Rares sont les biographies de « grands patrons » contemporains de l’industrie aéronautique, à plus forte raison hexagonale. La parution de cet ouvrage est donc à souligner, et doublement, car le personnage est aujourd’hui injustement oublié.
Félix Torres, l’auteur de ce volume de 290 pages (226 de texte, le « reste » se partageant entre notes, repères chronologiques, annexes et index pour être précis) au format 14 x 22,5 cm, Félix Torres, donc, est indéniablement un spécialiste de ce genre d’ouvrage biographique. Historien patenté, il s’est orienté vers l’historique des entreprises et de leurs dirigeants, créant une sorte de centre de recherche dédié (Public-Histoire), éditant entre autres ses travaux, en publiant aussi chez d’autres éditeurs.
Son éventail d’intérêt est vaste, allant du patrimoine bâti de la SNCF au Monde de la propulsion-fusée, une vision européenne ou La maîtrise du feu, 40 ans de propulsion solide et de composites… Pour ce qui intéresse les gens de l’air, on se souvient du très intéressant Du ciel aux étoiles, Robert Esnault-Pelterie, le génie solitaire, en 2007, pour le centenaire des premiers envols du double pionnier, de l’aéronautique et de l’astronautique, co-écrit avec Jacques Villain… Il était donc le mieux placé pour retranscrire la vie d’un capitaine d’industrie actuellement quelque peu oublié, René Ravaud. D’autant que l’un de ses derniers opus, CFM, the power of flight (2016) l’a mené tout droit à s’intéresser logiquement à ce personnage…
Le parcours de René Ravaud (1920–1986) peut sembler complexe, mais en suivant sa carrière, le lecteur s’apercevra que les différents postes qu’il a occupé ont tous valorisé ses immenses compétences comme son énorme capacité de travail. Polytechnicien sorti de l’école sous le régime de Vichy, initialement ingénieur maritime, affecté à l’arsenal de Brest à l’époque de sa libération par l’armée de Patton, le voilà propulsé héros de guerre car perdant un (avant-)bras lors d’un bombardement aérien américain en août 1944. Mais il a tenté de sauver son amiral de chef, lequel aura une mémoire posthume non impactée par son rôle de serviteur de l’État français…
Il y aura ensuite un long stage sur le porte-avions Arromanches, où les méthodes américaines le convainquent, puis neuf ans de séjour à Washington à la Mission d’achats d’armements de l’ambassade de France où il fait merveille. Il y a aussi découvert les secrets du lobbying et du relationnel, à une époque où ces subtilités sont inconnues dans l’Hexagone.
Muté à ce qui est aujourd’hui le DGA, (direction générale de l’Armement), l’agence étatique qui pilote les programmes d’équipements militaires, au développement puis chargé de la direction des programmes et des affaires industrielles de l’Armement, il s’y avère plus qu’excellent. Ceci l’amènera à être nommé PDG de ce qui est alors la Snecma (Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’avions), aujourd’hui, après une énième restructuration, le groupe renommé Safran… Mais René Ravaud fut aussi en parallèle président du GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales).
À la Snecma, il excelle littéralement, transformant, l’ex-Gnome & Rhône en un motoriste parmi les plus performants de l’industrie aéronautique de la planète. Il est l’artisan indéniable de la mutation profonde de la firme d’État, fabricant de moteurs militaires, vers un rôle planétaire primordial dans le secteur civil, grâce à l’alliance à parts égales avec General-Electric sur le programme du « réacteur de 10 tonnes de poussée« , le CFM-56. La gestation de ce programme ne fut pas un long fleuve tranquille et le succès prit son temps pour se matérialiser, débutant par la remotorisation de quadriréacteurs d’ancienne génération (DC-8 et les KC-135 de l’USAF avant ceux de l’armée de l’Air). Cette époque passionnante est archi-détaillée dans ce livre.
Et même si l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 a vu la non reconduite de René Ravaud à son poste (coupable d’une certaine intransigeance avec le personnel), la réussite éclatante du CFM-56, le moteur d’avion civil le plus construit au monde (quelque 30 000 exemplaires et plus de 900 millions d’heures de vol en 2017) – CFM-56 qui a fait le lit du Leap du XXIe siècle – a démontré la justesse de vue de René Ravaud, et la pertinence de sa stratégie d’entrepreneur visionnaire.
Ce livre retrace une aventure de « patron » passionnante, qui permet de mieux percevoir le panorama et les arcanes de l’industrie aéronautique actuelle.
Jean Molveau
Pour commander l’ouvrage : René Ravaud
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Je suis enchanté de découvrir la biographie de cet ingénieur motoriste!!...Les ingénieurs dans leur globalité et plus particulièrement aéronautique sont mes vrais héros!!...
Merci pour ce partage, je n'en aurais pas eu vent autrement et ces thématiques sont en effet bien peu abordées !