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Industrie

Safran démarre son Open Rotor

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Fabrice Morlon

Le moteur Open Rotor développé depuis 2008 par Safran dans le cadre du programme européen Clean Sky tourne depuis le mois de mai sur un banc test dédié, à Istres. Célébré le 3 octobre 2017 par une présentation aux partenaires, l’Open Rotor subira des tests jusqu’à la fin de l’année. Contre toute attente, ce moteur qui se caractérise par une double soufflante contrarotative non carénée devrait consommer 30% de moins qu’un turboréacteur traditionnel, est annoncé comme aussi silencieux que le turboréacteur LEAP de l’A320neo.

Ce pourrait être le moteur du futur pour les mono-couloirs. Le démonstrateur technologique de Safran, baptisé « CROR » pour Contra Rotating Open Rotor, a été mis en route pour la première fois sur la base aérienne d’Istres au mois de mai 2017. Une campagne de tests est en cours qui se terminera à la fin de l’année avec l’exploration des régimes de puissances, reproduisant par exemple la phase de décollage à pleine puissance. Pour le moment, le moteur a été poussé à 65% de sa capacité et totalise cinquante démarrages pour une durée cumulée estimée à cent heures environ en fin de campagne de test.

Une campagne de tests sur plus de 6 mois

« On cherche à explorer le bon fonctionnement du moteur » explique Jérôme Bonini, directeur de la division nouveaux moyens de propulsion, qui précise : « avec la campagne de tests, on va aller dans le détail pour caractériser l’Open Rotor. » Une première campagne de tests qui devrait donc décider de l’avenir du moteur dans l’industrie et de ses chances ou non d’équiper un jour le moyen-courrier du futur.

Safran ne considère pas l’Open Rotor comme LE moteur du futur mais plutôt comme une option possible parmi d’autres : le CROR aura permis de développer des technologies qui seront réutilisées © Eric Drouin / Safran

10 ans de travaux

Près de dix ans après le début des travaux sur le projet, après plusieurs campagnes en soufflerie, Safran a fait tourner ce moteur pas tout à fait comme les autres. Il aura fallu deux ans, entre le début de l’assemblage, en 2015, et sa mise en route. « Le temps qu’il faut pour valider les technologies portées par ce moteur unique en son genre » explique Philippe Petitcolin, directeur général de Safran qui se réjouit de cette « rupture technologique qui fonctionne dès aujourd’hui pour préparer l’aviation de demain« . Plus de cinquante partenaires ont œuvré sur ce projet de démonstrateur technologique labellisé Clean Sky et qui devrait consommer 30% de moins que le CFM56 et 15% de moins que le LEAP Le LEAP équipe les A320neo, le 737 MAX et prochainement le C919. Des performances intéressantes pour une aviation « plus verte » mais autant de défis à relever.

Un concept du siècle dernier avec des moyens modernes

Le concept de l’open rotor, autrement appelé « propfan » ou soufflante non carénée, n’est pas nouveau : il date de la fin du siècle dernier. Déjà, dans les années 80 après le choc pétrolier de 1973, le principe avait été testé par General ElectricGeneral Electric produit aujourd’hui le LEAP avec Safran dans la joint ventrue CFM qui avait mis au point le GE36 en coopération avec la NASA. Le moteur a volé en 1986, mais le projet a toutefois été abandonné, les prix du carburant étant redevenus « raisonnables. » Une nouvelle tentative récente de la NASA, début 2010, avec un travail approfondi sur les performances et le niveau sonore a été encore une fois abandonné, laissant Safran quasiment seul Rolls Royce travaille également sur un Open Rotor, baptisé RB3011 dans la course au développement de ce type de moteur d’un potentiel successeur au LEAP après 2030.

Un moteur spectaculaire

Débuté en 2008 dans le cadre du programme Clean Sky, l’open rotor de Safran reprend le principe du GE36. C’est un moteur spectaculaire car il ne ressemble à aucun autre moteur d’avion de ligne actuel. Les soufflantes, sans carénage, sont à l’air libre, ce dont on n’est plus habitué. L’Open Rotor est doté de deux hélices, qui plus est contra-rotatives et à calage variable, qui atteignent un diamètre de quatre mètres, contre 2 mètres environ pour un LEAP carénage compris. La première rangée de douze aubes tourne à 1000 tours/minute à la puissance maximale au décollage, alors que la deuxième rangée, composée de dix aubes tourne dans le sens inverse à 750 tours/mn. Les premières pales fournissent près de 80% de la poussée, alors que la deuxième rangée redresse le flux brassé. On oublie le métal pour les aubes : comme les fans du LEAP, les aubes sont faites de carbone tissé imprimé en 3D.

