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Aviation Générale

Il y a le feu à la Sécurité Civile

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Frédéric Marsaly

Dans un référé rendu public au début du mois d’octobre, la Cour des Comptes énumère les errements du Ministère de l’Intérieur dans la stratégie opérationnelle déployée autour de la flotte aérienne de la Direction de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC), confirmant au passage l’ensemble des points de blocage dénoncés par les pilotes lors de leur mouvement social à la fin du printemps dernier, entre manque de renouvellement du matériel et gestion catastrophique des ressources humaines.

L’origine du mal, selon la Cour des Comptes semble être une organisation administrative devenue inadaptée. Le rapport pointe la rotation trop rapide des cadres, l’absence d’un véritable état-major et une chaîne hiérarchique confuse, où la distance entre Nîmes et Paris joue un rôle important, ce qui entraîne l’impossibilité de disposer d’une vision stratégique à moyens ou longs termes.

« L’organisation actuelle du GMA est fragile. Elle ne favorise ni la dimension stratégique, ni la dimension opérationnelle. Le règlement intérieur de la base de Nîmes-Garons et l’organigramme actuel sont en contradiction avec les instructions ministérielles. »

Le système de rémunération au banc des accusés

La nature variée des statuts des équipages au sein du GMA (Groupement des Moyens Aériens), les disparités de leurs qualifications et de leurs activités, influent plus que sensiblement sur les primes et les indemnités dûes. Cette complexité a effectivement entraîné des anomalies dans le versement des rémunérations : « à partir de 2016, jusqu’à 8% de la masse salariale. » La Cour des Comptes explique : « L’éclatement de la fonction ressources humaines a sans doute favorisé ces dysfonctionnements. » et illustre ainsi ce problème :

Le service administratif et de soutien (SAS) au sein du GMA et le bureau des ressources humaines et des finances (BRHF) de la DGSCGC se limitent à la collecte et à la transmission des informations à la direction des ressources humaines du ministère. Les échelons de proximité – le SAS et, dans une moindre mesure, le BRHF – ne disposent d’aucune information sur les salaires et la gestion administrative du dossier des agents, ce qui les prive de la possibilité de leur répondre et d’identifier des erreurs.

Le rapport de la Cour des Comptes pointe également la politique des « repos compensateurs » qui permettait aux équipages de travailler au-delà des limites autorisées mais qui a eu la conséquence d’empêcher des recrutements supplémentaires ce qui est une des causes des sous-effectifs actuels à certains postes comme ceux de Commandants de bord sur CL-415.

Les résultats décevants de l’externalisation

Le Maintien en Condition Opérationnelle de la flotte d’avions a été entièrement externalisée et confié à un seul industriel. Ce nouveau marché n’a pas généré d’économies et des tensions fréquentes ont été rencontrées au sujet de la qualité du service et de la disponibilité réelle des bombardiers d’eau. Ce fut un des points marquants des polémiques de l’été dernier.

La situation est sensiblement différente pour le groupement des hélicoptères, où la maintenance est toujours faite en interne. Néanmoins, pour faciliter les approvisionnements, un industriel a été sélectionné comme interlocuteur et centralisateur unique des commandes. Il s’avère, selon la Cour des Comptes, que ce fonctionnement particulier a entraîné des dysfonctionnements plus importants que lorsque les marchés étaient passés individuellement avec les industriels concernés.

Redéfinir les missions des « Dragon »

Des ajustements sur l’exploitation opérationnelle sont aussi recommandés. Ainsi, la Cour des Comptes relève que la flotte des hélicoptères Dragon est utilisée à 70% pour des missions « où la technicité des appareils et des équipages ne justifient pas leur emploi » alors qu’il existe des HéliSMUR plus adaptés.

La coordination entre les ministères est ainsi mise en accusation pour que la flotte des moyens nationaux puisse être recentrée sur les missions où son expertise et ses capacités sont essentielles, notamment pour le sauvetage en milieu périlleux (en mer ou en montagne) ou lors des catastrophes naturelles. Parmi les recommandations du rapport figure également la nécessité de revoir l’implantation des bases afin d’assurer une meilleure couverture de l’ensemble du territoire.

Absence de vision stratégique

Ces dysfonctionnements ont des conséquences qui pourraient s’avérer extrêmement préjudiciables pour les années à venir en l’absence de stratégie à long terme pour l’acquisition de matériels nouveaux. La Cour des Comptes, à ce titre, pointe l’acquisition des 6 Q400MRE en 2017 et dont le dernier exemplaire sera livré dans quelques semaines.

En se dotant de ces avions, en particulier pour anticiper le retrait des Tracker, la Sécurité Civile a cherché à étendre sa panoplie de missions. Pour autant, quand les opportunités d’engager les avions se sont présentées « les matériels sont restés inutilisés ».

