Le Golfe prend la main sur le transport aérien mondial

Emirates, Etihad, Qatar Airways (et Lufthansa) lancent le Boeing 777X. Mais Airbus vend aussi des A380. Au premier jour du salon aéronautique de Dubaï (17-21 novembre 2013), les compagnies du Golfe ne laissent plus aucune doute sur leurs ambitions et une réponse est apportée sur l’avenir à court terme du super jumbo jet d’Airbus.

Le salon de Dubaï, qui vient d’ouvrir ses portes, permet à Boeing et Airbus de secouer le transport aérien tout entier et de confirmer de manière spectaculaire que les pays du Golfe sont désormais les seuls à donner le ton. Dans la seule journée du dimanche 17 novembre, quatre compagnies de la région, au sens géopolitique du terme, ont annoncé des commandes d’un montant de plusieurs dizaines de milliards de dollars qui ramènent les autres acteurs à un rôle de simples outsiders. De quoi ébranler la planète Aviation tout entière. Qui plus est, les contrats qui viennent d’être dévoilés sont lourds de conséquences à long terme.

Boeing lance le 777X avec 259 commandes et engagements d’achats : 150 exemplaires (150 !) pour Emirates, 50 pour Qatar, 25 pour Etihad, Lufthansa, qui a choisi de suivre la même voie, s’engageant pour 34 exemplaires. Flydubai, qui joue dans une autre catégorie, va acheter cent 737 MAX et onze 737-800, Etihad, soucieuse de jouer sur deux tableaux, va commander cinquante A350 XWB. Emirates a par ailleurs décidé d’acheter cinquante A380 de plus (50 !), portant son engagement à 140 gros porteurs de ce type, dont 39 déjà livrés. Ces chiffres donnent tout simplement le vertige, d’autant que cette valse de contrats va produire des dommages collatéraux que l’on commence à peine à entrevoir. Enfin, Qatar a commandé cinq A330-200F tout-cargo, capables d’emporter une charge marchande de 70 tonnes, ce qui tend à indiquer que le fret aérien a de nouveau tout l’avenir devant lui.

Le lancement en fanfare du 777-9X, bien qu’il ne s’agisse aucunement d’une surprise, installe sur le marché un gros biréacteur très long-courrier, de 400 places et affichant une distance franchissable pouvant atteindre 15.185 km (8.200 NM). Il est flanqué du 777-8X à 350 places, un duo redoutable que devra contrer le plus évolué des A350 XWB, le tiret « 1000 », l’annonce d’un affrontement musclé.

Le 777-9X constitue un aboutissement. Il y a quelques années seulement, jamais une compagnie aérienne de premier rang n’aurait sérieusement envisagé de mettre en œuvre un long-courrier biréacteur capable d’emporter 400 passagers. De facto, il s’agissait là du domaine réservé des « quads », des quadriréacteurs. D’où la tentation de conclure sans plus attendre que la fin de la carrière du 747-8 est désormais proche et que celle de l’A380 est en grand danger. Ce dont il est d’ailleurs beaucoup question depuis quelques semaines. Mais ce pourrait être une erreur d’appréciation, une analyse simpliste pouvant conduire à une conclusion erronée.

En effet, Emirates, compagnie de référence par excellence, puissante, crédible, prospère et immensément ambitieuse, en route vers la plus haute marche du podium, continue plus que jamais de croire à l’A380 quadriréacteur. Son influence est telle que sa position, son credo, suffisent à renouveler la confiance dans l’avenir du très gros porteur européen. Du coup, on s’interroge, on tente de déceler d’éventuelles faiblesses au cœur de la stratégie d’Airbus. A force de consacrer des efforts considérables à l’A350, l’avionneur de Toulouse ne serait-il pas en train de transformer l’A380 en fils mal aimé ? La question est évidemment « incorrecte », elle ne peut que susciter un démenti cinglant mais mérite quand même d’être posée. Tout comme on peut s’étonner qu’il ne soit à aucun moment question, pour reprendre une expression chère aux militaires, d’un « mid-life update » de l’avion, voire de sa remotorisation ou encore du lancement plus ou moins rapide de l’A380-900 allongé.

Voici Emirates investie d’une responsabilité qu’elle n’a évidemment pas cherchée. Dimanche, à elle seule, elle a donné un souffle nouveau au programme A380 et lui a permis une sortie par le haut d’une crise de confiance qui n’avouait pas son nom. Quels que soient les mérites des 777X et, dans une autre catégorie, ceux de l’A350 XWB, les bases sur lesquelles a été construit le marché potentiel de l’A380 sont plus que jamais bien réelles. Emirates vient de la confirmer.

Flydubai, pour sa part, en plein essor dans la catégorie du court/moyen-courrier low cost, frappe les esprits : abordant une nouvelle phase de son développement, elle achète d’un coup 111 avions ! A sa manière, elle nous rappelle que c’est dans le Golfe que se construit l’avenir du transport aérien, faisant ainsi mentir les prévisions formulées il y a 10 ou 20 ans. Il était alors question de la zone Asie-Pacifique, et d’elle seule.

Les grands acteurs européens à commencer par Air France-KLM et l‘International Airlines Group (British Airways et Iberia) sont d’autant plus violemment marginalisés, en passe d’être rabaissés à de modestes seconds rôles. L’étonnement cède désormais la place à l’inquiétude.

Pierre Sparaco