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Industrie

Airbus conceptualise un futur cockpit monopilote

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Frédéric Marsaly

Est-ce la fin d’un tabou ? Airbus a lancé un programme d’études et de recherches autour du cockpit monopilote et ne s’en cache plus. L’objectif est de trouver des solutions pour alléger encore la charge de travail dans les postes de pilotage des avions présents et futurs ; une première étape avant le pilote unique ?

Le projet ATTOL, (Automatic Taxi Take-Off and Landing) est l’un des chantiers « Flight Demonstrators » en cours d’exploration au sein des bureaux d’études du constructeur européen. Son champ d’application vise bien évidemment les différents concepts eVTOL et Urbain Air Mobility qui saturent les média et les réseaux sociaux (à défaut des cieux urbains pour le moment) pour lesquels l’autonomie, au moins pour les phases de décollage et d’atterrissage, est essentielle.

Ce programme d’étude qui a débuté le 1er juin 2018 doit s’achever le 30 juin 2020 et selon Airbus : « est particulièrement avancé ! »

Mais au-delà des programmes futuristes l’objectif de la trentaine d’ingénieurs affectés à cette étude est d’aboutir à un concept réaliste. Il faut poser la contrainte la plus forte « et tirer la pelote jusqu’au bout. » Lorsque le temps sera venu, après juin 2020, un bilan sera tiré des expérimentations et un cadre de faisabilité existera alors.

Une maquette d’aménagement

Pour visualiser les spécificités d’un cockpit monopilote, les ingénieurs du projet ATTOL se sont attelés à la fabrication d’un poste de pilotage sur une structure en bois. Cette maquette à échelle réelle leur permet de travailler sur un point fondamental de la conception des cockpits, l’ergonomie. Un poste d’observateur, légèrement en retrait et sur la droite du pilote a néanmoins été créé afin d’apporter un point de vue différent et un peu de recul, à tous les sens du terme.

Différents scénarios ont ainsi été travaillés dans un premier temps faisant apparaître rapidement un premier point clé fondamental dans les opérations à un seul pilote, celui de l’observation extérieure. Dans un cockpit à deux pilotes, dans certaines phases de vol, si l’un des membres de l’équipage regarde les instruments, fouille dans la doc ou le cockpit, le deuxième doit impérativement scruter dehors. Comment résoudre ce problème pour un pilote seul ? Aux ingénieurs de trouver alors des solutions parmi les principes existants ou d’en imaginer d’autres, écrans déportés, casque à imagerie synthétique, et de les évaluer.

Palier l’incapacité du pilote

L’autre écueil évident aux opérations monopilotes est celui de l’incapacité temporaire ou définitive du pilote seul à bord. Des exemples en équipage à deux ont été répertoriés dans l’histoire du transport aérien. Si ces cas ne sont pas fréquents, ils doivent être pris en considération de façon impérative car ils entraînent une contrainte forte, un écueil technique incontournable. La sécurité prime !

Contrairement aux trains ou aux métros où le dispositif « de l’homme mort » entraîne par une simple action de freinage, un arrêt de la rame après 30 seconde d’inaction du conducteur, l’aérien doit prendre en compte le retour au sol, de façon autonome et en toute sécurité, de l’appareil et de ses occupants.

Il faut donc que l’aéronef se dirige vers une piste d’atterrissage adaptée, procéder à une descente selon les paramètres standards, s’aligner sur l’axe et se poser et ce, en prenant en compte les autres trafics éventuels mais aussi la possibilité d’une situation dégradée (météo, installations en panne – pas de recours à un ILS ou d’autres balises au sol par exemple).

L’exemple de l’automobile

En dehors de multiples redondances technologiques, une des pistes suivies par les ingénieurs du projet ATTOL est de s’inspirer de l’automobile. Un retournement de situation pas si anodin puisque pendant des décennies ce sont les progrès de l’aéronautique qui ont inspiré les véhicules terrestres.

