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A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?

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Frédéric Lert

L’Allemagne serait prête à trancher dans ses commandes militaires. Les programmes visés concerneraient l’A400M, l’Eurofighter, le NH90 et le Tigre. Les raisons économiques avancées masquent toutefois une réalité pas toujours avouable…

Le temps est à la dure lutte aurait dit DSK. Au rythme chaloupé de la crise financière, les industriels de l’armement sentent chaque jour le goût amer de ce combat inégal entre des équipements de plus en plus chers, et des budgets de plus en plus fins. A Berlin, où règne l’orthodoxie budgétaire, les dépenses d’équipements sont dans le collimateur du gouvernement de la chancelière Merkel. Les coupes promettent d’être sanglantes dans le domaine aérien et les A400M, Eurofighter, NH90 et autres Tigre pourraient passer à la trappe par dizaines. On parle dans les médias allemands de l’annulation de 37 Eurofighter (réduction de 177 à 140), de 42 NH90 (réduction de 122 à 80), de 40 Tigre (réduction de 80 à 40) et de 13 A400M (réduction de 53 à 40). Et ce malgré des commandes fermes déjà signés pour la plupart de ces matériels. Si ces informations se confirment, EADS qui contrôle en totalité ou pour partie tous ces grands programmes aéronautiques, risque de trouver la pilule amère !

De telles réductions posent finalement la question du bien fondé des commandes initiales. Pourrait-on passer d’un trait de plume de 80 à 40 Tigre si ces hélicoptères étaient réellement indispensables à la sécurité allemande ? Il faut bien dire que les militaires allemands ont donné des verges pour se faire battre, en faisant des choix techniques pas toujours heureux.
Le Tigre UHT commandé par l’Allemagne est ainsi optimisé pour le combat anti-char à longue portée, idéal pour faire face à des hordes de blindés déboulant dans la trouée de Fulda. L’Eurofighter a quant à lui été développé pour l’interception à grande distance des bombardiers soviétiques. Encore un beau scénario d’une actualité brûlante ! Bilan des courses, Rafale et Tigre français sont (ou ont été) utilisés quotidiennement en Afghanistan ou en Libye, tandis que leurs alter ego d’Outre Rhin restent sagement dans l’espace aérien allemand, et pas seulement pour de basses considérations politiques…

L’exemple de l’A400M est tout aussi flagrant. En 1996, les gazettes évoquaient la commande possible de 75 avions par Berlin. Le chiffre avait de quoi faire tiquer les observateurs les plus myopes, l’Allemagne intervenant peu en dehors de ses frontières. Sous la pression des Verts, présents au sein de la coalition au pouvoir, une réduction importante était envisagée au début des années 2000. Le chiffre officiel descendait à 73, mais il était alors de notoriété publique que Berlin envisageait de passer à 60, ce qui fut fait dès 2003. Et déjà des Cassandre prévoyaient une réduction supplémentaire, vers 55 ou 50 avions… Ce fut chose faite en 2009, avec un passage à 53 avions à l’issue de négociations homériques entre les gouvernements et EADS pour remettre le programme A400M à flot.
La presse économique évoque donc aujourd’hui une réduction supplémentaire à 40 avions. Au risque d’ailleurs, pour Berlin, de payer de lourdes indemnités à EADS. Un article du Financial Times explique que les Allemands pourraient essayer de limiter les pots cassés en revendant les avions surnuméraires. Mais si ces avions devaient être revendus en dehors des pays déjà clients de l’A400M, ils viendraient mordre sur le marché export. Des ventes à l’export jugées indispensables par EADS pour éponger les frais de développement de son bébé joufflu. Le constructeur tablait au début du siècle sur un marché potentiel, hors Europe, de 400 avions de transport modernes. Un seul client s’est pour l’instant décidé en faveur de l’A400M : la Malaisie, avec quatre avions.

Le cas de l’A400M est emblématique, parce qu’il n’est pas nouveau. Il y a 50 ans, l’Allemagne avait eu un comportement similaire pendant le programme Transall mené en collaboration avec la France. Berlin avait dans un premier temps affiché un besoin pour 110 avions : il s’agissait officiellement de disposer d’une flotte importante pour transporter rapidement des troupes vers la frontière orientale du pays, en cas d’agression communiste. Le partenaire français comprit rapidement qu’il s’agissait avant tout d’accaparer une part proportionnelle du plan de charge industriel. Dès 1967, le partage industriel étant fait, l’Allemagne essaya de réduire sa commande de 110 à 60 avions seulement. Le gouvernement français ne cédant pas, Berlin trouvera finalement une porte de sortie en revendant vingt avions neufs à la Turquie… La Turquie ayant déjà commandé dix A400M et affichant une plus grande autonomie de décision qu’au temps du Transall, il sera cette fois plus difficile de lui refiler des queues de programme. Sauf à brader les avions…

Frédéric Lert

En passant d'emblée une grosse commande, l'Allemagne s'est accaparé une part importante du plan de charge industriel de l'A400M
Airbus tablait à l'origine sur un marché de 400 exemplaires pour son A400M
Au final, l'Allemagne pourrait se contenter de seulement 40 A400M
L'Allemagne a commandé 177 Eurofighter. Elle pourrait en conserver que 140.
En définitive, l'Allemagne pourrait ne conserver que 80 des 122 NH90 initialement commandés
La commande de Tigre UHT pourrait être divisée par deux.
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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
    Bravo pour le jeu de mots d'ouverture. Il fallait oser. Quant au fond du débat je ne suis pas qualifié, mais le soupçon d'avoir gonflé la commande initiale pour accaparer les retombées industrielles me semble relever du procès d'intention. Tous les pays d'Europe subissent la même contrainte budgétaire et le choix Allemand n'est pas incohérent.
    Dakota 91

    • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
      Espérons que, malgré les coupes budgétaires, le général n'est pas arrivé à pied...
      Plus sérieusement, cet article est une remarquable mise en perspective.

  • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
    Cela n'empêche pas de penser que la France a demandé beaucoup d'efforts à Merkel et aux allemands (qui n'ont pas appréciés) afin de "sauver" la Grèce...C'est peut-être le prix à payer....

  • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
    Le nombre d'exemplaires d'A400M avait déjà été réduit à 40, voir par exemple cet article, du 26 janvier 2011 :

    http://www.marianne2.fr/blogsecretdefense/Moins-d-A400M-pour-la-Luftwaffe_a114.html

    "Les 13 appareils supplémentaires devront être revendus à un autre client, qui reste, pour l'heure, à trouver. "

    avec un accord avec EADS pour revendre les 13 avions en surnombre (EADS avait annoncé, dans les négociations très dures, que le nombre commandés ne pouvait être inférieur à 170).

  • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
    La technologie atteint son paroxysme dans sa propre course.
    À force de "se" vendre cher, on fini par ne plus se vendre et les plus gros portes-feuilles d'acheteurs en pâtissent aussi.
    Et ce n'est pas le cas uniquement pour des avions ou des hélicoptères !

  • A400M : l’Allemagne referait-elle le coup du Transall ?
    Tous les pays européens ont effet revu le budget militaire à la baisse. Même la suissse pensent à acquuerir de nouveau avion de type Eurofighter mais avec un nombre d'exemplaires moindres que celui initial.

    Un pays comme l'Allemagne est dans la tourmente de la crise économique mondiale et des soucis des dettes de l'union Européenne, rien de plus logique à réduire leurs achats. Cela risque d'être au détriment de EADS, mais les autres constructeurs du secteurs militaires sont tous dans le même tourmente.

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