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Dans la tête du pilote stressé

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Thierry Dubois

Alors que le débat fait rage autour d’avions hyper-automatisés à un seul pilote ou même commandés depuis le sol, des chercheurs de SupAéro commencent à comprendre certains mécanismes neuronaux et visent à réunir les outils qui permettraient de concevoir un cockpit plus en phase avec le cerveau humain.

Comment mieux adapter le poste de pilotage au fonctionnement du cerveau humain ? Financé notamment par l’assureur Axa, un laboratoire de l’ISAE SupAéro utilise les dernières avancées en matière d’ergonomie, de neuroscience, de traitement du signal et d’informatique afin de comprendre certains comportements ayant conduit à des accidents. La neuroergonomie permet ainsi de penser un cockpit capable de mieux aider l’équipage dans une situation délicate.

Au centre des préoccupations de Frédéric Dehais et de son équipe, la perte de contrôle en vol et la collision pilotée avec le relief – les trop fameux LOC-I et CFIT. Dans ces cas-là, « l’équipage persiste dans une décision irrationnelle malgré les alarmes », explique Mickaël Causse, chercheur. Rigidité mentale et focalisation excessive sur un élément se retrouvent dans le comportement de pilotes habituellement compétents.

Dans de nombreux accidents, l’équipage semble avoir ignoré une alarme sonore. Ainsi, en 2009 à Megève, un pilote et son instructeur se sont posés sur le ventre de leur monomoteur. Préoccupés par la présence d’un autre aéronef sur la piste, ils n’ont pas réagi à l’alarme, pourtant stridente, qui aurait dû leur faire sortir le train d’atterrissage.

Frédéric Dehais a expérimentalement recréé une telle « surdité ». En laboratoire, des pilotes devaient décider d’atterrir – ou non – dans des conditions plus ou moins difficiles. Une alarme retentissait pendant l’approche. Dans les conditions les plus difficiles, 30 % des pilotes n’entendaient pas l’alarme.

Un électroencéphalogramme mesurait l’activité de la zone du cerveau qui traite les stimuli auditifs. Pour les pilotes qui n’avaient pas réagi à l’alarme, cette zone était purement et simplement inactive. « En un dixième de seconde, le canal visuel peut éteindre le canal auditif, » explique Frédéric Dehais. Un phénomène peut-être dû à un mécanisme primitif prédateur-proie.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées. On peut ainsi créer une alarme qui appellerait le pilote par son prénom – c’est le dernier son que le cerveau accepte d’entendre avant de devenir « sourd ». Autre option, retirer l’information sur laquelle le pilote reste concentré. On la remplacerait alors par une aide pertinente. Par exemple, une brève boucle vidéo, où le pilote verrait un avatar accomplir l’action requise, l’inciterait à faire de même – nos « neurones miroir » nous donnent envie d’imiter ce que voient nos yeux. Les tests menés à SupAéro ont montré que le pilote réagit plus vite si on lui montre une telle vidéo.

Thierry Dubois

En plus de l'électroencéphalographie, la spectroscopie proche infrarouge permet une meilleure compréhension de l'activité du cerveau.
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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

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  • Dans la tête du pilote stressé
    Il suffit de comparer le manuel d'instruction au pilotage planeur (livre bleu) avec celui du PPL Avion pour se rendre compte qu'on emplit le cerveau du pilote avion de toutes sortes d'informations non utiles pour sa sécurité, que sa charge de travail devient trop importante et qu'en cas de stress excessif il n'ira pas droit à l'essentiel, sauver sa peau.

    Lorsque j'ai vécu, tout jeune pilote, le largage intempestif du cable de remorquage à basse altitude, 70 mètres (en K8 ça fait bas! ) j'ai immédiatement visualisé le croquis qui va bien dans le livre bleu. J'ai appliqué (littéralement suivi la flèche) et je m'en suis sorti impeccablement. Pas de grand laïus compliqué!

    Un pilote il faut lui simplifier la vie, pas la lui compliquer constamment avec des règlements tatillons! En l'air nous risquons tous notre vie, l'administration croit qu'on s'amuse et nous rajoute chaque année toujours plus de contraintes stériles qu'elle n'inflige pas aux pilotes pros en IFR. Les Zones P par exemple...