Les voitures autonomes et électriques ne sont plus un fantasme et les HUD seront bientôt montés de série. Une voiture, aujourd’hui, est bardée de capteurs d’obstacles et de caméras permettant même d’effectuer des créneaux en automatique. Les impératifs de l’aéronautique sont proches, à une légère nuance près :

« Alors que pour une automobile, il faut détecter l’obstacle à 40 cm lors d’un stationnement, à 4 mètres lors d’un freinage à vitesse modérée, pour l’aviation, les ordres de grandeur sont très largement supérieurs. Une intrusion de piste doit pouvoir se détecter bien au-delà de 400 mètres ! Or, les capteurs permettant de la déceler n’existent pas encore vraiment, il faudra donc les développer. »

Exemple d’interprétation d’images, en haut de l’image, une intrusion de piste est détectée (rectangle vert) et signalée.  © F. Marsaly / Aerobuzz.fr

Capteurs et interprétation d’images.

Une des pistes suivies par l’équipe ATTOL et à laquelle se consacre la moitié des ingénieurs impliqués dans le programme est celle de l’interprétation des images : « les capteurs peuvent être des caméras, qu’elles soient télé, couleur, noir et blanc, mais aussi IR, tout est envisageable ».

Pour l’utilisation de l’image, il faudra passer par la moulinette de l’IA. Par exemple, il est déjà possible de faire la détection d’une piste, bande verticale avec des peignes, sur un enregistrement vidéo. Il reste néanmoins à localiser l’aéronef avec précision pour que les automatismes puisse choisir la bonne piste puisqu’on sait qu’elles n’ont pas toutes les mêmes caractéristiques et proportions et qu’il y a des perspectives trompeuses.

« L’enjeu principal, c’est la classification de l’information » explique un des ingénieurs de l’équipe, présent aux Innovations Days d’Airbus à Toulouse à la fin du mois dernier « On peut envisager les recalages avec les centrales inertielles de navigation et les GPS, mais nous devons absolument prendre en compte les situations dégradées et rendre l’avion autonome et autosuffisant en informations. » Et ce sont ces cas-là qui seront déterminants.

Des expérimentations en vol

L’étape suivante va être d’équiper un A350 de capteurs pour conduire quelques tests. Cet avion est une plateforme intéressante car il dispose déjà de très nombreux automatismes et pourrait très bien s’accommoder de capteurs supplémentaires. Le biréacteur est, entre-autres, déjà capable, en cas de dépressurisation et d’une inaction des pilotes, de mettre l’avion en descente pour rejoindre un niveau de vol respirable tout en tenant compte du relief survolé. Bases de données, intelligence artificielle, certains outils existent déjà et peuvent être améliorés encore.

Dans un premier temps le fruit de ces recherches va bénéficier, bien évidemment, aux concepts d’engins volants autonomes (Urban Air Mobility) ou à un seul pilote et sans doute appliqué aux équipages à deux ces techniques développées dans le cadre de ces recherches vont permettre d’alléger encore la tâche des pilotes lors des situations dégradées. Ainsi viendra l’ère des « missions managers ».

Le Vahana pourrait bénéficier directement des innovations tirées du projet ATTOL. © Airbus

L’importance sociale de ces champs de recherche et l’élaboration de ces concepts oblige le constructeur à avancer à pas mesurés. Mais ce travail de fond et ces expérimentations vont influer sur les cockpits futurs, leurs fonctionnalités et leur ergonomie. La validation de certaines opérations pourrait entraîner des évolutions légales. Mais le prochain rendez-vous est donné pour juin 2020 et la fin de la période de ce qui est bien plus qu’un simple exercice de style.

Frédéric Marsaly

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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

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  • Pour prendre un peu de distance par rapport à tous les effets d'annonces:
    Compte tenu de la nature de ces technologies Artificial Intelligence/Machine Learning, les experts du Massachussets Institute of Technlogy font remarquer :
    - qu'il y a encore beaucoup de travail à faire pour que ces systèmes soient facilement interprétables, c'est à dire pour qu'on puisse comprendre ce qu'il en sort et pourquoi.. C'est un des axes de recherche en ce moment, tant ces systèmes échappent à la compréhension de fond, même pour ceux qui les conçoivent. Il y a beaucoup de "bidouillages" dans la mise au point des modèles dont certains sont extrêmement complexes et nécessitent des ordinateurs très puissants pour fonctionner.
    - qu'il y a intérêt à viser la synergie homme-computer plutôt que de chercher à éliminer l'humain. C'est en tout cas ce qu'ils promeuvent car généralement ce qui est facile pour l'humain est difficile pour l'ordinateur et ce qui est facile pour l'ordinateur est difficile pour l'humain (Capacité de mémorisation et vitesse d'exécution en particulier)
    - que ce qui peut sembler être des actions intelligentes de ces systèmes ne l'est que dans un domaine très étroit. Par exemple, la machine joueur de GO ne sait plus faire si on change le modèle d'échiquier sur lequel on lui a appris le jeu. On est très très loin d'une intelligence générale comparable à celle d'un humain. Le directeur du laboratoire d'Intelligence Artificielle du MIT fait remarquer qu'on y sera pas avant 20 ou 30 ans, mais précise immédiatement que c'est ce qu'on dit tous les ans depuis 1960.
    Pour information, l'EASA a publié un excellent document sur le sujet en février dernier
    https://www.easa.europa.eu/newsroom-and-events/news/easa-artificial-intelligence-roadmap-10-published

