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Défense

Comment l’armée de l’air repense sa filière chasse avec le Pilatus PC-21

Published by
Frédéric Lert

Le PC-21 qui arrive à Cognac va révolutionner la formation des pilotes et navigateurs de combat français. Grâce à une place plus importante accordée à la simulation, y compris la simulation embarquée, mais aussi aux performances intrinsèques de l’avion suisse, le cursus a entièrement été remis à plat. Si le PC-21 est à la hauteur de sa réputation et si le pari du partenariat public-privé produit les économies escomptées, la transition vers le Rafale pourrait être simplifiée et l’Alphajet passer totalement à la trappe…

Ces dernières années, la formation des pilotes de combat de l’armée de l’Air s’est articulée suivant quatre phases : la phase 1 d’initiation sur Cirrus à Salon, la phase 2 à Cognac (avec les phases 2A d’entrainement basique sur Grob 120 et 2B de pré spécialisation chasse sur Epsilon), la phase 3 d’apprentissage de la chasse sur Alphajet à Tours et enfin la phase 4 d’apprentissage du combat sur Alphajet rénové à Cazaux.

Rationaliser la formation des élèves pilotes de combat

Quatre phases, quatre bases et un peu plus de quatre avions pour certains vieillissants… Une remise à plat s’imposait et ce fut tout l’enjeu du projet d’abord intitulé Cognac 2016. Devant le glissement du calendrier mais aussi son changement d’envergure le projet changea de nom pour s’appeler FOMEDEC (Formation modernisée et entraînement différencié des équipages de combat).

On va la faire courte : avec la mise en place d’un nouveau système de formation adossé à un nouvel avion, l’armée de l’Air souhaitait rénover sa filière chasse, rénover totalement les phases 2B et 3 dans un premier temps, la phase 4 ensuite, faire des économies tout en retrouvant de la cohérence dans l’enchainement des phases et en modernisant sa flotte d’avions école.

Un coup d’œil sur Wikipedia permet une comparaison intéressante entre le PC-21 et… le P-51 Mustang. L’envergure du premier fait la longueur du second, et vice-versa. Les puissances sont assez comparables mais la masse à vide du Pilatus, à 2.270kg, est inférieure de 1.200 kg à celle du P-51D. La messe est dite ! © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Le général Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air, en conversation avec deux des primo formateurs. Au premier plan, on aura reconnu un jeune ancien du F1…© Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Le favori du chef d’état-major…

Un sacré programme dont la clef de voûte tenait dans le remplacement des Epsilon et des Alphajet des phases 2B et 3 par un avion moderne et économique, permettant de préparer efficacement au Rafale. Plusieurs appareils furent alors pressentis, et notamment le BAe Hawk, l’Aermacchi M346 Master et le Pilatus PC-21.

Le premier offrait un gain insuffisant par rapport à l’Alphajet, le second était trop cher. Le troisième emporta tous les suffrages : bon marché par rapport à un jet, très moderne, offrant de bonnes performances. Le général Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’Air de 2012 à 2015, évoqua alors sans fard sa préférence pour l’avion suisse.

Au-delà des qualités propres de l’appareil, le remplacement des Epsilon et des Alphajet de Tours permet aujourd’hui de fusionner les phases 2B et 3 avec un même avion sur une même base. Gain de temps pour les élèves et l’institution, premier niveau d’économie.

Un coût d’exploitation fortement réduit

Deuxième niveau d’économie avec un turbopropulseur marié à une hélice pour remplacer les deux réacteurs de l’Alphajet. Le coût d’exploitation du Pilatus serait cinq fois moins élevé que celui de l’Alphajet.

