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Out of Australia

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Frédéric Lert
par Frédéric Lert

Un sous-marin, on ne le voit pas et on ne l’entend pas, sauf quand il crève la surface dans une grande gerbe d’écume. C’est ce qui vient de se passer en Australie avec le programme Shortfin Barracuda qui a refait surface en éclaboussant la planète entière. L’Australie s’était prononcée en 2016 en faveur de ces sous-marins français à propulsion classique. Cinq ans et quelques dizaines milliers d’heures d’études plus tard, elle tourne le dos à Paris, sous l’amicale pression de Londres et Washington.

Doit-on être surpris ? Pour qui s’intéresse à la sphère aéronautique en général, au programme Rafale en particulier, la réponse est non.

Qu’on se souvienne : en 2000, la Royal Australian Air Force donna le coup d’envoi du projet Air 6000 portant sur le remplacement simultané de ses F-111 et F/A-18 par un seul type d’avion polyvalent. Super Hornet, Typhoon, Rafale et F-35 étaient pressentis pour la compétition. Moins de deux ans plus tard, avant même que débutent les évaluations officielles, le projet Air 6000 fut abattu en plein vol par le gouvernement australien qui décida de rejoindre le programme F-35 comme partenaire.

L’affaire avait le mérite de la clarté : les avionneurs ne s’étaient pas épuisés dans une compétition stérile à l’autre bout du monde, le bilan carbone était plutôt bon.

Dans son malheur, Dassault Aviation avait finalement eu plus de chance que Naval Group.

En choisissant le F-35 en 2002, les Australiens s’engageaient corps et âme en faveur d’un avion qui ne volera pour la première fois que quatre ans plus tard. On peut appeler ça de la confiance.

Depuis cette époque, les chefs d’état-major successifs de la Royal Australian Air Force ont chaussé leurs lunettes de soudeurs et ont solidement arrimé leur ile au continent nord américain. La RAAF ressemble aujourd’hui à une vitrine de l’US Air Force et de l’US Navy : F/A-18E/F Super Hornet, F-35A Lightning II, EA-18G Growler, E-7 Wedgetail, P-8A Poseidon, C-17, C-130J, et drones Global Hawk et Reaper en commande. La liste est longue… Exception qui confirme la règle, le choix australien en faveur de l’Airbus A330 MRTT (KC-30A).

L’année même du choix australien en faveur du F-35A, en 2002 donc, la Corée du Sud optait, quant à elle, pour le F-15K, au détriment du Rafale dont il se disait pourtant qu’il était le mieux placé techniquement. Trois ans plus tard, en 2005, c’est Singapour qui écartait également le Rafale au profit du biréacteur de Boeing.

Australie, Corée, Singapour : les Etats-Unis se considèrent chez eux en Asie Pacifique et ne prennent pas de gants pour le faire savoir. Et pourtant Dassault Aviation n’a jamais relâché ses efforts : en juin dernier, l’Indonésie signait une lettre d’intention portant sur 36 Rafale.

Quand le sous-marin plonge, l’avion décolle. C’est dans l’ordre des choses.

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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  • Je voudrais ajouter un petit point. Malgré mon nom et prénom à consonance franchement étrangère et le fait que je sois installé depuis plus de dix ans de l'autre côté de l'Atlantique, je souhaite exprimer ma fierté de la France (il est plus facile d'être patriote à distance, je l'admets).

    La France s'est prise un "vent" phénoménal avec ce contrat, c'est vrai.
    Mais si on fait la liste des pays capables de produire des sous-marins, nucléaires de surcroit, il n'y en a pas tant que cela. À y réfléchir de plus près, malgré des débouchés à l'export de plus en plus difficiles, l'industrie française de l'armement reste en pointe, que ce soit dans l'air, sur terre ou sur mer.

