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Débat et opinion

ULM, éligibilité, recommandations : où sont les limites ?

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Bruno Guimbal

Suite à un accident mortel impliquant un hélicoptère ULM, la DGAC a émis une recommandation visant à clouer au sol les machines de ce type. Libre à chaque utilisateur d’assurer ses responsabilités. Sans remettre en question le statut particulier des ULM, encore moins « la liberté de voler hors certification », Bruno Guimbal, constructeur de l’hélicoptère certifié Cabri G2, s’invite dans le débat, en livrant ici une réflexion étayée.

Je voudrais rappeler d’abord qu’en France, toutes les certifications d’aéronefs sont décernées et gérées par l’EASA. La DGAC garde des prérogatives, et notamment :

  • Le suivi des modifications chez les constructeurs Français, que lui délègue l’EASA,
  • La surveillance des opérations, qu’elle délègue en partie à l’OSAC,
  • Les enquêtes après accidents sur son territoire, confiées au BEA,
  • La validation des ULM,
  • je ne sais pas pour le reste

D’autres organismes français interviennent dans la certification européenne des aéronefs français, mais parce que l’EASA leur délègue le travail, du fait qu’ils ont une grande expertise historique et sont très bien reconnus dans le pays ; c’est le cas du CEV pour les essais en vol (hors Airbus), et du CEAT pour la certification des logiciels embarqués, maintenant présents dans le moindre avion.

L’homologation des hélicoptères ULM de Classe 6 est nationale et relève de la DGAC. Elle ne constitue pas une certification technique, et la DGAC ne maintient plus d’expertise technique en hélicoptères. Bien que la DGAC comporte encore de nombreux ingénieurs experts, la plupart de ceux qui exerçaient sur la certification il y a 15 ans, travaillent aujourd’hui à Cologne ou sont à la retraite.

L’éligibilité, terme particulièrement précis et adapté, traduit la dispense, sous conditions précises, de toute preuve de la sécurité, au moins en termes de mécanique. Ne délivrant pas de certification, la DGAC ne peut donc évidemment pas en retirer. Elle peut émettre des recommandations pour protéger les aviateurs contre… Contre quoi au fait ? Contre la liberté de faire ce qu’ils croient sûr, qu’ils ont longuement réclamée.

Avec les récents accidents tragiques survenus à des hélicoptères de Classe 6, on arrive dans une situation bien prévisible dont il sera difficile de sortir sans douleur pour tout le monde, à court et à long terme.

A court terme : la DGAC « recommande » de grounder toute la flotte. Elle remplit bien son rôle, et on ne peut que s’en rassurer, mais c’est assez antinomique : clouer au sol est une sanction terrible qui conduit à perdre tout le bénéfice des machines en conservant tous les frais fixes ; il est difficile de voir ça comme une simple recommandation. Sur quel critère le propriétaire va se baser pour suivre ou non cette recommandation ? Je n’en vois que deux : son niveau de peur de l’accident, et son niveau de dépendance financière. Rien de très sain… Aucun critère technique, puisqu’il n’existe aucun moyen de contrôle qui permette d’évaluer la fatigue des métaux (sinon le BEA le connaîtrait et le recommanderait).

Que vont dire et incriminer les victimes, si par malheur, un autre accident arrivait à une machine dont le pilote aurait choisi de ne pas suivre la recommandation, comme il en a le droit ? Exactement comme j’ai lu des dizaines de fois, à propos du crash de l’A330 Rio-Paris ou du deuxième crash du 737 Max : que l’Autorité de Surveillance n’a pas fait son travail. De nombreux irresponsables ont même crié à l’homicide involontaire par défaut de protection.

Alors que tant d’aviateurs hurlent à tout vent que la DGAC ou l’EASA bloquent tout, les cohues médiatiques crient à la complicité d’homicide sous prétexte que la FAA et l’EASA ne bloqueraient pas assez fort.

A moyen terme : comment peut-on lever cette recommandation en forme de couperet ?