L’emploi d’un avion à hélice pour préparer au Rafale pourrait sembler incongru. Mais l’incongruité n’est que de façade : avec ses 1.600 cv pour 3.100 kg au décollage (masse max), le Pilatus offre de belles performances. Mach 0,72 de vitesse max, -4/+8G en voltige… « Il est aussi très impressionnant en manœuvrabilité et remarquablement pensé, explique l’un des premiers pilotes français formé dessus. Une réduction des gaz entraine par exemple automatiquement la mise en drapeau, ce qui préserve l’inertie de l’avion et évite l’effet d’aérofrein habituel des avions à hélice. »

Six avions sont déjà arrivés à Cognac et ils sont l’objet de toutes les attentions de la part des élèves et des instructeurs de l’école de pilotage de l’armée de l’Air. Un nouvel avion à Cognac, c’est pas tous les jours… © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Avec 1.200 livres de carburant à bord, le PC-21 offre environ 1h30 d’autonomie. Voilà pour les jambes. Mais ce qui compte le plus, c’est la tête. Et là aussi le Pilatus fait forte impression.

Système de simulation embarqué

« Il ne manque rien à l‘avion, explique-t-on à Cognac. Son système de simulation embarqué permettra d’entrainer les futurs pilotes de combat comme s’ils étaient à bord d’un Rafale ». Dans l’avion, l’élève dispose en place avant d’un véritable affichage tête haute (l’instructeur a face à lui un répétiteur), et trois larges écrans à cristaux liquides. Il peut donc déjà se familiariser, en les simulant, avec l’emploi d’un radar et d’armements air-air ou air-sol.

Combat, simulation de menace, préparation et restitution de missions, les élèves de Cognac accèderont très rapidement au cours de leur formation à un niveau de sophistication qu’ils ne pouvaient connaître auparavant qu’en arrivant en escadron de transformation opérationnelle. L’avion est en outre compatible avec l’utilisation de jumelles de vision nocturne.

« C’est une évolution indispensable » rappelait le général Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’Air le 2 octobre 2018, lors de la cérémonie officielle d’accueil du PC-21 sur la base aérienne de Cognac. « Face à des menaces qui se renforcent et se complexifient, il faut que nos pilotes gagnent rapidement un bon niveau de polyvalence ».

Trois entraîneurs de vol, alias PTT pour Part Task Trainer, sont prêts à être réceptionnés. Un outil formidable pour la mécanisation, l’entrainement à la navigation et à la gestion des pannes etc. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

L’école abrite également deux simulateurs de missions comprenant une cabine fixe installée sous un dôme couvert par une image remarquable de précision et de réalisme. Les deux simulateurs et les trois entraîneurs peuvent être mis en réseau. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Partenariat public-privé

Après le choix du PC-21, l’autre innovation du poids tient dans le partenariat public-privé mis en place pour le financement du nouvel avion, de sa maintenance et de tout son environnement. L’armée de l’Air signe avec la société Babcock (à laquelle s’associe Dassault Aviation) un contrat de service pour une durée de huit ans, portant sur la mise à disposition de 17 avions, de moyens de simulation (deux simulateurs de missions et trois entraineurs de vol, tous fournis par l’entreprise canadienne CAE), des outils de préparation et de restitution de mission, ainsi que les infrastructures associées.

Le volume d’heures de vol annuel prévu est de l’ordre de 11.500 heures de vol, mais il pourra le cas échéant, au prix d’une consommation plus rapide des potentiels, monter jusqu’à 15.000 heures. Coût total du projet pour l’armée de l’Air : 500 millions d’Euros.

Optimiser l’emploi de la flotte de 17 PC-21

Mais à l’issue, comme dans un contrat de location-vente automobile, l’armée de l’Air sera propriétaire des avions et des simulateurs. « Le contrat passé incite le fournisseur à faire preuve d’efficacité en s’engageant précisément sur le nombre d’heures de vol fournies et d’avions disponibles » explique-t-on du côté de la DGA. En d’autres termes, pour emporter le marché et serrer les prix, Babcock a calculé au plus juste le nombre d’avions nécessaires : 17 achetés pour en mettre en ligne 14 tous les matins sur le parking de Cognac.