Philippe Petitcolin, directeur général, veut que Safran soit prêt à répondre aux demandes des avionneurs © Fabrice Morlon / Aerobuzz

7 mètres et plus de 2 tonnes

« Seul le générateur de gaz M88, issu du Rafale, a été repris » précise Jérôme Bonini qui ajoute : « on se retrouve pour cette raison avec un moteur de 7 mètres et d’un peu plus de 2 tonnes à l’heure actuelle et tout le travail va maintenant consister à réduire et alléger le démonstrateur. » C’est en somme un concentré de recherche et de technologies dont les différents éléments ont été validés et dont il faut maintenant démontrer le bon fonctionnement. « Pas facile de développer des projets de cette envergure, avec un retour sur investissement à long terme, qui plus est dans le cadre d’une concurrence forte » confie Philippe Petitcolin. C’est là que le programme Clean Sky intervient.

L’Union européenne fait la force

Avec un budget de 4 milliard d’euros, le programme européen Clean Sky 2, s’il encourage à produire des moteurs avec peu d’émissions, comprend également un volet sur la réduction du bruit. Moins abordé, le programme précise également qu’il encourage la rupture technologique tout en sécurisant la compétitivité de l’Europe dans un cadre international.

L’Europe, avec un financement à hauteur de 65 millions d’euros, l’Etat et les acteurs régionaux sont impliqués dans ce projet qui va au-delà du démonstrateur © Fabrice Morlon / Aerobuzz

Un projet à 200 millions d’euros

Les objectifs majeurs de Clean Sky 2 sont la réduction de 50% des émissions sonores, du même pourcentage de dioxyde de carbone et de 80% des émissions d’oxyde d’azote. Le programme devrait arriver à son terme en 2020. Pour son étude sur l’open rotor, Safran aura bénéficié d’un financement européen de 65 millions d’euros sur huit ans pour un programme estimé à près de 200 millions d’euros.

Moins 30% de consommation

Si l’open rotor est séduisant en termes de consommation de carburant, plusieurs points sensibles avaient été mis en reliefs avec ce moteur d’un type nouveau, notamment avec le GE36. En augmentant le taux de dilution (30 pour l’Open Rotor contre 11 pour le LEAP) par rapport à un moteur de la génération 2000, on économise environ 30% de carburant. Un diamètre plus important permet de brasser davantage d’air froid, qui participe majoritairement à la poussée. C’était le constat fait par l’équipe de GE sur le GE36. Or, Safran, en décidant de travailler sur l’open rotor, voulait en même temps relever deux autres défis : celui du bruit et de la sécurité.

Des défis à relever

Le niveau sonore est l’un des problèmes de l’open rotor. Le carénage « classique » permet entre autres d’orienter l’onde sonore dans l’axe du moteur. Or, sans ce carénage, le bruit produit par les aubes se propage dans toutes les directions. C’est l’un des défis sur lesquels les équipes de Safran ont travaillé, notamment en 2013 au cours d’une campagne de soufflerie menée avec l’ONERA, à Modane. A Mach 0.30, différentes configurations de pales ont été testées qui ont abouti au choix actuel. L’Open Rotor, d’après ces tests, aurait une empreinte acoustique comparable au LEAP.

Le miracle du carbone

Enfin, la question de la sécurité du moteur se pose. Un carénage permet de protéger l’habitacle d’un souci grave. On l’a vu par exemple avec le récent problème du vol Air France vers Los Angeles. Or, sans carénage, on doit être assuré que l’hélice n’endommagera pas l’habitacle. Si d’un côté l’on réussit à économiser 30% de consommation mais qu’on alourdit la cellule de l’avion en protections du moteur et du fuselage, le bilan carburant n’est plus aussi intéressant. Or le carbone fait des miracles, et notamment en ce qui concerne les aubes de l’hélice. « Même avec des criques, sur du carbone tissé, on conserve une robustesse importante, inégalée par le métal » explique Jacques Serre, « ainsi on ne peut pas perdre d’aube« . Et le directeur technique et recherche et développement chez Safran de poursuivre : « le risque aviaire est la plus grande menace, mais des tests concluants a ont été menés en soufflerie sur « l’ingestion » d’oiseaux. »

22 aubes forment les 2 hélices contra-rotatives : autant de défis technologiques relevés qui montrent aux avionneurs le savoir-faire des 50 acteurs ayant œuvré sur ce moteur d’un nouveau type © Eric Drouin / Safran

Comparaison des données

Pour devenir réellement le « moteur du futur, » l’open rotor devra donc convaincre. Étape importante dans l’avenir qui sera réservé au CROR, les tests entrepris devraient confirmer les données accumulées depuis 2008. Le moteur étant au stade de démonstrateur, il vise à démontrer la faisabilité de la technologie et évoluera sans doute au regard des résultats sur banc test qui seront dépouillés et comparés avec les tests en soufflerie au cours de l’année 2018. Les résultats de ces tests décideront également de l’opportunité ou non de poursuivre les études sur l’open rotor.

Convaincre les passagers

Avec l’Open Rotor, Safran réussit à faire un « LEAP plus » : même poussée, même niveau de vol mais plus économe. Tout pour séduire! Restera à convaincre les avionneurs pour équiper leurs moyen-courriers de moteurs de ce type. Est-ce que les clients des compagnies accepteront de voler à nouveau avec des hélices? Est-ce qu’ils accepteront de voler un peu moins vite? (De l’ordre de 0,05 Mach moins vite) Tout dépendra du prix du pétrole et de la conjoncture économique.