La fatigue des matériaux est un phénomène certes très bien connu des avionneurs et des motoristes, mais qui échappe à toute règle simple et accessible. Le cas des hélicoptères et des moteurs est bien pire que celui des avions, car aux fréquences qui sont les nôtres (entre 8 et 200 cycles par seconde, alors qu’une aile d’avion voit quelques cycles à l’heure), une fissure de fatigue se propage beaucoup trop vite pour assurer la sécurité par des inspections : si une fissure démarre juste après une inspection (visuelle ou ressuage) on peut très rarement prouver qu’elle ne va pas se propager jusqu’à rupture avant l’inspection suivante, sachant qu’on ne peut pas descendre l’intervalle entre inspections, par un pilote (s’il le peut), en dessous de 10 heures de vol , et par un mécano, sous 50 heures.

La fatigue est due à la propagation aléatoire des microscopiques défauts présents dans toute matière. Il n’existe que trois façons de s’en prémunir :

  1. Les calculs. Ils sont très compliqués et basés sur des données rares et chères,
  2. Les essais en vol avec instrumentation. Essais difficiles, instrumentation très complexe,
  3. Les essais de fatigue au sol sur des bancs d’essai complexes à étudier et construire.
  4. (les essais d’endurance en vol, eux ne servent strictement à rien : la fatigue étant un phénomène aléatoire, un million d’heures d’endurance – à faire sur la même pièce – garantit seulement quelques heures de vie avec le niveau de fiabilité que chacun de nous exige).
  5. (l’imitation de dessins éprouvés ne marche pas non plus : il suffit de conditions extérieures différentes pour tout changer).

Tous les constructeurs certifiés ont des ingénieurs qui utilisent ces trois moyens et en rendent compte aux Autorités de surveillance – en France EASA, DGAC, CEV, OSAC. Même les plus petits (suivez ma pensée…).

Pour l’éligibilité Classe 6, l’Autorité de délivrance et de surveillance (en France, la DGAC) ne demande pas un seul de ces trois moyens, ni aucun rapport formel. L’éligibilité est l’opposé de la certification, qui exige (de son mieux, évidemment), la fourniture de toutes les preuves de la sécurité.

On voit donc mal ce qu’un complément d’enquête accident peut apporter en termes de fatigue, et comment il peut permettre de lever une recommandation.

Mais il y a pire.

La sécurité en fatigue d’une pale ou d’un arbre rotor ne dépend que de trois facteurs :

  1. La qualité du métal : sa composition chimique, sa pureté inclusionnaire, ses traitements thermiques avant et pendant fabrication, sa protection contre la corrosion,
  2. Les contraintes dynamiques que la pièce a subies dans toute sa vie (son historique),
  3. Les contraintes qu’on lui fait subir à l’instant t.

On peut émettre une recommandation pour remise en vol concernant le 3ème facteur : ce serait une limitation du domaine de vol, ou une précaution inscrite au Manuel de Vol. Pour un ULM avion, cela permet de traiter la majorité des problèmes.

Mais comment recommander une amélioration de la pièce ? Il est impossible de déterminer les deux premiers facteurs :

  1. La traçabilité de la matière n’existe que dans un contexte de certification. Et contrairement au cliché omniprésent, ça n’est pas très cher. A performances égales, le surcoût que nous payons pour un acier « aéronautique » bien tracé est quasi-négligeable. Pareil pour une vis ou un roulement à billes. Par contre, si cette traçabilité n’est pas organisée et surveillée tout le long du processus, elle n’a plus aucune valeur dès qu’il y a mort d’homme, vu les enjeux et la facilité de falsifier les documents.
  2. L’historique n’est jamais garanti et rarement accessible dès que l’on sort du contexte certifié : chacun a pu en toute bonne foi – ou mauvaise – démonter, échanger, revendre une pièce critique, sans obligation de suivi, même si elle a un numéro individuel.

Pour prendre la responsabilité de remettre en vol une flotte d’appareils en se garantissant d’une nouvelle rupture en fatigue, il faut donc s’assurer que toutes les pièces concernées soient ferraillées, et faire essais et mesures pour prouver que les nouvelles pièces sont plus résistantes. Dans des cas connus d’accidents d’hélicoptères, l’Autorité a logiquement exigé que des essais soient faits pour reproduire le processus d’accident, avant de faire les essais du remède. Ceci pour éviter les effets de « chance » et de biais des essais.

