvrir la moitié du budget total sont distribuées par la DIREN (Ministère de l’industrie et de la recherche) et par la DGAC. La FFA peut aussi apporter un soutien financier ainsi que certaines collectivités locales. Les demandeurs doivent savoir aussi que les démarches sont complexes, les dossiers fastidieux et les budgets pas toujours approvisionnés. Mais l’opiniâtreté paie en la matière.

Il faut également être conscient que plus le temps passera, plus la pression sur les propriétaires d’avions se fera lourde. Elle ne sera pas le fait des seuls riverains, mais de l’opinion publique dans son ensemble. L’Atelier Chabord est prêt à faire face à la demande qui demeure encore trop timide à son goùt. Le retour sur investissement est lent.

Pour l’heure, l’aéronautique ne représente qu’une part minoritaire de son chiffre d’affaires, appelée à se développer. La compétition automobile demeure le principal. S’il a renoncé à la Formule 1, en revanche, il a l’exclusivité des 26 voitures du Championnat GP2, l’anti-chambre de la Formule 1. Il est aussi présent sur le championnat du monde des rallyes à travers la Citroën Xsara de Sébastien Loeb, double champion du monde. Avec Peugeot-Citroën, l’aventure a commencé sur le Paris-Dakar et dure depuis 25 ans. Chaque année, il est engagé sur le Paris-Dakar et présent aux 24 Heures du Mans avec de nombreuses écuries dont celle d’Henri Pescarolo depuis 2001. Maurice et Alain Chabord aiment la performance.

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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