Airbus attend de voir

Pourtant, pour Airbus, l’open rotor est une option sérieuse. Partenaire du programme, l’avionneur européen a toutefois annoncé à l’été 2017 qu’il n’envisage pas de tester en vol l’open rotor et qu’il préférait se concentrer sur un autre projet de moteur développé par Safran, l’UHBR.

UHBR une solution à plus court terme

Car le motoriste ne mise pas tout sur le même cheval et travaille également sur un turboréacteur, caréné donc plus « classique » et plus aisément intégrable, à haut taux de dilution, qui devrait consommer entre 5 et 10% de moins que le LEAP. L’UHBR (Ultra High Bypass Ratio), est une option envisageable à plus court terme avec sa capacité à s’intégrer sous voilure, avec toutefois des modifications à apporter : le moteur, plus grand, nécessitera d’adapter les ailes et sans doute la hauteur du train d’atterrissage. Le moteur commence à prendre forme : « on éprouve chacune des technologies de ce futur moteur de manière séparée avant de toutes les intégrer en un moteur » explique Jérôme Bonini. Certains éléments de l’Open Rotor pourraient d’ailleurs être réutilisés. Safran estime que la technologie devrait être mûre à l’horizon 2025.

Un nouveau banc d’essais a été mis en place sur la base aérienne d’Istres : conçu pour accueillir les nouveaux moteurs, il est équipé d’un système d’acquisition de 1.200 lignes de mesure © Eric Drouin / Safran

Un tout nouveau banc test

Le moteur du futur ne sera peut-être pas l’Open Rotor mais le motoriste prend les choses très au sérieux et met tout en œuvre pour être prêt lorsque les avionneurs demanderont des solutions économes en carburant. Preuve supplémentaire, la base aérienne d’Istres, où sont menés les tests moteurs, a été équipée en début d’année d’un tout nouveau banc d’essais destiné aux tests sur le LEAP et ses futures versions, mais aussi sur les démonstrateurs technologiques comme l’UHBR à venir.

La propulsion du futur

Enfin, le moteur du futur ne sera sera sans doute plus un duo de propulseurs et sera intégré dans une solution de propulsion plus globale. On changera également le moyen de produire l’énergie électrique, qui incombe pour l’instant au moteur, en embarquant des piles à combustible par exemple. Safran, mais aussi l’ONERA et les avionneurs travaillent à l’intégration d’architectures nouvelles telle que la « propulsion distribuée » : au lieu des deux ou quatre moteurs dans les configurations les plus courantes, on imagine alors un avion à cinq ou dix moteurs.

Fabrice Morlon

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

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  • Bonjour,
    Je tiens à vous rappeler que SNECMA en coopération avec Général Electric avait en 1986 validé en vol ce concept sur 2 appareils (B 727 et MD).
    Ceci met en relief les compétences et savoir faire de SNECMA, c'était il y a seulement 32 ans !

  • Plus pres de chez nous et en moins imposant, en Angleterre le Fairey Gannett a helices contrarotatives fut utilise par l aeronavale britannique.

  • Il semblerait que les Russes se soient eux aussi penchés sur ce concept à une époque plus lointaine, quand on appelait encore ce concept "Propfan" (comme spécifié dans l'article). Je me rappelle avoir vu un exemplaire de ce moteur monté sur un Yakovlev Yak-42 au statique lors du Salon du Bourget en 1991. J'en possède d'ailleurs une photo dans mes collections. Au passage et même si c'est hors sujet, cette édition du salon aéronautique avait été un cru exceptionnel, aussi bien pour le statique que pour les présentations en vol. C'était une autre époque : celle du temps où les organisateurs du Bourget savaient encore faire rêver le public avec un salon digne de ce nom, loin, très loin de ceux d'aujourd'hui...

  • C'est juste, M. Tolini. Toutefois je crois bien me souvenir que ce choix par les Soviétiques - nous n'étions pas encore revenu à la Grande Russie - était dû au fait qu'il était difficile de faire passer la puissance du moteur sur une seule hélice, les dimensions de cette dernière aurait en outre été incompatible avec les hautes vitesses de l'avion recherchées. Tupolev n'était pas non plus le premier constructeur à faire ce choix de moteurs. Le concept de l'Open Rotor se caractérise, me semble-t-il, certes par le souci du faible encombrement de ce fan ressemblant à des hélices, mais surtout par le fait qu'il ne s'agit plus d'un turbopropulseur, mais d'un turboréacteur, et que le différentiel de vitesses de rotation des pales doit être particulièrement sophistiqué afin de rétablir le flux d'air généré dans l'axe longitudinal, et ce à toutes les vitesses ; certainement un problème ardu qui justifie une longue période de mise au point.

  • Bravo ! Très bel article. On comprend mieux surtout le pourquoi des hélices contra-rotatives. Allons, ce genre de recherches nous confortent dans l'idée que l'aérospatial dans notre pays veut rester dans la course face aux Américains !

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