Il est aussi souvent exigé que les anciennes pièces ne puissent plus se monter (détrompage), ce qui est rarement facile.

Ou alors il faudrait montrer que les conditions de l’accident, et tout l’historique avant, étaient complètement erratiques par rapport à l’usage normal de la flotte de l’appareil. Ce qui paraît peu probable, vu qu’apparemment il s’agissait de gens sérieux.

Je suis conscient que mes propos peuvent paraître agressifs à certains, mais ils ne le sont pas du tout, ils ne parlent que de sécurité. Aucune polémique : nous n’avons jamais été en concurrence avec la classe 6, vendant 95% de nos hélicoptères hors de France et 98% pour des usages professionnels interdits aux Classe 6.

D’autre part, je suis un fervent défenseur de la liberté de voler hors certification, en ULM ou en CNRA. Elle a été une immense chance pour moi, et a fondé ma vie aéronautique.

Mais pour avoir une chance de garder cette liberté au pays du calamiteux « principe de précaution », il faut poser des limites assez strictes, appeler un chat un chat, et un risque un risque.

Bruno Guimbal

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Bruno Guimbal

Bruno Guimbal est un ingénieur passionné par les machines, qu'elles soient "outil" ou "volantes". A la fin des années 2000, après avoir quitté Eurocopter, il a créé sa société "Hélicoptères Guimbal" pour produire un hélicoptère biplace léger, le Cabri G2.

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  • Bonjour,

    pour l'équivalent de "grounder" à la mode ici, l'expression française utilisée depuis des lustres dans l'aviation est "cloués au sol".
    C'est vrai que dans un pays qui ne sait pas parler anglais correctement pour le travail ou les loisirs, on aime bien utiliser des termes anglais ou franglais pour impressionner, je trouve cela dommage (de ne pas parler anglais correctement à notre époque).

  • @Biloute
    Quand eul tonnerre grounde, vaut mieux rester avec eul carette ou boire une chtite bière al baraque :-) Tchao Biloute :-)

  • la DGAC « recommande » de grounder toute la flotte...
    Merci de me donner la conjugaison du verbe "grounder"...
    moi pas connaître !

    • Je grounde, tu groundes, ils groundent, ..., il eût mieux valu que la DGAC groudât plus tôt, ou que nous groundassions nous-même, etc...; verbe transitif du premier groupe.
      Votre remarque me plaît bien : je suis plutôt de la vieille école (celle des perdants, par définition), me forçant à écrire en bon français avec une syntaxe et une orthographe correctes, même dans le travail.
      Par contre, dans l'aviation la langue universelle officielle est l'anglais, et il faut reconnaître que c'est extrêmement pratique. Pas de traduction, contrairement à l'Europe.
      Par ailleurs, pourriez-vous me trouver l'équivalent français du verbe "to ground" (qui est lui-même probablement un barbarisme anglais) ?
      C'est d'habitude "interdire de vol", sauf précisément dans ce cas, donc "maintenir au sol" ou plutôt "empêcher de vol" irait mieux ?
      Inch'Allah

      • Pardon, M'ssieu, si je me souviens bien à l'ENAC, on apprenait que LES langues officielles étaient au nombre de 6 (?) à l'OACI; et que, en phraséo on pouvait utiliser la langue du pays qu'on survolait ou toute autre compréhensible par les deux partie ou l'anglais à défaut.
        Cela voudrait dire que si vous connaissez le bambara ou le swahïli ... Jusqu'à présent, on ne les jamais utilisés en CRNA français ...
        Bon, ce que j'en dis ...

  • C' un peu toujours le même dilemme, soit le pilote est libre de prendre la décision de voler sur la machine de son choix et il assume les conséquences de sa décision, soit il demande une sorte de parachute à l'administration qui en profite pour ouvrir le sien. L'éternel balancier entre la liberté et la responsabilité d'un coté et la sécurité en cage de l'autre. L'arbitre sera sans doute les compagnies d'assurance qui se serviront de la recommandation de la DGAC pour augmenter de façon délirante leurs primes voir de refuser d'assurer...