A comparer aux 150 Epsilon qui furent commandés par la France dans les années 1980 ! Autre temps, autres mœurs et autres besoins…

Les Pilatus PC-21 seront aussi moins nombreux en raison d’un plus grand recours à la simulation, troisième niveau d’économie. Les élèves des phases 2B et 3 consacraient jusqu’à présent environ 20% de leur formation en simulateur. Ce chiffre doublera avec le Pilatus : l’armée de l’Air prévoit 30 heures d’entraineur de vol, 70 heures de simulateur de mission pour environ 135 heures de vol « réelles ».

Le chef d’état-major de l’armée de l’air, au centre, avec à sa droite le commandant de la base de Cognac et entouré par les représentants de Pilatus et Babcock. © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Mise en place progressive de la formation sur PC-21

Le volume d’heures disponible est pour l’instant dimensionné pour former une soixantaine de navigants par an : trente pilotes pour l’armée de l’Air, dix pour la marine, dix navigateurs de combat et dix instructeurs. Car si les huit premiers primoformateurs ont été qualifiés sur l’avion par Pilatus, les suivants le seront directement à Cognac. La plupart proviendront directement de l’école avec une expérience préalable de l’Epsilon.

Le changement d’avion sera motivant, sans aucun doute. A noter que deux des primo-instructeurs officiaient déjà sur PC21 avant de rejoindre Cognac : le premier en Suisse et l’autre aux Emirats Arabes Unis. La mise en route progressive de l’école va se poursuivre avec l’arrivée, la semaine prochaine, de quelques pilotes en provenance des forces qui joueront le rôle des élèves, depuis la place avant de l’avion. Ces « cobayes » permettront aux instructeurs de prendre leurs marques en jouant des missions d’instruction depuis la place arrière de l’avion.

L’Alphajet a-t-il encore une place dans l’armée de l’Air ?

Dans le même temps, les livraisons vont se poursuivre, au rythme de deux nouveaux avions toutes les deux semaines. Les 17 appareils commandés seront en place à Cognac en janvier 2019 et la première promotion d’élève embarquera sur le Pilatus en mai ou juin 2019. Elle terminera sa formation, équivalente à la phase 3, une année plus tard.

Se posera alors la question de la phase 4 : les élèves continueront-ils sur Pilatus ou iront-ils à Cazaux sur Alphajet ? La question reste posée à ce jour. Les Alphajet de Cazaux ont encore une dizaine d’années de potentiel devant eux, donc l’urgence n’est pas technique.

La vraie question est celle de la cohérence : le passage du PC-21 à l’Alphajet rime plus avec régression qu’avec progression. Inversement, passer directement du PC-21 au Rafale ou à tout autre avion de combat moderne est un non évènement : les Suisses font passer leurs jeunes du PC-21 au F/A-18 et un jeune élève français a suivi sa formation en suisse avant d’être versé dans un escadron de Rafale, sans passer par la case Alphajet. Il n’a pas été traumatisé…

Frédéric lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Sauf erreur, en son temps, la Socata a lancé l'Omega dans les année 90. Biplace très élégant avec un domaine de vol étendu, c'était un turboprop issu de l'Epsilon avec une turbine Turbomeca je crois me souvenir. Je ne pense pas que l'Omega puisse être comparé au PC21 sur bien des aspects sans doute mais j'aurais bien aimé voir encore voler les belles formes de l'Epsilon. Pourquoi l'Omega n'a t il pas percé à une époque où les PC et autres Embraer eux perçaient et ont naturellement évolué au fil des temps ?

    • Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Socata_TB-31_Om%C3%A9ga
      L'Omega a volé en 1989, sur la base du proto du TB-30 Epsilon modifié (turbinisé + sièges éjectables). Il a perdu la compétition face à l'Embraer 312 Tucano pour équiper l'armée de l'air. Le Tucano, plus gros et disponible sur étagère et déjà éprouvé, a été préféré.
      L'Oméga a également perdu des marché face au Pilatus PC-9 (ancêtre du PC-21) auquel il peut-être comparé.
      Dommage, il est très joli le TB-31...

  • Produisons et achetons Français.
    Combien de Mirage 2000 et Rafales ont été achetés par la Suisse…?

    Remarquons, la Suisse nous a hébergé ou nous héberge encore quelques exilés fiscaux...nous devons bien leur renvoyer l'ascenseur.

    Je suppose que ceux qui ont favorisé ou signé ce contrat sont des Européens convaincus….!

    • Quel reflet d'intelligence et de réflexion que dévoile ce commentaire puissamment constructif!
      Dire que ce site censure à tout va et laisse passer de telles inepties....ridicule!

    • En fait, la réponse à tout cela est que le PC-21 répond à la demande actuelle et qu'il est dispo sur étagère. La question du remplacement de l'Alphajet se pose depuis 20 ans et personne n'a répondu ou n'a encouragé voir commandé à nos avionneurs un avion de la sorte. Dassault doit bien être capable de sortir une cellule de ce genre et Turbomeca (Safran HE) est capable de nous faire le moteur.
      La réponse, on l'a crut venir du Macchi 346 ou de son cousin le Yak 130, mais ils ne conviennent pas au besoin réel, plutôt à la philosophie actuelle de l'entrainement sur des avions simples et peu couteux à l'heure de vol mais représentatifs de la gestion de mission. Et oui, tout comme les avions de ligne, on refuse au pilote le droit de piloter, juste de gérer sa mission... L'avion volant tout seul, c'est bien connu...

      • Le Rafale est entrain d'être évalué pour le nouveau avion de chasse ici en suisse. Et la suisse a aussi longtemps eu une flotte de beau Mirage IIIC :)

      • En tant que pilote, je regrette que le pilotage se réduise dans ces avions modernes...
        Mais force est de constater que l'humain a une responsabilité importante dans les crashs, et que les statistiques parlent en faveur de ce qui existe aujourd'hui....
        Le reproche majeur que j'ai, c'est le manque d'heures de vol sur appareil de ligne sans passagers.
        Je m'explique, dans une situation comme le crash de l'A330 AF entre le Brésil et Paris, un pilote qui sait voler cet avion manuellement n'aurait probablement pas fait ces mêmes erreurs qui ont mené au décrochage de l'appareil !

  • 11500 h ou 15000 heures annuelles avec 17 avions.
    Ils ne vont pas être trop fatigués, ni les avions ni les pilotes. Cela fait une moyenne mensuelle de 60 à 90 heures, soit entre 3h et 4,5 heures par jour et par avion car on ne vole pas le week-end dans l’armée de l’air en école.

    • Ben ça fait un vol le matin et un vol l'après-midi, avec à chaque fois une mise en œuvre de l'avion et des vérifs au retour, plus avitaillement et mise en condition (suivant la mission, bidons, nacelles externes, niveau de carburant demandé, etc...). de quoi occuper les mécanos à plein temps.
      Si ces avions montrent un taux de disponibilité de deux vols par jour tout les jours, ce sera un excellent résultat que pourront envier bien des avions...
      Je ne parle même pas des élèves qu'il faut briefer avant le vol, debriefer après, et dont la formation ne tient pas au fait du nombre d'heure de vols mais de ce qu'elles contiennent et de leurs qualités. Si un élève fait en moyenne un vol par jour, c'est déjà très beau !

  • En tout cas, ce Pilatus a une bien meilleure "gueule" que l'Epsilon, hélas pour notre industrie. Quant à l'Epsilon, il va rejoindre les rangs des amateurs de Warbirds hollywoodiens aux USA. C'est peut-être une fin inespérée pour cet avion raté.

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