    Alors ceci est mon petit hommage aux personnes qui travaillent dans l'industrie française (pas que de la défense). J'ai eu la chance de travailler pour deux entreprises du secteur (Thalès et Dassault aviation), et bien loin des clichés sur les 35 heures, j'y ai vu des collègues ultra-compétents, passionnés, qui donnaient vraiment de leur personne, parfois hélas jusqu'au "Burn Out".

    J'imagine la déception de tout le personnel qui attendait ce contrat, et je leur exprime tout mon soutien, qui n'est malheureusement que moral.

  • Pour mieux comprendre ce qu’il se passe avec les États-Unis (ou même l’Amérique du Nord), il faut parfois sortir un peu d’internet et fouiller dans des littératures diverses (je le précise pour réduire le risque d’alertes « Complotiiiiiiisme » qui sont si à la mode en ce moment, dès lors que l’on fait face à quelqu’un qui pense connaitre le sujet, mais qui ne le maitrise pas vraiment.)

    L’Amérique du Nord s’est enrichie des deux dernières guerres. Certes les États-Unis et le Canada ont envoyé des hommes en Europe, mais d’une part, ce n’était pas un service gratuit, d’autre part, ils n’ont jamais vraiment été touchés sur leur territoire.

    Petit rappel historique : Hawaï (et donc Pearl Harbor) n’a été intégré à l’Union qu’en 1959, devenant ainsi le 50ᵉ état, mais en 1941, il s’agit d’un territoire Outre-Mer, plus proche d’un parking à navires militaires, qu’un haut lieu du tourisme qu’il est devenu maintenant (toujours hautement subventionné par la forte présence militaire)

    Donc, quand on fait la guerre chez les autres, on récupère de l’argent pour service rendu, diverses réparations de guerre et cerise sur le gâteau, des intérêts, car on prête de l’argent pour la reconstruction de l’Europe.

    Bref, dans les années 50, Canada et États-Unis (sans doute l’Australie aussi, mais je ne connais pas le sujet, alors je m’abstiendrai) voient une très forte croissance qui leur permet de vivre plus que confortablement, sans être très productifs. Alors tout va bien pendant des décennies, on pousse la consommation jusqu’à l’absurde, on achète des cerveaux et de la main d’œuvre partout dans le monde, on vit dans une relative insouciance malgré la Guerre Froide (encore source de business et de soussous), et on permet même aux petits français de vendre du Mirage à l’Australie ou encore d’échanger du matériel électronique Thomson contre des bulbes de tulipe avec l’Albanie communiste.

    Bref, c’était le bon vieux temps, mais les réparations de guerre ne sont pas éternelles, et sans un conflit mondial rémunérateur, ou même une tension façon guerre froide qui permettrait de faire bloc face à un ennemi commun bien identifié, quand on a vécu plus de 50 ans comme la cigale, l’argent finit par manquer.

    Et c’est ce qui arrive : les Américains sont aux abois. Hors de question de laisser les franco-allemands vendre des ravitailleurs à l’armée US, et même en dehors, il faut maximiser les rentrées d’argents vers les États-Unis, coûte que coûte.

    De même et de l’aveu des responsables du projet F-35, le but n’est pas de faire un avion extraordinaire, mais juste d’asphyxier l’industrie aéronautique européenne, en empêchant d’une part certains pays qui en sont capables, de produire (Royaume-Uni, Italie, Allemagne…) et d’autre part de fermer les marchés potentiels à ceux qui subsistent (France).

    Tout est prévu jusqu’au moindre détail ; même l’adhésion à l’OTAN qui est plus proche d’un abonnement à France Loisir, avec ses obligations d’achat, que d’une réelle union de défense.

    À titre d’exemple, Dassault ne peut pas produire le Rafale sans donner des sous à l’Oncle Sam. Qui dit OTAN, dit liaison 16, qui dit liaison 16, dit brevet américains et royalties à payer. Les exemples de ce genre sont pléthore.

    Donc compte tenu de la situation économique américaine qui n’est pas fameuse, et qui ne risque pas de s’améliorer d’elle-même, puisqu’ils n’ont plus les moyens d’acheter des cerveaux comme avant, ni même les garder, les Américains seront de plus en plus agressifs sur les marchés internationaux, notamment de l’armement.

