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Aviation Générale

L’arrachement d’une palette à l’origine du crash du prototype de l’Integral R d’Aura Aero

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Gil Roy

La perte de la palette droite a été identifiée par le Bureau enquête accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État (BEA-É) comme l’une des causes de l’accident (12 avril 2022) qui a coûté la vie aux deux pilotes d’essais et entrainé la suspension du programme du prometteur avion de voltige d’Aura Aero. Le BEAé retient également des causes relevant « des facteurs organisationnels et humains ».

Pour le BEA-É, « La perte de contrôle de l’Integral R est consécutive à une destruction majeure de l’aile droite et à l’entrave partielle des commandes de gauchissement. » Les enquêteurs militaires ont rendu leur rapport un peu moins d’un an après l’accident qui s’est produit le 12 avril 2022 à Prat-Bonrepaux (Ariège) et dans lequel Baptiste Vignes (37 ans) et Simon de la Bretèche (40 ans), deux figures de la voltige aérienne mondiale, ont perdu la vie. Les enquêteurs ont réalisé un travail remarquable de précision et mis en lumière un ensemble de causes directes ou indirectes qui ont conduit à la destruction de l’unique prototype de l’Intégral.

Alors qu’il s’agit d’une enquête impliquant un avion civil, on pourrait s’attendre à ce que l’enquête ait été menée par le BEA. En fait, le BEA-É conduit les enquêtes de sécurité pour les évènements relatifs aux aéronefs de l’État, aux aéronefs affrétés dans le cadre d’une mission d’État et tous les aéronefs non immatriculés au registre OACI, c’est-à-dire notamment les prototypes et les aéronefs en vols d’essais et réception. Dans le cadre de l’Intégral R, nous avons affaire à un prototype. C’est la raison pour laquelle dans le cas de cet accident, le BEA-É est l’organisme chargé de l’enquête de sécurité.

La chaîne de gauchissement de l’aile droite de l’Intégral 5 d’Aura Aero. © BEA-E

En substance, pour le BEA-É, « L’évènement est un endommagement de la chaîne de gauchissement (c’est-à-dire lors de la mise en virage de l’avion : NDLR), conduisant à une perte de contrôle en vol, allant jusqu’à l’impact au sol, avec une mise en œuvre tardive d’un système de sauvegarde de l’équipage (autrement dit du parachute de secours de l’avion (NDLR). » Nous vous livrons ici de larges extraits du rapport par respect pour la précision du travail des enquêteurs et la rigueur de la rédaction du rapport. Ce rapport est consultable dans son intégralité sur le site du BEA-É. La lecture de ses 57 pages est instructive.

Revenons aux circonstances de l’accident :

« L’Integral R n°001 effectue son 146ème vol d’essais à proximité de l’aérodrome de Saint-Girons Antichan d’où il est surveillé visuellement par un ingénieur d’essais au sol. Avant de réaliser un virage serré à 7g, l’équipage annonce à la radio que le vol se déroule normalement. Au bout de 6 secondes de virage, alors qu’il franchit une altitude de 7.000 ft en descente à 330 km/h, la palette droite est arrachée et l’appareil subit probablement une entrée en flottement symétrique au niveau des ailerons. Ce phénomène entraîne la déformation du renvoi de gauchissement et le braquage de l’aileron droit vers le haut. L’avion part alors soudainement en roulis à droite. Sous l’effet du basculement du manche pilote à droite, le roulis s’accélère et l’aileron vient impacter ses charnières. Soumis à des efforts anormalement élevés en raison de la combinaison de ces phénomènes, le longeronnet se brise au niveau de la charnière n°2, lieu de concentration des contraintes. L’aileron droit, momentanément relié à sa biellette de commande, se brise également au niveau de la charnière n°2. Devenu incontrôlable, l’appareil pique en auto-tonneau à droite. Durant les 16 premières secondes de la chute, l’un des pilotes tente de maîtriser la trajectoire en réduisant les gaz et en contrant au manche et au palonnier. Mais la déformation du renvoi droit limite fortement le débattement latéral du manche à gauche. Alors que l’appareil franchit 1.000 ft sol en piqué à 420 km/h, un membre d’équipage déclenche tardivement le parachute de cellule GRS. Son déploiement provoque la destruction de l’arrière de l’appareil et, sous l’effet des accélérations négatives excessives, l’éjection du copilote. Le reste de l’appareil s’écrase à la verticale 4 secondes plus tard à 130 km/h alors que sa vitesse était en forte diminution sous l’effet du parachute. Les deux pilotes décèdent. L’Integral R est détruit. »

Comme nous l’avons précisé en introduction, selon le BEA-É, les causes qui ont conduit à l’accident sont de trois ordres : technique, organisationnel et humain.