  • Dans la tête du pilote stressé
    On dirait qu'il n'est pas facile pour beaucoup de comprendre les résultats de cette étude. C'est normal, c'est plus complexe que ce que notre sens commun croit connaître.

    Ce qu'établit cette étude, c'est que la non prise en compte d'alertes sonores dans des situations de stress, ne résulte pas d'une focalisation de l'attention sur d'autres dimensions (visuelle, dialogue interne etc) qui conduirait à négliger l'information auditive (donc d'une modulation de sa priorité), mais qu'il s'agit plus radicalement d'une extinction de ce système perceptif.

    Il y a plus qu'une nuance. Cela ouvre des pistes considérables sur le signalement des erreurs et des dangers.

    (par exemple les voix de synthèse désincarnées qui énoncent "Pull Up" sont de faibles alertes quand le stress est sévère. La marge est grande pour inventer des systèmes qui ne parlent pas qu'au centre mental, mais à "tout le corps" : "now, you have to pull up" comme (grossier) exemple, est radicalement différent )

    • Dans la tête du pilote stressé
      Oui.
      Et n'oublions pas un autre facteur : le retour à la langue maternelle en cas de stress intense. A méditer.

    • Dans la tête du pilote stressé
      Le commentaire ci-dessus est fondamental pour ne pas passer à côté des résultats de cette étude. C'est quelque chose de tout à fait neuf, qui va demander bien sûr à être validé davantage. Auquel cas ça rebattrait les cartes pour tout ce qui concerne la conception d'alarmes.

  • Dans la tête du pilote stressé
    J'ai vécu lors d'une courte traversée de la manche un stress dû aux conditions VMC plus que limites. j'emmenais le fils d'un pilote de ligne et deux de ses amis pour ce vol, et n'ai pas osé lui refuser.
    Mon voisin en place droite n'arrêtait pas de parler alors qu'il y avait deux difficultés à gérer, les conditions ... plafond 200 ft 0° sur la mer et de+ la perte d'un bouchon de réservoir.
    Au bout de quelques minutes, je me suis aperçu que je ne l'entendais plus ,mais je lui répondais gentiment par des oui ou des hochements de tête pour ne rien lui laisser paraître , étant concentré sur ma trajectoire.
    Imaginez- vous sur la mer sans plafond avec une MTO dégueu... je ne recommencerai plus !!!
    La radio fonctionnait parfaitement bien, l'intercom aussi.
    j'en ai parlé quelques jours plus tard à un ami médecin, qui m'a indiqué qu'en cas de difficultés, le cerveau parvient à éliminer toute source parasite pour permettre à l'individu de ne se concentrer que sur l'essentiel , c'était l'hémisphère droit qui avait pris le dessus ou l'inverse...pour me permettre de terminer mon vol qui s'est d'ailleurs achevé sans que personne ne ressente de problème particulier.
    il est donc aisé d'imaginer que toutes les alarmes ne font qu'augmenter le stress éventuel sans pour autant donner de solutions pratiques au pilote.

    • Dans la tête du pilote stressé
      Faire une traversée de la manche avec 200ft de plafond et un bouchon en moins !!! C'est un gag ou quoi ? Elles sont ou tes conditions VMC ????

  • Dans la tête du pilote stressé
    Je ne suis pas pilote, mais pourquoi diable ne pas remplacer les BIP BIP par des annonces vocales
    Ces annonces pourraient etre d'ailleurs de plus en plus fortes si elles ne sont pas prises et compte

    ATTENTION TRAIN NON SORTI
    C'EST MIEUX QUE BIP BIP non ?
    Un béotien....

    • Dans la tête du pilote stressé
      En dehors de la plupart des avions de tourisme, quasiment tous les avions complexes et pas trop vieux ont des alarmes vocales. Recherche par exemple des infos sur le GPWS.

  • Dans la tête du pilote stressé
    Les erreurs augmentent avec le stress et vice versa le stress augmente le risque d erreurs.
    Dans un cockpit l erreur peut alors enchainer d autres erreurs.
    Des etudes recentes montrent que le cerveau meme si il a des capacites d adaptations formidables ne peut accomplir qu une tache a la fois. Croire le contraire est une illusion et les cours de FH l expliquent tres bien aux pilotes.

