Publicité
Categories: Jobs

Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi

Published by
Gil Roy

Une récente étude de l’Université de Gand (Belgique), met en lumière le fait qu’un pilote sur six en Europe peut être considéré comme un travailleur «atypique», à savoir opérant pour le compte d’une agence de travail temporaire, en tant que travailleur autonome ou sous la forme de contrats à la demande et ce, sans salaire minimum garanti.

Il y a ceux qui paient pour voler, ceux qui sont mis à disposition d’une compagnie aérienne par une société de service, ceux qui se déclarent en travailleurs indépendants, ou encore ceux qui ne savent quand ils seront appelés pour une prochaine mission… Des chercheurs de l’Université de Gand (Belgique) ont évalué que près de 4 pilotes sur 10 âgés de moins de 30 ans sont aujourd’hui des travailleurs indépendants ou des intérimaires. Il ressort également de la récente étude qu’ils ont réalisée grâce à un financement de la Commission Européenne, qu’un nombre grandissant de pilotes vole sans aucun lien direct avec la compagnie aérienne pour laquelle ils opèrent, en particulier dans le secteur des compagnies à bas coûts. Pour l’ECA (European Cockpit Association ou Fédération européenne des associations de pilotes), « il s’agit clairement d’une forme de précarisation de l’emploi pilote ».

Cette enquête, basée sur la participation de plus de 6.000 personnes, conclut que plus d’1 pilote sur 6 en Europe peut être considéré comme un travailleur «atypique», à savoir opérant pour le compte d’une agence de travail temporaire, en tant que travailleur autonome ou sous la forme de contrats à la demande et ce, sans salaire minimum garanti.

Selon les chercheurs de l’Université de Gand, le statut de travailleur autonome est l’un des types d’emplois atypiques les plus répandus dans le secteur aérien. 7 pilotes indépendants sur 10 travaillent pour une compagnie aérienne à bas coûts. « Paradoxalement, ce type de « travail autonome » est parfois utilisé pour masquer ce qui est en réalité un emploi régulier de salarié ; une situation qui créé une distorsion de concurrence sur le marché au profit des compagnies aériennes qui utilisent ce système », estime l’ECA.

L’étude révèle également que près de la moitié des pilotes indépendants se déclare incapable de contester les instructions à caractère économique de la compagnie, même lorsqu’elles contreviennent à la sécurité. « La précarisation du travail dans l’aérien n’est plus une seule question de contournement des charges et impôts, elle soulève aussi de sérieuses inquiétudes quant à la sécurité des vols en général », avertit l’ECA.

Toujours selon cette étude, les jeunes sont les plus touchés par le phénomène : « 40 % des pilotes âgés de 20 à 30 ans volent désormais sans être directement employés par une compagnie aérienne ». L’ECA explique que ces jeunes pilotes « sont également confrontés à des situations où ils finissent par « subventionner » leur propre activité ; par exemple, en payant une compagnie pour utiliser ses avions afin d’acquérir de l’expérience. Ce principe, autrement appelé le « pay-to-fly », crée de potentiels conflits d’intérêts vis à vis de la sécurité et constitue une exploitation financière pure et simple des individus ».

Le marché de l’emploi des pilotes n’est pas épargné par l’ultra libéralisme qui s’est développé en Europe, sur les failles qui existent entre les systèmes nationaux de protection sociale, de fiscalité et de droit du travail. Les pilotes de ligne sont désormais logés à la même enseigne que les ouvriers du bâtiment ou les chauffeurs routiers. Faut-il s’en étonner ?

Il y a eu le temps des « seigneurs de l’Atlantique », aujourd’hui, le transport aérien est entré dans celui des « précaires ». Le phénomène n’est pas nouveau, sauf que désormais il tend à se banaliser. Avant, il y avait le « troisième niveau », aujourd’hui il y a le « low cost ». A l’époque, pour ceux qui n’empruntaient pas la voie royale, des chemins détournés permettaient tout de même d’intégrer à plus ou moins long terme une grande compagnie nationale. Aujourd’hui, les voies sont parallèles et, donc, par définition, ne se rejoignent pas.

Tant que la sécurité des vols ne s’en ressentira pas, tant qu’une série d’accidents aériens n’aura pas été imputée au mal être de pilotes qui n’arrivaient pas à boucler leurs fins de mois, la situation continuera à se dégrader. Les syndicats accuseront les « patrons-voyous » d’exploiter des pilotes prêts à tous les sacrifices pour voler. Confortés par des coefficients de remplissage des avions à 90%, les actionnaires en demanderont plus.