  • Vouloir arrêter le progrès c'est se mettre les bras en croix au milieu d'un torrent pour arrêter l'eau.
    Le pilotage à 1 pilote est inéluctable ... puis ce sera en tout automatique, sans pilote.
    Dans la chaine de sécurité, l'homme est souvent le maillon faible et parfois l'ultime rempart.
    La question première est celle de la protection du passager : sera-t-il gagnant ?
    Les constructeurs, les autorités répondront positivement. Restera l'impondérable, le cas non prévu car inimaginable où, peut-être, l'homme aurait pu imaginer une réponse pour sauver la situation.
    Peut-être restera-t-il un pilote, au sol, surveillant plusieurs vols pour intervenir en dernier recours ... pour disparaitre à son tour ...

  • Le design de ce concept-cockpit ne sort pas de chez Airbus ... j'espère, car sinon c'est le comble de l'incompétence !
    Ceux qui sont passés comme-moi des cockpits de DC8 et/ou 747 bien abrités derrière nos petits parre-brise de 5cm d'épaisseur, aux énormes panneaux de verre du DC10, ont
    constaté que c'est bien ... par beau temps, sur les Gorges du Tarn, mais dans les "nimbo-stratus mamelis" et les éclairs ....! bon courage au poor lonesome pilot. La position et le champ visuel pour atterrir sera géniale ! quid de la pluie du soleil ? ... oops, j'ai oublié que le mec ne pose pas l'avion.
    C'est un billet d'humour professionnel, je précise !
    -- Serge --

    • Très simple, comme dans les avions de la guerre, on sort l'entonnoir de sous le siège et le tuyau évacue directement le pipi à l'extérieur = KISS. Keep is simple and stupid.

    • Complètement en accord avec vous, Chab, car il y a des besoins naturels et physiologiques auxquels l'être humain ne peut pas se soustraire...dont le pipi !!

  • Que dire de cet article et du projet qui y est développé ? J'étais déjà opposée à la suppression de l'OMN (mécanicien navigant) car trois paires d'yeux dans un cockpit n'étaient pas du superflu . Ce membre de l'équipage était actif et important...même "la Postale" sur FK27 avait son OMN dans les années 70-80. Sa présence était rassurante car, de son poste, il contrôlait chaque paramètre mécanique et technique de l'appareil mais c'était un être humain qui a été remplacé par les systèmes informatiques. Je persiste à penser que de nombreux accidents auraient pu être évités s'il y avait eu un OMN à bord car l'informatique a ses bug et ses limites. Pourquoi distribue-t-on des repas différents au CDB et au copilote, question? Si le seul pilote à bord est intoxiqué par la nourriture, qui reste-t-il pour répondre aux directives d'une TWR ou d'un contrôle en route....un PNC ou un passager ? Alors que toute la réglementation aéronautique est basée sur la sécurité des vols, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre cette perspective d’avancée pour le pilotage d'un avion de transport avec des passagers avec un unique pilote aux commandes.

    • Pouriez vous nous citer quelques exemples d’accidents évitables avec un OMN dans les 20 dernières années ?