    Tout ce que je raconte devrait normalement être assez simplement vérifiable, pour qui est un minimum curieux.

    • Bien résumé et bien écrit, merci.
      Juste un bémol à mon sens (je les ai beaucoup fréquenté) : ils font toujours venir des cerveaux de pays étrangers car le rêve américain fonctionne encore, l'attrait du billet vert aussi, ce qui permet de compenser le niveau incroyablement faible de leur propre jeunesse dans les matières académiques "dures".

      • C'est bien possible. Après tout, si l'Amérique du Nord est sur le déclin, la bête est encore coriace.
        Il semble malgré tout que la situation aux États-Unis soit assez proche de celle du Canada et la qualité des cerveaux (cela me dérange un peu de parler des gens comme d'une marchandise, mais je n'arrive pas à l'exprimer mieux que cela) acquis est en baisse constante.

        Il y a des pays/régions plutôt ambitieux - je pense à Hong-Kong/Chine conti, Singapour, la Corée du Sud, le Moyen-Orient, incluant Israël... - qui se donnent le moyen de débaucher les meilleures recrues en leur offrant soit un salaire confortable, soit de meilleures conditions de vie, soit les deux.

  • C’était en 1985.

    L’ATR 42 commençait difficilement sa carrière, ce nouvel Avion de Transport Régional, bientôt certifié, n’était pour l’instant vendu qu’à une quinzaine d’exemplaires, et on commençait à se dire que si on en construisait 40, ce serait bien.
    On connaît la suite, la réussite exceptionnelle de ce programme, mais à l’époque, on ne la connaissait pas.
    Parmi les premiers clients, figurait une petite compagnie régionale australienne, dont j’ai oublié le nom, dont les représentants vinrent un jour à Toulouse voir leur avion sur la chaîne d’assemblage.
    Et là, enfer, horreur et damnation, l’appareil portait le numéro 13.
    En effet, les avions ont un numéro de série, on dit aujourd’hui MSN pour Manufacturer Serial Number, et l’avion australien, précédé des douze premiers avions de série, était donc le numéro 13.
    Les Australiens nous firent un gros scandale. Pas question d’acquérir un avion numéro 13, et encore moins question de le faire voler avec des passagers dedans.
    À l’usine, dans un premier temps, on crut à une blague, mais ça n’en était pas une.
    Les Australiens allèrent manifester leur désaccord dans le bureau du patron des usines de Toulouse, puis l’affaire arriva rapidement chez le patron d’Aérospatiale, partenaire majeur du programme, avec les Italiens d’Aeritalia.

    Problème insoluble. Dès le début de leur construction, les avions de ligne sont très personnalisés, bardés d’options et d’aménagements particuliers, selon les demandes de la compagnie cliente.
    Quasiment impossible, donc d’échanger un avion d’une compagnie contre celui d’une autre, ni d’échanger le numéro 13 contre un autre sur la chaîne, initialement destiné à un autre client.

    Après un long débat diplomatique dont on vous passe les détails , l’ATR 42 numéro 13 fut rebaptisé 12A . On vit donc sur la chaîne les numéros 10 , 11, 12, 12A, 14, 15, etc.
    Il n'y eut ainsi jamais d'ATR N°13.
    Les Australiens acceptèrent alors d’en prendre livraison, et cet avion connut par ailleurs une longue carrière, puisqu’après avoir changé plusieurs fois de propriétaire, le 12A volait toujours en Pologne il n’y a pas si longtemps.

    C’est pourtant simple, non ?
    En modifiant les numéros de série des sous-marins, les Australiens les auraient peut-être achetés, finalement…

    • L'histoire de l'industrie française est pleine d'anecdotes, parfois sympathiques, parfois croustillantes. Il y aurait vraiment de quoi faire un ouvrage.

      Merci pour ce partage

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