Tant que le premier critère de choix d’un passager aérien demeurera le prix du billet, il y aura des pilotes précaires dans les cockpits. Tant que les consommateurs se bousculeront pour faire les soldes, il y aura des gamins qui se tueront devant des machines à coudre au Bangladesh.

Gil Roy

Publicité
Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

View Comments

  • Un peu facile de faire porter le chapeau aux passagers qui veulent acheter le billet au prix le plus bas. Sérieusement ? Cela vous étonnes ? On ne va quand même pas demander aux passagers de devenir des économistes du transport aérien ...

    Les conditions n'ont pas l'air si horrible chez Easy jet ou Transavia (j'évite volontairement la poubelle RyanAir), alors certes, oui, il faut travailler, mais le concept de "low cost" n'est pas forcément le problème. Car oui, la voyage prout!prout! version AF n’intéresse plus grand monde.

    Le probléme n'est pas le voyageur mais la réglementation, tant que rien ne sera fait à ce niveau là et que des pratiques tel que le pay to fly seront autorisé, il n'y a rien à espérer.

  • La banalisation du low-cost ne peut qu'amener à de telles dérives. Problème, un jeune en 2017 trouve normal de payer 50 euros pour un vol Paris Rome. plus cher, c'est du vol!.
    J'ai toujours estimé qu'un vol en avion devait rester cher. Quand je balance ça dans une soirée, on me regarde avec curiosité, et le grand public en général ne comprend pas ma prise de position...trouvant géniaux les tarifs des Ryanair, Easyjet et autres...sans comprendre que cette tendance lourde tire l'ensemble du secteur vers le bas.

  • Un point sur le marché des "pilotes de ligne hélicoptères" notamment en offshore pétrolier serait également très intéressant. Notamment, depuis la chute du cours du baril de Brent, faisant à la fois le parallèle entre cette courbe et celle des carnets de commandes des hélicoptéristes (Airbus Helicopters, et autres ...), depuis les accidents AS332/EC225 et S92 en Mer du Nord, depuis la venue sur le marché de compagnies comme NHV et Babcock qui rafflent tous les nouveaux contrats en cassant les prix sur les marchés sacrifiant notamment les salaires des mécaniciens et pilotes, et enfin sur les nombreux licenciements effectués par les Bristow, CHC, Héli-Union, etc ...
    il y a beaucoup de matière à produire !

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Merci pour cette mise en lumière. Peut être était-ce le cas d'Andreas Lubitz?

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Bonjour a tous il y a une dizaine d'années j'ai contacté l'ECA pour leur exposer les problèmes auxquels je faisais face ( contrats à la noix de coco payés à Guernesay renouvelables ou non dépendant de ma docilité ) et ce avec la complicité du syndicat des pilotes de ligne local !
    Rien a faire il a fallu attendre que les différents états exsangues ayant besoin d'argent adoptent de mauvaises lois pour certaines ne prenant effet que 10 ans après.
    Et aujourd'hui ça continue car personne ne veut réellement que ça change.
    Bientôt il n'y aura plus que des compagnies non-européennes volant en Europe et celles qui resteront malgré tout ne seront plus en capacité d'offrir des contrats dignes de ce nom.
    Merci qui ?

    • Par ailleurs, il existe en France une obligation à cotiser à la CRPN (Caisse de Retraite du Personnel Navigant) pour les pilotes professionnels français, ou de contrat français ou de compagnie française ...
      Il serait intéressant que la DGAC ou un organisme indépendant motivé, effectue un audit sur toutes les entreprises concernées par la CRPN exploitant des avions ou des hélicoptères, qu'il s'agisse de pilotes, mécaniciens navigant, contrôleurs, stewards, personnels essais & réception (sachant que cette dernière catégorie est également à un taux de cotisation supérieure !) ...
      Là encore beaucoup de matière à découvrir et surtout afin de protéger les pensions alors même que le nombre de cotisants se réduit malgré la croissance globale du marché en nombre de passagers transportés !

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    regardez ce qui sont en dessous de vous ! ce qui aimerais volé ! vous n'étes pas a plaindre! vous aux moins vous pilotez et si j'etais vous j'irais a l'etranger type EAU par exemple