« La perte de contrôle de l’Integral R est consécutive à une destruction majeure de l’aile droite et à l’entrave partielle des commandes de gauchissement. Ces dommages sont probablement consécutifs à une entrée en flottement symétrique d’ailerons qu’il est possible d’expliquer par :

  • une raideur de la timonerie inférieure aux prévisions entraînant des déformations élastiques inattendues d’une platine de fixation ;
  • la perte de la palette droite qui a pu contribuer à réduire les marges de stabilité aéroélastique ;
  • si l’origine des efforts ayant mené à une perte de la palette droite n’a pu être déterminée par l’enquête, il est aussi possible que l’apparition d’un jeu dans sa fixation ait contribué à réduire les marges de stabilité aéroélastique et que l’entrée en flottement se soit produite avant la perte totale de la palette.

Selon ce scénario, le flottement a entraîné la déformation du renvoi de gauchissement droit avec pour conséquences :

  • l’impact de l’aileron droit sur ses charnières ;
  • le déclenchement d’un roulis incontrôlé à droite ;
  • la rupture du longeronnet ;
  • une limitation de l’inclinaison du manche pilote à gauche. »
Chronologie de la chute de l’Intégral R (Aura Aero) conduisant au crash. © BEA-E

Le BEA-É note que les pilotes ont tardé à prendre la décision de déclencher le parachute de secours de l’avion. Les enquêteurs avancent plusieurs hypothèses pour justifier cette situation. C’est par exemple la position, dans le cockpit, de la manette de déclenchement du parachute de secours jugées « difficilement atteignable sous facteur de charge évolutif ». C’est aussi l’état de santé du commandant de bord, en l’occurrence Baptiste Vignes, qui interroge et qui pourrait remettre en question le suivi médical des pilotes professionnels.

« L’examen médical post-mortem du CDB a mis en évidence une pathologie coronaire non détectée lors des visites d’aptitude standards de classe 1 ni lors du suivi médical renforcé incluant des examens cardiaques réguliers (échographies et tests à l’effort) dont il bénéficiait pendant ses années d’appartenance à l’équipe de France de voltige. »

Les recommandations du BEA-É s’adressent majoritairement à Aura Aero. Toutefois, la première concerne directement l’EASA à qui il est recommandé « d’étudier, pour les avions de voltige couverts par la certification CS-23, la définition d’une méthode de conformité garantissant la prise en compte de la variation de la raideur des commandes de vol dans l’analyse prédictive du flottement pour l’ensemble du domaine de vol. »

La structure de l’aile de l’Intégral R d’Aura Aero. © BEA-E

Le constructeur est invité à corriger « la raideur de la timonerie de gauchissement, de revoir la fixation des palettes aérodynamiques et les attaches des harnais de l’Integral R. »

« La rupture du longeronnet au niveau de la charnières n°2 a probablement été causée par la combinaison de trois phénomènes : le choc de l’aileron sur ses charnières, l’application de contraintes anormalement élevées dues au braquage brutal au-delà de la déflection maximale de l’aileron et les efforts croissants issus d’un flottement. »

Le BEA-É demande logiquement à Aura Aéro de revoir l’emplacement de la manette de déclenchement du parachute de cellule de l’Integral R. Dans un autre ordre d’idée, il lui recommande de « renforcer son processus d’analyse des faits techniques à des fins d’amélioration de la sécurité aérienne. » En effet, dans les semaines qui ont précédé l’accident mortel, le prototype a perdu sa palette gauche, lors d’un vol d’essais à faibles vitesses comportant des vrilles. Le BEAé estime que « cet évènement a donné lieu à une analyse partielle, sans identification claire des causes ou sans évaluation des conséquences potentielles en cas de nouvelle occurrence à plus haute vitesse. Jugée comme un incident mineur, la perte de la palette gauche n’a pas donné lieu à une notification de sécurité à l’EASA, autorité de supervision. »

