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AF447 : L’ergonomie des alarmes en question

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Thierry Dubois

Lors des dernières minutes du Rio-Paris, l’équipage a semblé ignorer l’alarme de décrochage. Impardonnable ? Explicable, en tous cas.


Le rapport final sur l’accident du vol Air France 447 donne matière à réflexion aux ergonomes. En particulier, l’alarme de décrochage semble avoir été ignorée par l’équipage. Les enquêteurs du BEA ont trouvé plusieurs explications possibles à cette absence de réaction surprenante : l’alarme a retenti plus de 70 fois tandis que l’Airbus A330-200 descendait à une vitesse verticale allant jusqu’à 11 000 ft/min (55 m/s) et à des incidences variant de 35 à 45 degrés.

Première explication, les pilotes ont pu confondre les symptômes du décrochage et ceux de… la survitesse. Le buffeting (fortes vibrations) et le bruit aérodynamique ont pu être mal interprétés. De même pour la flèche de tendance des vitesses sur l’afficheur principal, qui indiquait une accélération.

L’équipage a-t-il entendu l’alarme ? Ce n’est même pas certain. Quand l’alarme « Stall ! » a commencé, les pilotes étaient déjà très stressés. La quantité d’informations visuelles auxquelles ils faisaient face était déjà considérable. A tel point qu’elle a littéralement pu rendre leurs cerveaux sourds à l’alarme sonore. C’est ce que suggère Sébastien David, chef du groupe de travail « facteurs humains » dans l’enquête du BEA.

Celui-ci recommande donc une alarme visuelle spécifique pour le décrochage. Dans le cas de l’AF447, le calcul de la vitesse de décrochage était indisponible, faute de mesure fiable. Le bandeau des vitesses ne pouvait donc indiquer le décrochage.

En outre, les pilotes avaient été « très peu exposés à des situations de décrochage » pendant leur formation. D’où un manque de familiarisation avec l’alarme de décrochage et les actions adaptées.

D’une manière plus générale, le BEA estime qu’une meilleure compréhension de la physique du vol à haute altitude aurait été bienvenue. Les pilotes auraient réalisé que les actions à cabrer qui ont précédé le décrochage faisaient chuter l’énergie cinétique de l’avion. Ils auraient donc pu « anticiper la dégradation rapide de la situation ».

Et si l’équipage avait identifié le décrochage juste après l’arrivée du buffeting, une simple action à piquer aurait ramené l’avion dans son domaine de vol. C’est en tous cas ce qu’ont montré des essais menés conjointement avec Airbus, explique Alain Bouillard, directeur de l’enquête.

Dernière explication, l’équipage a mal compris le passage en loi alternate et son implication principale : la fin de la protection du domaine de vol.

Conclusion de Jean Paul Troadec, directeur du BEA : « la sécurité est le fruit de l’adéquation des capacité cognitives des pilotes et des signaux qui leur sont envoyés ».

L’accident du vol Rio-Paris n’avait laissé aucun survivant parmi les 228 occupants de l’appareil, le 1er juin 2009 dans l’Atlantique sud.

Thierry Dubois

Des actions à cabrer sur le manche ont dégradé l'énergie cinétique de l'A330 avant le décrochage, selon le BEA.
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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

View Comments

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    "les pilotes avaient été « très peu exposés à des situations de décrochage » pendant leur formation. D’où un manque de familiarisation avec l’alarme de décrochage et les actions adaptées."

    Manque de pratique du Décrochage, du Vent de travers, et d'autres situations basiques de vol?
    Les aéro-clubs vous accueillent à bras ouverts!

    Merci aux pilotes de ligne qui participent déjà à la vie de nos aéro-clubs.

    (Attention, les pilotes de ce vol et tous ceux qui ont vécu des situations similaires à celles de l'AF447, ont toute ma considération. Mon message ne veut pas diminuer leurs compétences ni leurs mérites.)

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Il y a une chose dont on a jamais parlé dans cette histoire , c'est l'état de fatigue de l'équipage qui pourrait expliquer en partie l'incompréhension de la situation de la part de l'équipage et ses choix " stratégiques " !!!!!
    D'autre part , pourquoi un commandant de bord decide d'aller se coucher alors que la partie du vol la plus difficile est à venir ?
    le vol AF447 n'était pas le seul sur ce trajet. Il aurait été intéressant de garder les enregistrements ( CVR ) des avions croisés et peut être même de vols Air France!