  • Dans la tête du pilote stressé
    Petit retour d'expérience qui "va dans le sens de l'histoire" ... celle-ci dumoins.
    Pendant notre présentation en vol (ballet hélico à deux machines), je donne les Top à mon ailier en respectant les temps musicaux. Nous travaillons évidemment au chrono mais aussi en musique, "en direct". Pour ce faire, j'ai, sous mon casque, des écouteurs qui diffusent la bande son (depuis un petit MP3) grace à laquelle "j'affine".
    Or, à trois reprises pendant les 10 minutes que durent le display, je n'entends absolument plus la musique. Il s'agit des moments qui nécessitent le plus d'attention au plan du pilotage ou de la séparation entre les machines.
    Un peu comme si le cerveau "hierarchisait les modes de perception".
    Ces trois moments sont toujours les mêmes, dans chaque présentation et ceci depuis treize ans.
    A contrario, jamais je ne suis passé à coté d'une alarme sonore (si tel avait été le cas d'ailleurs, sans doute aurions nous fait l'objet de quelques lignes dans un comptre rendu d'accident ...).

  • Dans la tête du pilote stressé
    Certains fous, sous prétexte de modernité, voudraient supprimer les pilotes!
    Alors allons au bout du raisonnement: supprimons les avions car, en fait, ça sert à quoi de papillonner de Paris à Berlin, de Shangaï à Paris, etc..... A rien et cela sera bon pour l'atmosphère de la planéte.

  • Dans la tête du pilote stressé
    Mon instructeur le dit bien : aucun simulateur ne pourra remplacer la situation réelle à bord d'un avion! Ayant voulu, par solidarité envers un aéroclub en difficulté financière, y adhérer, j'ai du faire face à des pannes de magnéto en plein vol en 2007. Bien avant, pendant mon Service national en 1981, j'ai adhéré à l'aéroclub jouxtant la base aérienne. L'instructeur a tenu à me lâcher au bout de trois heures quarante. Il me donne l'autorisation de décoller et au premier palier un avion me passe juste devant le nez. Plus tard, il me montre un terrain court puis me lâche en me demandant de recommencer. Je me perds... Heureusement, il y avait un cours d'eau sur lequel j'ai pu me repérer pour revenir au terrain. Normal! C'était l'ancien pilote du roi Bokassa! Seulement, il avait peut-être sa manière de former les jeunes pilotes pour l'Afrique... Une expérience stimulante que je n'oublierai jamais!

  • Dans la tête du pilote stressé
    j espère ne pas être censuré ce coup ci en affirmant cela!
    Le cerveau ne pouvant pas traiter trop d information en meme temps, il donne la priorité à la vue en accélérant le nombre d images traitées, ce qui rend l analyse des autres sens ralentie ou atténué.
    Ils viennent de redécouvrir le fil à couper le beurre...

  • Dans la tête du pilote stressé
    Nul besoin de faire Sup-aéro pour savoir qu'un buzzer qui couine augmente le stress au lieu de servir de véritable signal d'alarme. Ce n'est donc pas chez des étudiants que devraient se faire ces réflexions mais dans les Bureaux d'Etude des constructeurs. Et tant qu'ils y sont que les BE mettent en oeuvre une interconnexion entre différents capteurs avec surveillance mutuelle des mesures, pour que les automatismes ne tiennent pas compte des fausses mesures et qu'ils changent de capteurs lorsque certains sont en panne. Il me semble avoir compris que plusieurs accidents graves ont débuté ainsi.
    Quant aux commentaires désobligeants de quelques intervenants ici sur le repos de tel ou tel pilote, qu'ils sachent que pour moi ils n'ont rien compris au problème.
    Déjà un pilote de Rafale a "rarement" à vivre un décalage horaire d'une dizaine d'heures et s'il n'y a pas de couchette dans cet avion il y avait des hamacs dans les Bréguet Atlantique de surveillance maritime.

    • Dans la tête du pilote stressé
      Relisez l'article : il ne s'agit pas d'étudiants mais de chercheurs !

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