Les 150 milliards de nuances de Solar Impulse

Solar Impulse 2 tente une nouvelle traversée du Pacifique. Les 10 premières heures de vol ont celles de toutes les interrogations. Pour l’équipe qui pilote l’avion solaire depuis Monaco, la question était de savoir quelles conditions météorologiques André Borscberg allait devoir affronter au cours des cinq jours et nuits à venir et à son arrivée à Hawaï.

Le tour du monde de l’avion solaire Solar Impulse repousse les limites de la prévision météorologique. Non seulement André Borschberg et Bertrand Piccard ont besoin d’une extrême précision sur des données communes comme la vitesse du vent au sol, mais il leur faut aussi savoir quelle sera la route optimale en fonction de l’ensoleillement, du vent en altitude, d’éventuelles turbulences, etc. Les mathématiciens de la société d’ingénierie Altran inventent ainsi de nouvelles méthodes d’analyse.

Objectif : réduire les incertitudes. La moindre variation – comme celle de l’épaisseur de la nébulosité à haute altitude – devient rapidement significative. « Les systèmes d’équations différentielles qui régissent les phénomènes météorologiques sont instables, repousser d’un jour l’horizon de prédiction demande donc, en théorie, des efforts considérables », explique Christophe Béesau, responsable Altran en stratégie et prévision pour Solar Impulse.

Il s’est pourtant passé de supercalculateur. « En considérant le problème différemment, on peut faire apparaître d’autres équations et focaliser l’effort de recherche pour ‘faire parler les données’ et en extraire une information cachée, significative », explique-t-il. Le principe : l’avion virtuel devient une sonde d’exploration des données. Une manière de diminuer la complexité du problème.

On peut employer cette approche, d’une part, pour déterminer la meilleure route très longtemps à l’avance. Avant sa traversée des Etats-Unis en 2013, Solar Impulse a effectué cinq milliards de vols virtuels en tenant compte des conditions météorologiques passées. Etaient suivis des centaines de paramètres principaux et quelques milliers de paramètres secondaires. D’où 10.000 vols optimisés et 65 routes analysées plus en détail.

A l’échelle du tour du monde, le nombre de vols virtuels est passé à… 150 milliards. « Ils ont été traités comme des données aléatoires pour se projeter dans le futur », souligne Christophe Béesau. L’outil de planification a même un nom : l’optimiseur stochastique de routage à long terme. Pas vraiment de la statistique classique !

D’autre part, à plus court terme, on fait voler l’avion virtuel quelques jours à l’avance. On peut ainsi explorer les prévisions météo. « On réduit les risques et on optimise la trajectoire », souligne Christophe Béesau.

La stratégie peut être remise en cause pendant le vol. Ainsi, lors d’une traversé simulée – en temps réel – de l’Atlantique en 2014, le vol a dû être adapté en urgence. Un ballon d’observation scientifique avait soudain généré une interdiction de vol à plus de 7.000 m dans la zone où Solar Impulse devait atteindre 8500 m. La solution était contre-intuitive : il fut décidé de ne pas détourner l’avion mais de poursuivre à 7.000 m… en réalisant au dernier moment une ascension à pleine puissance permettant de gagner le maximum d’altitude avant le déclin du soleil. Un exercice acrobatique qui a permis à l’avion de « survivre » la nuit suivante.

Thierry Dubois