  • Re philosophie Airbus
    Bonjour,

    Je souhaite réagir au commentaire de CHD où l'on peut lire que les Airbus sont des avions dangereux mais que cette dangerosité n'est pas avouée par chauvinisme...Théorie des méchants industriels arrogants contre les gentils pilotes. Séduisant mais un peu simpliste.
    Je pense au contraire qu'en France, on est très fort pour détruire tout ce qui fonctionne bien dans notre industrie, plus par bêtise et ignorance que par réelle connaissance du sujet. On est aussi très fort pour râler a posteriori, lorsque les dégâts irréversibles sont faits. Après les avions légers Socata et Robin, après le Concorde, c'est au tour d'Airbus d'être la cible des détracteurs avec des arguments qui sont trop souvent inexacts.
    Un avion est une machine et, qu'il soit Airbus, Boeing ou autre ne peut pas être parfait au niveau ergonomie et conception. Le processus de conception des tous les avions est continu et itératif et dure tout au long de la vie opérationnelle de l'appareil. Des évolutions de conception sont faites sur tous les équipements en tenant compte des retours d'expérience et aussi malheureusement des accidents.
    Un avion de ligne est conçu pour être piloté en automatique 95% du temps. En revanche, un avion n'est qu'une machine aussi complexe soit elle, et, pour en être le pilote je pense qu'il faut maîtriser les sytèmes, connaître les loi des commandes de vol et en connaître les particularités et les défauts. En somme, il faut connaître les raisons de l'application des procédures. Par exemple, je ne suis pas certain que les notions de loi normale / loi directe et les logiques de reconfiguration etaient connues sur le bout des doigts par les pilotes de l'AF447. Ceci conjugué au manque d'expérience du pilotage à la main et aux situations telles que la haute altitude et le décrochage haut est à mon avis la source de la panique qui s'est emparé des pilotes et ne leur a pas permis d'analyser la situation avec la claivoyance nécessaire.
    Il n'est pas exact de dire qu'il n'y a aucun retour d'effort dans les manches des Airbus. Il y a bien un effort artificiel qui procure une stabilité apparente positive. De plus, si ces efforts sont faibles, les déplacements sont par contre importants et auraient du alerter l'équipage, en conjonction avec les alarmes stall, l'assiette, le buffeting, les indications de vitesses, vario et altimètres.
    Pour finir, l'ergonomie des Airbus n'est sans doute pas parfaite car elle résulte de choix techniques effectués à un instant donné, sachant que tous les cas de panne/ erreurs équipage ne peuvent pas être prévus dès le départ. Elle sera inévitablement modifiée suite aux conclusions de cet accident. En revanche, dire que les Airbus sont dangereux me paraît inapproprié. Mais je pense que la formation des pilotes au niveau des principes de base de mécavol et connaissances machine nécessite une sérieuse remise à plat.

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Sauf qu'il n'y a pas de dv affiché lors de la prise d'assiette excessive par le PF !
    Et comment expliquer que celui-ci ne réagit qu'aux ordres à cabrer mais jamais aux ordres à piquer ?

    On met dans la tete des pilotes AF que le PF se consacre au pilotage et le PNF au traitement de panne... Eh bien je crois que vous venez de comprendre une des principales causes non avouée de ce crash !
    AF est la seule compagnie qui inculque cette méthode héritée du pilotage à 3 !

    Partout ailleurs, le PNF est impliqué dans le pilotage au travers du monitoring des paramètres excessifs. L'équipage ne consacre aucune ressource au traitement de panne tant que FLY (comprendre maintien de l'avion dans le domaine de vol), NAV et, le cas échéant, COM ne sont pas assurés.

    Le PF est impliqué dans le traitement de panne. C'est d'ailleurs lui qui donne le tempo, et non le CDB ("Stop Ecam", "Continue Ecam")

    AF ayant enfin décidé de finalement suivre ces principes et de réentrainer ses pilotes, il existe sans doutes un consensus pour ne pas trop appuyer sur ce point qui fait mal...
    Il aura juste fallu attendre un crash pour qu'à Air France nous soyions formés à travailler selon une méthode qui constitue le standard de l'industrie.

    • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
      Voici un commentaire censé, well done mate!
      Et quand on a pas de FD, à quoi on se raccroche?
      Je suis persuadé qu'une simple pression sur le bouton TRK-FPA aurait suffi au PF à comprendre la situation de décrochage et d' unreliable speed.
      Qu'en pensez-vous?

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Restons objectifs. Un des points-clés se trouve dès le début dans une indication de perte d'altitude de 300 ou 400 ft corrélée par un ordre à cabrer provenant du directeur de vol.Cette fausse indication est due à une correction de compressibilité et est corrélaire de la perte d'indication de vitesse. On nous met dans la tête que, lors d'une situation d'urgence, le PF (pilote en fonction) doit se consacrer au pilotage et le PNF doit traiter les pannes.
    Je mets au défit de me contredire tout pilote de bonne foi: une perte d'altitude indiquée avec un ordre à cabrer du DV entrainera toujours ce genre de réaction du PF. Reste à savoir combien de temps cet ordre à cabrer a été maintenu et pour cela, le plus simple serait de faire un essai en vol afin de voir ce que cela donne dans la réalité.
    Quant au décrochage, le manque d'indication d'incidence sur la planche de bord est une aberration.
    De plus, il me parait peu probable qu'une action a plein piqué sur la commande de profondeur sans action sur le trim de profondeur ait pu exercer un couple piqueur suffisant pour sortir de ce décrochage.