Le rapport pointe en particulier la crise sanitaire où les Dash ont été peu employés : « la flotte est resté inactive » alors que les Dragon étaient intensément utilisés pour déplacer des patients ou des soignants. Néanmoins, il convient de nuancer ces propos. Les Dash sont régulièrement utilisés pour des missions de transport (fret ou passagers), au profit du Ministère de l’Intérieur ou d’autres entités. Il n’en reste pas moins que l’activité transport reste secondaire au secteur Dash et que les missions ne sont pas assez nombreuses pour occuper, bientôt, 8 Q400MR hors saison. Ces capacités sont sous-employées aujourd’hui mais intensifier ces missions de transport n’aurait-il pas pour conséquence d’entamer les potentiels indispensables pour les missions prioritaires que sont celles menées l’été contre les feux ? Le rapport s’émeut également du coût de l’installation d’une boule optronique sur un Beech 200 de la base de Nîmes.


Néanmoins ces problèmes ne sont-ils pas aussi le fruit d’une politique à court terme, qualifiée de « dépourvue de vision stratégique » par les auteurs du document ?

Ce manque de stratégie d’équipement se fait désormais durement sentir pour le renouvellement de la flotte des bombardiers d’eau amphibie. Dans ce cadre, la Cour des Comptes déplore l’absence d’études sur les solutions alternatives que pourraient être les Hélicoptères bombardiers d’eau lourds, ou des avions agricoles. On note toutefois que les HBE lourds, type H225, sont utilisés sur feux depuis plusieurs saisons et que le retour d’expérience semble positif.

Des propositions constructives

La Cour des Comptes ne se contente pas de pointer les problèmes mais elle offre des pistes pour trouver des solutions à ces problèmes graves. Elle propose de définir une politique générale de renouvellement des flottes, de revoir les missions et les implantations des hélicoptères pour remettre la Sécurité Civile au cœur de son métier, conformer le règlement intérieur de la Base de Sécurité Civile aux consignes ministérielles et refondre la gestion des ressources humaines du GMA.

Pour le syndicat des pilotes de la Sécurité Civile : « Ce rapport est en conformité avec toutes nos revendications à l’exception près du sujet de la boule optronique qui a été utilisée et validée cet été, sur feux mais aussi à la suite de la tempête en Corse pour localiser les navires en perdition et accélérer la venue des secours, et même pour des avalanches. L’équipement d’un deuxième Beech cet hiver va ouvrir de nouvelles perspectives d’emploi pour un outil rapide et performant. »

Pourrait-il en être de même pour les missions de transport du secteur Dash, qui ne demande qu’à faire évoluer son activité ?

Des réunions en cours

Christophe Govillot du SNPNAC précise : « On attend maintenant surtout la réponse du Ministre de L’intérieur et donc de la Direction Générale sur tous ces points, notamment au moment de la publication de la Lopmi (Loi de Programmation du Ministère de l’Intérieur) qui nous permettra de vérifier la mise en place effective des points que nous avons tenus à voir figurer, notamment sur la formation et l’attractivité du métier car nous continuons à voir l’aviation commerciale ponctionner nos réserves de commandants de bord potentiels. »


Une série de réunions se sont déroulées autour de Caroline Cayeux, Ministre déléguée chargée des Collectivités Territoriales. Les pilotes de la Sécurité Civile, par le biais de leur représentant, ont pu confirmer leurs doléances et expliquer qu’ils attendaient du gouvernement une commande rapide pour la succession de leurs bombardiers d’eau amphibie : « Qu’il s’agisse de DHC-515 ou d’appareils plus performants mais pouvant être livrés rapidement, comme les projets européens Seagle ou Waterfall. »


C’était aussi l’occasion de balayer l’idée de la création d’une seconde base d’avions pour la Sécurité Civile, un non-sens opérationnel et organique : « Nous pouvons assurer des détachements à la demande en fonction de la situation, nous l’avons démontré ! »

Une réunion à l’Élysée repoussée

Une réunion devait se dérouler à l’Élysée, ce 14 octobre, autour de ces thématiques mais elle a été repoussée et la date à laquelle elle pourra se tenir n’a pas encore été communiquée, des annonces importantes étaient espérées à son issue.

En dehors des circonstances particulières de l’été 2022, qui s’est avéré exceptionnel par son intensité, la publication de ce rapport doit sonner comme un signal d’alarme, pour ces enjeux qui sont loin d’être secondaires, pour la Sécurité Civile :

Les imprécisions de la vision stratégique (…) pourraient réduire sa capacité à affronter les défis majeurs que constituent l’aggravation du risque de feux de forêts et le renouvellement de la flotte d’aéronefs. Au sein de la direction générale, le groupement des moyens aériens et sa flotte souffrent en outre d’une gestion lacunaire, qui n’est pas uniquement imputable à la direction générale mais justifie de revoir en profondeur son organisation et la politique de ressources humaines.

Frédéric Marsaly


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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

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  • On a déjà vu M Schiappa, à l'époque sous-Ministre de l'intérieur, faire un Paris-Nantes en Dash-8... Sobriété et modestie. Pas étonnant que la cour des comptes s'agace.

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