    • Vous ne semblez pas savoir que 30-40 ans plus tard l'officier mécanicien est toujours là sauf qu'il est resté à terre. Ce n'est pas le suivi ACCARS si je ne m'abuse ? (pas sûr de l'orthographe) L'avion lorsqu'il arrive à l'escale les mécaniciens savent déjà ce qui a moins bien fonctionné. Le CDB peut même décrocher son téléphone et demander à cet "OM" resté à terre (il surveille plusieurs avions en vol en même temps) de l'aider à comprendre ce que ses ordinateurs lui affichent. Certes en cas de coup dur ce n'est pas aussi efficace qu'autrefois

      • A chaque fois que je laisse un commentaire, vous me rabrouez et c'est systématique. Or, je ne vous connais pas, tout du moins pas sous ce pseudo, et ce comportement est tellement indécent de votre part qu'il en devient risible. J'ai évoqué dans mon texte les Officiers Mécaniciens NAVIGANTS. Il est vrai que leur statut, auparavant dans LE COCKPIT, apportait une sécurité car ils y contrôlaient toutes les alarmes lumineuses. Je sais qu'il y a des mécaniciens AU SOL qui enregistrent et analysent les diverses remarques de l'équipage mais cela ne correspond pas à un OMN qui visualisait son panneau lumineux...A BORD, en temps réel et constatait la moindre alerte. Je ne sais pas si vous êtes pilote mais, votre comportement à mon égard, a l'avantage de me faire rire.

  • @Alexandre Aubin
    Et si je peux me permettre, un 6° scenario qui pourrait être sympa, à l'instar des coachs virtuels qui se "challengent" la gestion d'une équipe de foot : des "pilotes" virtuels qui se "challengeraient" depuis leurs tablettes de jeu, et depuis leur salon, la gestion de l'avion en vol et de ses passagers. Même plus besoin de payer personne puisque ce serait un jeu :-)... payant.

  • J'ai ouvert le débat l'an passé avec mon site : unpilotedanslavion.com , en élaborant et utilisant un questionnaire sur internet pour exposer différents scénarios possibles du futur avion de ligne : 1/ en conservant l’organisation actuelle avec des pilotes à bord, voire la réintroduction du mécanicien navigant ; 2/ l'avion mono pilote, 3/ l’avion sans pilote géré par le chef de cabine ou un passager ; 4/ ou celui sans pilote géré du sol par sa compagnie ou les contrôleurs aériens ; 5/ enfin à l’avion totalement autonome...

    • Bonjour. Les drones Américains en opérations extérieures sont gérés à distance depuis le Nevada il me semble.
      On a la capacité technologique, on y va doucement.

      Par contre dans cette optique-la l'hôtesse de l'air qui tombait follement amoureuse du Commandant de bord c'est foutu!

      Tout fout le camp!

    • Deux pilotes dans l'avion, mais l'un peut être hors du cockpit et en repos complet. Le pilote aux commandes est assisté par un support au sol notamment. L'avantage se situe sur les coûts car le pilote en retrait dans l'avion peut se reposer et n'être que d'astreinte si vous voulez.

  • Qu'un seul "pilote" suffise pour tout faire ("tout" étant réduit) ne signifie pas qu'il sera seul dans le poste. Ce qui semble notable sur cette "vue d'artiste" c'est la disparition des manches et autres manettes, est-ce que je me trompe?

    • Oui,plus de manche ,plus de manettes ,plus de pilote non plus Tout cela remplacé par un ingénieur systèmes beaucoup plus facile à former et à entraîner.Et peut on encore qualifier de pilote un jeune qui après 10 années d ancienneté aura effectué en tout et pour Tout 200 heures de formation et au mieux quelques minutes de pilotage.......par mois.Non,je ne suis pas pessimiste mais réaliste.....

  • A l'attention non exclusive de Mr Marsaly.
    On n'arrête pas le progrès mais il faut en connaître les risques en évitant de les ignorer ou sous-estimer. Tout est possible, sauf que... Quels sont les défis concrets et incontournables?
    Je conseille la lecture du Dossier 42 de l'Académie de l'Air et de l'Espace, "Aviation plus automatique, interconnectée, à l'horizon 2050".
    contact@academie-air-espace.com
    J.Pinet

  • Une solution beaucoup plus simple pour gagner sur les coûts pilotes: améliorer les sièges et les rendre transformables en couchettes ou relax redressables facilement et rapidement. Cela permettrait des repos en vol de qualité et autoriserait l’extension des limites pour les vols à deux, voire à trois. Seul le siège et son environnement mériterait d’ être améliorés, et on disposerait toujours très rapidement d’un deuxième pilote en cas de nécessité... ou d’envie pressante, cas non envisagé par la présente étude.

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