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Beaucoup de blabla!
    Avez vous une solution pour les jeunes pilotes qui veulent faire de la ligne?
    Comment faire pour avoir les 200 a 500h d expérience après leur qualif. Le pay to fly est une excellente opportunité. Les cies françaises sont bien heureuses de les recruter ensuite à coût modique.
    Aux USA les cies se servent dans le monde du travail aérien après s etre servi ds chez les Flight engineer.
    Seul quelques grandes cies ( certaines en difficultés) forment leur PNT. A regarder le taux d accident qd on compare il n y a pas parfois l épaisseur d une feuille de papier cigarette. L avantage des cie a contrat précaires est que les indésirables sont éjectés immédiatement. Pour la part ancien d une grande cie nationale je ne compte pas les caractériels ( certains prês du traitement psychiatrique) que j ai pu côtoyé et qui étaient invirables. Ces cie les traînent jusqu à la retraite. Seul endroit pour virer un indésirable le simu!! Ce sont des gens potentiellement dangereux car ingérable mais bons pilotes!!
    C est mon expérience et pas des fantasmes

    • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
      " Le pay to fly est une excellente opportunité. " ???!!!
      Non mais de qui vous moquez-vous pour sortir une énormité pareille ?
      Dans quel métier paye-t-on pour avoir sa place ???!!!
      Si en montant dans un avion j'apprends que l'OPL paye pour être en place droite, je vous garanti que je fais un scandale sans précédent !!!
      Moi, j'aurais honte d'oser véhiculer une idée pareille !!!
      Une boîte de margoulin située jadis dans l'est parisien a essayé de me vendre cette odieuse soupe, je ne leur ai pas envoyé dire ce que j'en pensais.
      Et ça ne m'a pas empêché de trouver un poste et d'être PAYÉ pour travailler !!!

      • A partir du moment où l'on préfère embaucher un pilote qui n'a pas la QT sur l'appareil exploité en ligne, et qu'on lui impose de faire cette formation en ATO interne à la compagnie, pour ensuite lui réduire son salaire afin de payer cette même QT ... et bien oui, ne vous en déplaise cela s'appelle du "pay to fly" ...

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Excellent, ton article, Gil !
    Simplement eut-il fallu ajouter que cet état des choses implique des devoirs aux syndicats de pilotes. Comme dans toute profession, le contre-pouvoir doit s'exercer face à l'ultra-libéralisme. Cela n'exclut pas le pilote - actionnaire, comme l'initia en son temps le visionnaire Christian Blanc. En conséquence, si le SNPL reste LE syndicat le plus représentatif des pilotes d'Air France, il a le devoir de fédérer jusque dans les low-costs et l'aviation d'affaire afin d'établir la solidarité entre les "intouchables" et les "précaristes". Les premiers pourront survivre s'ils laissent l'espoir aux seconds de les rejoindre un jour. Sinon, l'actionnaire, surtout s'il est quatari ou Us-fonds-de-pensionné, finira par remplacer tout le monde par des Roumains qui ne rechigneront pas à nettoyer les pare-brises avant chacun de leurs vols.
    J'espère que Pierre Sparaco lit tes interventions, et les approuvent de telle sorte que ça fasse du bien à sa santé.

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Avec la précarité au travail, la santé au travail à dire à temps réel, n'est pas observé. Et pourtant, il existe des pilotes fatigués voire épuisés par le rythme du travail. Il suffit d'observer ou dialoguer avec le personnel navigant en tant que passager pour saisir certains aspects. Si le low cost intéresse le consommateur, des remarques directes de personnels navigants sur ce sujet sont révélatrices.

  • Les pilotes de ligne n’échappent pas à la précarisation de l’emploi
    Si Air France n'avait pas massacré le marché intérieur Français en muselant tant de concurrents locaux que le champ libre fut laissé aux low cost avec des contrats Irlandais...tout çà pour en arriver à s'enfoncer malgré tout dans le rouge foncé....égoïsme et corporatisme sont parmi les détonateurs de cette situation ubuesque!

Recent Posts

A la guerre comme à la guerre !

© Vincent / Aerobuzz.fr Ainsi il semblerait que l’Ukraine ait transformé des ULM Aeroprakt A-22… Read More

28 avril 2024

SkyVibration intègre 4 turbines électriques sur une wingsuit

La société SkyVibration, basée à Chambéry, développe un système de wingsuit équipée de 4 turbines… Read More

27 avril 2024

Avec l’uchronique A60 Junkers Aircraft réinvente le passé !

En plus de ses répliques d'avions anciens, Junkers F13 et autres E50, Junkers Aircraft a… Read More

27 avril 2024

Margrit Waltz, la pilote aux 960 convoyages !

Margrit Waltz est une légende parmi les pilotes. Cela fait presque 50 ans qu'elle traverse… Read More

27 avril 2024

Un autogire Revo-lutionnaire !

Contrairement aux hélicoptères, les autogires ne peuvent pas décoller à la verticale. Du moins, c’était… Read More

26 avril 2024

Biblio – Cent pour sang

Un livre à lire avant de regarder la série Masters of the Air. Ou même… Read More

26 avril 2024
Publicité