En parallèle de l’enquête du BEA-É à laquelle il a été étroitement associé, Aura Aero a mené sa propre étude qui l’ont conduit évidemment à corriger les points faibles identifiés dans son organisation. Ce qu’il confirme dans un communiqué de presse diffusé dans la foulée de la sortie du rapport : « Nos propres investigations nous avaient aussi conduits aux mêmes conclusions d’ores et déjà prises en compte dans le développement et la production des appareils Intégral R, Intégral S et Intégral E. »

Le constructeur a notamment décidé de renoncer à monter des palettes sur ses avions. Ces palettes sont reconnues par les pilotes de voltige comme une aide à la précision du pilotage. Elles sont présentes sur la plupart des avions. Elles font aussi débat dans la communauté des voltigeurs. Si elles semblent indispensables sur un monoplace de compétition, en revanche, les avis sont partagés en ce qui concerne les biplaces-école. Aura Aero a tranché.

Pour Aura Aero, il reste maintenant à trouver un assureur (dans le contexte actuel qui dépasse le cas d’Aura Aero, c’est devenu un défi) et à obtenir le « Permit to Fly » des autorités (DGAC et EASA), autrement dit le feu vert pour reprendre les essais en vol. Ils seront menés avec l’Intégral S, c’est-à-dire la version tricycle, qui est prêt à sortir d’atelier. Un Intégral R est en cours de peinture. C’est lui qui devrait être exposé au salon Aero de Friedrichshafen (19-22 avril 2023). Côté production, une dizaine d’avions est en cours d’assemblage à Francazal.

Le même avion Intégral R avait déjà fait l’objet d’une enquête de sécurité du BEA-É suite à la perte de la verrière lors d’un vol d’essais le 16 juillet 2020. Les deux pilotes d’essais qui étaient aux commandes, Eric Delesalle et Hervé Poulin, avaient été légèrement blessés. Ils ont pu poser l’avion. Ce sont eux qui vont reprendre le programme d’essais en vol. Eric Delesalle et Hervé Poulin ont fait aussi le premier vol de l’Integral R.

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

View Comments

  • Bonsoir,
    Le flottement aeroeslastique semble établi.
    La raideur de la platine de fixation du guignol de la timonerie est la première sur la liste des causes possibles.

    La palette droite a été perdue, c’est établie. Mais les enquêteurs utilisent beaucoup le conditionnel pour lister cette perte comme cause du flottement.

    Dans ce contexte , n’aurait-il pas été plus précis de titrer que le flottement aérodynamique est la cause (initiale) du crash.

    A titre personnel, à la lecture de l’excellent rapport, je me pose la question si la perte de la palette est une cause, une conséquence ou un facteur contributif au flottement.
    Dans le doute, supprimer les palettes est une sage décision et la plus visible. Espérons que d’autre modifications ont été réalisées

    Un ami m’a communiqué un vidéo Daylimotion d’une étude du flottement aérodynamique du D112 réalisé par l’ONERA dans les années 50-60. Il leur avait fallu détendre les câbles d’aileron ( et donc réduire la raideur de la chaîne de commande des ailerons ) pour reproduire dans la soufflerie de MEUDON ( avion en vrai grandeur!) le phénomène de flottement ayant conduit alors à 2 accidents. Et ainsi faire coller étude sol et vol( réalisés en soufflerie)

  • Le CAP10C a des ailerons avec palettes. Ca vole ainsi depuis 20 ans... Le problème ne vient donc pas du choix de mettre des palettes ou non...

    Les conclusions du rapport sont implacables. Aura a un énorme travail à faire pour restaurer un peu de confiance vis à vis de ses réalisations, et elle ne pourra pas se "contenter" d'opérations de communication...

  • C'est quoi une palette aérodynamique, çà sert à quoi? Je sais ce qu'est un roulis induit et même un lacet inverse, mais de mon (vieux) temps jamais entendu parler de "palette" en aéronautiqe. Un petit cours ?

    • Les palettes aérodynamiques se retrouvent sur les ailerons de certains avions de voltige.
      Montée au bout bras a l’intrados des ailerons et en avant de l’axe de rotation des sites ailerons ( voir la vue en coupe de l’aile en début d’article). Ces palettes permettent de réduire les efforts pour braquer les énormes ailerons de ces avions…
      Il est à remarquer que les ailerons de l’intégral comportent des cornes débordantes comme un ATR 42 /72.( qui n’a pas d’hydraulique pour braquer ses gouvernes). Elles doivent avoir un effet similaire que les palettes dénommées aussi pelles.

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