    • Le problème va un peu au-delà, il s'agit de la vie et de la mort d'êtres humains, de pilotes, parfois propriétaires, de passagers avec ou sans connaissances aéronautiques.
      Donc quand il existe un soupçon de défauts de conception qui pourraient entraîner d'autres morts, la moindre des choses, quand on a les capacités techniques d'interpréter les causes de l'accident (ou en attendant de les connaître), c'est quand même bien de mettre en garde les utilisateurs.

      C'est exactement ce qui se passe ici, il n'y a aucune interdiction, entrave, limitations de quelque nature que ce soit, mais un avertissement, une mise en garde.

      Le gouvernement fait afficher sur les paquets de cigarettes "Fumer tue", c'est une mise en garde et pourtant bien des gens continuent de fumer. Mais personne ne lui reproche la mise en garde...

      • La il ne s'agit pas d'une mise en garde concernant un modèle d'une catégorie de machines, mais qui concerne tous les modèles de cette catégorie sans faire de distinguo sur les faiblesses propres au modèle incriminé. Toutes ces tendances à la contrainte pour des raisons de "sécurité" me fatiguent un peu, et si les morts restent à déplorer, il ne faut surtout pas oublier qu'ils étaient responsables de la navigabilité de leur machine. le mot responsabilité a un sens précis, et c'est bien au responsables de faire preuve de discernement et de compétence dans le choix de leur machine et de mettre en œuvre les moyens et les connaissances nécessaires au maintien de en état de vol. Aligner ce qu'il est autorisé de faire sur les performances des moins compétents, ça s'appelle le nivellement par le bas et nous le vivons tous les jours sur les routes. Ces machines vont évoluer sous la pression des clients qui vont acquérir des connaissances compatibles avec leur activité, mais ce n'est pas en les empêchant de voler que cela arrivera. En trois mois en 2018 il y a eu près de 500 morts par noyade, faut-il vider l'océan pour autant ?

  • Hello, juste une remarque de quelqu'un qui n'a aucune compétence mécanico-technique-etc... : la gracilité de ces engins, très certainement enthousiasmants à piloter au demeurant, dans l'ensemble de leurs composants, interpelle un peu quand on la rapporte au niveau de vibrations, pour ne pas dire de secouage régulièrement observé. Est-ce que ça influe sur le fait que l'on ne soit pas surpris qu'il en tombe un de temps en temps ?

    • Ces hélicoptères doivent rentrer dans la réglementation ULM, donc tout est optimisé pour « bénéficier » de la classe 6.
      Ces machines sont récentes et cumulent peu d’heures de vol à ce jour.
      Leurs fiabilités dans le temps restent à démontrer et d’ici là de nouveaux problèmes techniques inconnus ou improbables risquent d’apparaitre.

  • Moi-même propriétaire d’un Ranabot je fais le même constat que Monsieur Guimbal, le classe 6 c’est le miroir aux alouettes, que des problèmes, et au vu des multiples accidents des derniers mois je l’ai vendu .
    Je suis passé au R 44 en location et quel bonheur !

  • Que la classe 6 soit Ulm...pourquoi pas ! on devine la complexité d'une telle machine, mais les gyros ont de part leur substantation une part de cette complexité mécanique et cependant depuis rien ne permet de remettre en cause leur navigabilité !!! dans le cas fortuit de ce malheureux crash de cette classe 6 il serait dangereux de faire un amalgame... qu'il y ait des recommandations et une surveillance c'est le rôle de la DGAC et aussi de la Ffplum... il y a sur les Rotax des recommandations.. et ce n'est pas pour cela qu'il est jeté l'opprobre sur ces motors et les appareils qui en sont équipés. J'apprécie le niveau des échanges précédents témoins d'un niveau culturel élevé dans ce domaine.. et ce dans toutes les classes Ulm.

  • Article intéressant. Je me permets d'ajouter que l'initiation de la fatigue dépend beaucoup de l'état de surface de la pièce, en partie hérité des procédés de fabrication : des marques laissées par l'usinage, sont un cas connu de site d'initiation de fatigue; et qui peut rester visible après rupture. En tout cas certainement visible lors de la fabrication lorsque le métal est à nu.

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