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Défense

La saga des pointeurs laser sur les hélicoptères de l’Alat

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Frédéric Lert

L’utilisation d’un pointeur laser sur les Gazelle Viviane et les Tigre de l’Alat est interdite en France. Elle est pourtant courante en Opex. Kafka et Courteline auraient adoré…

Jean S., créateur de la société Desman, a commencé son association avec le laser en concevant un effaroucheur à oiseaux. Une argutie règlementaire a mis un terme à la carrière de cet équipement. Installée dans les Pyrénées, à proximité de Pau et du 4ème RHFS (Régiment Hélicoptères des Forces Spéciales), la société Desman conçoit alors un « sur-gant » porteur d’un laser infrarouge de pointage. Le « sur-gant » est aujourd’hui vendu à plus de 100 exemplaires auprès de l’Alat française et de l’armée belge. Puis sont venus les pointeurs laser montés sur les viseurs des Gazelle Viviane et des Tigre HAP de l’Alat. Et là sont arrivés les ennuis…

Absence de pointeur laser infrarouge

Les viseurs Viviane des Gazelle SA342M1 ou les Strix des Tigre HAP permettent une identification des cibles et une visée, de jour comme de nuit. Dans le cas du Tigre, le canon de 30mm monté en tourelle est asservi au Strix et au viseur de casque du pilote. Mais il manque à la Gazelle et au Tigre un pointeur laser infrarouge permettant, en combat de nuit, de désigner précisément, sous JVN, l’endroit où « regarde » le viseur.

L’emport du pointeur laser sur la Gazelle Viviane est désormais autorisé. Son emploi ne l’est toujours pas. Kafka n’est pas mort… © Frédéric Lert / Aerobuzz.fr

Le handicap est criant par exemple lorsqu’il s’agit d’expliquer à un autre appareil ou à des combattants au sol où se situe précisément la cible visée. « Sans pointeur laser, il faut en moyenne deux minutes pour arriver à désigner une cible de nuit » explique Jean S. « Avec mon pointeur laser, vingt secondes suffisent, c’est un chiffre démontré par des essais officiels. Une centaine de secondes de gagnées, c’est considérable en situation de combat ! ».

Dans l’attente de l’autorisation d’emploi

La société Desman a commencé à travailler sur le sujet en juillet 2007, en concevant un pointeur très compact, fixé sur le toit des tourelles Viviane et, plus tard, Strix. Le laser est commandé par radio depuis un boitier installé dans le cockpit. Le 22 décembre dernier, après 9 ans et demi d’efforts, la DGA a enfin consenti à autoriser l’installation de l’équipement sur le viseur Viviane des Gazelle. Avec un sérieux bémol toutefois : si le pointeur peut être installé, il ne peut pas être utilisé ! Une broche tout ce qu’il y a de plus officielle empêche encore de basculer l’interrupteur de mise sous tension sur « ON ». « L’autorisation d’emploi devrait peut-être arriver dans quelques semaines » tempère Jean S.

Petit boitier noir à peine visible installé sur le viseur Strix, le pointeur laser est utilisé uniquement par les forces spéciales en opex. « D’une bonne idée, les Américains font un business, les Chinois une copie et la France un règlement… » © DR 

L’histoire devient encore plus rocambolesque avec le Tigre HAP. Aujourd’hui encore, le montage et l’emploi du viseur sont strictement interdits en France. « Monter un équipement de plus de 600g sur la tourelle optique du Tigre induit des changements de masse, des risques de vibrations pendant le vol et pendant le tir explique une source proche du dossier. Sous le viseur, on trouve également un environnement électromagnétique contrôlé nécessaire au géoréférencement des viseurs de casque de l’équipage. Tout ceci fait qu’une intégration complète du pointeur laser serait nécessaire. Mais on se retrouve à gérer des intervenants différents, Safran pour le viseur Strix, Thales pour le casque Topowl et le HMDS (Helmet Mounted Sight Display), Airbus Helicopters pour l’hélicoptère lui même… Et au milieu de ce nœud gordien, un ministère de la Défense qui est en porte à faux entre un besoin opérationnel avéré et des problèmes de certification de l’intégration du pointeur ».

Une guerre commerciale franco-française larvée

En d’autres termes, les parapluies s’ouvrent et les poids lourds du secteur font feu de tout bois pour protéger leur pré carré contre une TPE qui vient brouter sur leurs platebandes. Les forces spéciales du 4ème RHFS font toutefois l’acquisition de quelques exemplaires pour les utiliser en opération dans le Sahel. En temps de guerre, parce que c’est bien comme cela qu’il faut qualifier les opérations dans le Sahel, nécessité fait loi et pas forcément bon ménage avec les règlements. « Les pointeurs utilisés en Opex sont très proprement montés par les techniciens et donnent toute satisfaction sur le Tigre HAP poursuit notre interlocuteur. Mais ce montage se fait sous la seule responsabilité du commandant de la force locale. Si un jour il y a un problème c’est lui qui portera cette responsabilité ».

Le besoin pour un pointeur laser utilisable pour la désignation laser des cibles, de nuit, est apparu avec les premières opérations de l’Alat en Afghanistan. Dix ans et quelques guerres plus tard, l’équipement se fait toujours attendre… © Frédéric Lert / Aerobuzz.fr 

En mars dernier, pendant le salon Sofins consacré aux forces spéciales, Jean S. avait avec lui un de ces pointeurs laser livrés aux forces spéciales : « Il m’est revenu pour révision après 1000 heures de vol ! Les Tigre volent sans arrêt avec dans le Sahel, sans aucun problème… » Un avis partagé par les équipages de Tigre des forces spéciales : « le pointeur laser est une aide indispensable pour le combat de nuit. C’est un équipement qui fonctionne parfaitement, qui nous fait gagner du temps et de la sécurité dans les engagements ».

En Opex on fait la guerre, en France on fait de la paille. Cherchez l’erreur !

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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