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Blablabla et si et si.
    Mais vous n'étiez pas à leurs places.
    Et si malgré tout, Airbus n'avait pas trouvé la panacée au niveau des avions et avait un peu écouté les pilotes.
    Tout ce que je souhaite ait qu'il n'y ait pas d'autres accidents d'avion et d'Airbus en particulier

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Oui, tout à fait d'accord avec CHD, soyons factuels et réalistes :
    Airbus... 7000 avions à commandes de vol électriques en service et seuls les pilotes d'AF nous rabattent les oreilles avec leurs problèmes à comprendre cette technologie !

    Et pas trentenaire avec ça ... vite, relire le rapport Collin !!!

  • Philosophie Airbus
    Je sais qu'on est en France et qu'Airbus fait l'objet d'un chauvinisme bien ancré, mais soyons factuels et réalistes : les Airbus, dans leur conception actuelle (aucun retour dans les commandes, manches non conjugués, manette des gaz restant fixe en ATHR, etc), contribuent à la difficulté de l'équipage à comprendre et à remédier à une situation complexe.
    Les volants / manches des avions, reliés mécaniquement l'un à l'autre, permettent de comprendre / voir ce que font l'autre pilote et le PA, etc. Idem pour le mode ATHR : dans un Boeing (ou Embraer / Bombardier, ..., tout sauf Airbus en somme), lorsque l'ATHR réduit ou augmente les gaz, ça se voit physiquement sur les manettes.
    Je peux paraître vieux jeu même si je ne suis pas encore trentenaire, mais force est de constater que les Airbus sont dangereux car l'avion ne restitue pas correctement ce qu'il se passe en réalité.
    Pour moi, un A380 piloté par un joystick en plastique sans retour de force et sans mouvement répété sur le second joystick ça me perturbe énormément et ne suis même surpris que ça ne compromette pas la certification de l'avion.
    Boeing l'a bien compris puisque sur son site Web, le couplage mécanique des commandes de vol et de poussée est un argument de vente.
    Pour en revenir au problème mentionné dans cet article, il faut vraiment que les avionneurs conçoivent des avions les plus simples possibles pour que les pilotes déjà ne prennent pas plusieurs secondes à comprendre la situation avant d'agir. En temps normal, cela ne pose pas de problème. Mais lorsque ça devient inhabituel, alors ça devient vraiment un handicap.
    Et pour finir, même sur un vieux DR253 on a un indicateur de décrochage visuel bien agressif qu'on ne peut pas oublier.

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    On ne peut rien dire sur ce qui s'est passé tant qu'on n'a pas vu les paramètres complets du FDR et la lecture émulateur faite par le BEA en mai 2011. Tout ce qu'on essaye d'analyser n'a pas de base solide et repose donc sur des suppositions !

    La vérité sur ce qui s'est passé, est-ce que nous la connaîtrons un jour ?

  • AF447 : L'ergonomie des alarmes en question
    Moi, ce dont je me souviens lors des premiers reportages à propos de l'accident en 2009, c'est que l'avion traversait en pleine nuit une masse orageuse improtante dans un endroit connu et reconnu dangereux par beaucoup de compagnies aériennes...Et maritimes. A tel point, que la majorité contournent le "pot au noir", au détriment bien sûr du temps de vol, donc de la consommation, pour un avion de ligne.

    Imaginez-vous donc dans un orage d'une violence extrême avec des vents en rafale à + ou - 35 noeuds, des grains, une humidité proche des 100%, et en pleine nuit...
    Moi, je ne suis que pilote VFR de jour, et je ne m'imagine pas du tout dans cette situation.

    Pour ma part, on pourra donc me dire tout ce qu'on veut quant aux alarmes, qualités de l'avion, ou non, mettre en balance des tubes pitot montés sur des milliers d'appareils sans problèmes, et fabriqués par une entreprise de qualité,mais le vrai problème est économique; Et les pilotes pour atteindre leurs objectifs, ceux même exigés par leur employeur, contre un bonus financier, prennent des risques inconsidérés.

    Je pourrais presque dire que pour une fois, c'est bien une erreure humaine, et je pense aussi que ce n'est pas l'équipage le responsable, mais l'employeur dont la mise en cause n'apparait pas ou plus dans les rapports "toujours objectifs" du BEA.

    Florent

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