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« Les canons du ciel » : un livre rare d’un pilote de guerre en Algérie

Published by
Pierre Sparaco

C’est un ouvrage comme il en paraît peu : un récit de pilote, un témoignage sur la désormais lointaine guerre d’Algérie et, surtout, un moment de vraie littérature. C’est la découverte tardive d’une belle plume, celle de Francis Ducrest, qui vola sur Vampire et T-6 dans l’armée de l’Air dans les années cinquante avant de quitter l’uniforme, troublé si ce n’est dépité, pour entamer une longue carrière chez Air France.


Voici un auteur rare mais qui n’est pas tout à fait inconnu. En effet, il a publié « Les Canons du ciel » en 1960, chez Denöel, sous pseudonyme parce que telle était la règle, un pilote militaire en activité ne pouvant en aucun cas révéler son identité. Un livre remarquable, à tous points de vues, mais qui n’alla pas au-delà du succès d’estime, peut-être parce qu’il était trop dans son temps. Puis Ducrest ne persévéra pas, tout au moins pas jusqu’ à la fin des années 2000 quand il sortit chez L’Harmattan un talentueux témoignage, « L’Aviateur », moins discrètement cette fois-ci. Ce beau texte reçut le Prix Guynemer et fut médaillé par l’Académie de l’air et de l’espace.

Puis vint une initiative née …d’un demi-siècle de réflexion, la sortie chez Altipresse d’une version remaniée des « Canons du ciel », l’auteur, cette fois-ci, s’affichant au grand jour. Un texte remarquablement bien écrit, souvent émouvant, parfois poignant, un retour aux « événements » d’Afrique du nord en même temps qu’une plongée dans l’intime d’un jeune sous-lieutenant victime, malgré les apparences, d’une grande solitude, qui avait des camarades et copains, certes, mais pas d’amis. Il lui arriva de souffrir d’autant plus durement de l’angoisse, voire de la peur, sans porter pour autant un regard « intellectuel » sur la guerre. Et encore moins sans entrer dans la catégorie des âmes sensibles. Il a observé, réfléchi, tout au plus, et on devine, ici et là, qu’il lui arrivait d’éprouver une certaine forme de fraternité avec les Arabes. A commencer par ceux d’un village qui l’avaient recueilli en attendant les secours, après un accident, alors qu’ils étaient pourtant de bords opposés.

Plus tard, les hasards de la vie étant ainsi faits, une mission d’appui-feu conduira Ducrest à mitrailler ce même village, geste symbolique de l’absurdité de la guerre, de ses injustices, de ses contradictions. A ce moment-là, la pudeur de l’auteur est plus forte que son talent et, malheureusement, il ne se livre pas suffisamment. Nous aurions voulu qu’il nous en dise plus sur ce moment difficile. Et on se prend à rêver d’une rencontre de Ducrest avec Albert Camus.

Ducrest s’étend davantage sur des camarades ayant perdu la vie, toujours de manière dramatique, à commencer par une collision en vol aux conséquences tragiques. A nouveau, le siège éjectable apparaît alors comme une belle invention puis notre homme, rappelé à Paris par les services médicaux de l’état-major, entamera un dialogue de sourds avec le médecin chargé de son dossier. Un autre moment fort, pourtant bien loin du front d’Afrique du nord, dans la grisaille qui enveloppe la place Balard.

Ducrest, après le Vampire, trop rapide, a dompté le T-6, il a repéré les ennemis à plat ventre ans les fourrés et, des décennies avant l’apparition des premiers drones, il a découvert que les missions de guerre, même dans les années cinquante, pouvaient prendre l’allure dérangeante d’un jeu mortel. « Il n’y a pas d’homme, seulement une cible de forme humaine ». Voici le lecteur pris au piège, sincèrement soulagé quand se termine la mission, quand apparaît au loin « l’allée bleuâtre de la piste, ligne majeure et immuable, constellation fidèle ». Quel beau texte !

Pierre Sparaco

Les canons du ciel
Francis Ducrest devant un T-33
2. Francis Ducrest aux commandes d'un T-6

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Pierre Sparaco

View Comments

  • et puis feu Pierre Sparaco, (désormais plus-là)

    qui reprend ce...dossier ?, et qui peut répondre?

    Encore MERCI, vraiment (pour une 'bouteille à la mer (du temps qui passe))

  • Hé ben !

    Bravo pour l'attitude de repentance, pour des détails (ben-bella et son 'arraisonnement') et MERCI... à qui peut situer le pilote Pierre BAUDIER (ou Beaudier), ancien sur P47 mais en France, et qui entraînait les pilotes de réserve à Maison-Blanche (au CERO 305),connu pendant mon service militaire, en 1951-1952 et ensuite rencontré à Casablanca (essayant de débuter une société d'avions-taxis (pétrole) au Sahara.

    MERCI, vraiment.
    ----------------------------------------
    Pierre BELLISSANT (né à Oran, en 1930 (si-si)), et 'technologiquement intéressé
    par l'Aviation.....', puis ayant fait
    "informatique" (1953--retraite)
    et, toujours là.

  • "Les canons du ciel" : un livre rare d'un pilote de guerre en Algérie
    Enfin un pilote qui écrit librement ou presque sur la guerre d'Algérie dont les anciens répugnent à parler... j'ai aimé son 'aviateur" aux accents parfois poétiques.

  • "Les canons du ciel" : un livre rare d'un pilote de guerre en Algérie
    Bien sûr, il était et il est peut-être trop tôt encore pour intituler ce bel ouvrage "repentance".C'est pourtant le sens discrètement présenté. Merci

  • "Les canons du ciel" : un livre rare d'un pilote de guerre en Algérie
    Tout ce que dit Sparaco, j'y adhère. J'avais lu la première édition du livre et en avais tout de suite conclu que dans notre monde littéraire aéronautique Ducrest se mettait dans le sillage de Saint Exupéry et de Jules Roy. Il est rare que nos ouvrages soient valablement mesurés au plan de la rhétorique. Sparaco est peut-être le seul à savoir le faire et c'est dommage qu'il ne le fasse pas plus souvent. Quant à Francis, pourquoi n'écrirait-il pas maintenant sur notre époque de la Caravelle ? Bon Dieu, qu'est-ce qu'il était triste en vol ! Traînait-il donc encore cette histoire du mitraillage du village kabyle ?
    Amicalement.
    Bernard

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