L’homme fusée

Bernard Chabbert a vécu, en tant que journaliste, la course à la Lune des américains. De ses nombreux séjours à la NASA, il a noué des relations étroites avec plusieurs des astronautes américains. Il propose ici une nouvelle édition revue et augmentée de son livre « L’homme fusée » paru la première fois en 1982.

Voilà un livre exceptionnel que l’on doit recommander à tous, et pas simplement à ceux qui s’intéressent aux « choses de l’air« . On peut le lire sous différents modes : comme un thriller d’une aventure humaine et technique commencée en 1943 et achevée en 1969, comme un livre d’histoire de la conquête spatiale, mais aussi comme un livre de ce que Bernard Chabbert, journaliste, écrivain, commentateur hors pair fait de mieux. Il y a un style Chabbert, faussement décontracté, follement documenté, et qui par touche se laisse aller à l’émotion littéraire.

De l’Allemagne nazie à la guerre froide

L’histoire commence au sein du régiment allemand qui en 1943 met au point le premier avion fusée construit en série – le Me 163 Comète – et constitue le Seizième Commando d’Essais. Et là, l’auteur nous fait passer de Lucien de Samosate aux héros du Walhalla, puis décrit avec un soin méticuleux la carrière de cette quinzaine de pilotes déraisonnables. Il nous donne l’impression de connaître chacun personnellement, décrit chacun de leurs exploits et de leurs accidents : ah l’incroyable crash de Mano Ziegler, le doyen trentenaire (les autres étaient de grands gamins) qui se termine par … une dent cassée seulement.

Ensuite, avec les ingénieurs allemands, nous partons aux Etats Unis et en URSS. Le lecteur suivra la conception et l’envol des programmes d’avions fusées (Skyrocket, X1, X15) puis de vaisseaux spatiaux, Mercury, Geminy, Apollo d’un côté, et Vostok, Spoutnik, Voskhod, Soyouz, de l’autre.

Dans l’intimité de la conquête spatiale

Von Braun et Korolev sont les deus ex machina de cette saga ; sans eux elle n’aurait pas eu lieu ; certes les héros furent les pilotes, les astronautes et les directeurs des vols. Bernard Chabbert les rend tous présents et donne l’impression de tout savoir sur eux y compris le contenu de leur trousse de toilette ou de la boite à gants de leurs voitures. Nous participons aux « premières » spatiales, aux drames publics et aux émois intimes.

De temps en temps j’arrêtais volontairement la lecture pour me laisser imprégner, car il aurait été dommage d’ingurgiter trop vite autant d’émotions et autant d’informations. Même celui qui connait les évènements et les noms des protagonistes passe de l’Histoire à l’intime. Certains détails sont étonnants. Vous trouverez l’intégralité des échanges radio entre Gagarine et le sol. J’ai été très étonné de découvrir qu’après le premier alunissage, et avant d’ouvrir l’écoutille du LM pour descendre à la surface de la Lune, Aldrin avait célébré un office religieux, une communion personnelle avec du vin et du pain consacrés que son pasteur lui avait remis.

Morceaux choisis

Pour vous donner envie de lire « L’homme fusée » j’évoquerai deux exemples du style inimitable de l’auteur parlant du désert de Mojave ou de « l’astrochimp« , le singe Ham. « Les ombres des cactus semblent peintes sur le sol avec des aiguilles comme des alênes d’acier trempé ; le sol vérolé peut tout juste faire survivre quelques touffes d’herbe sèche, tristes moumoutes poussiéreuses et philosophes »

Avant le premier vol humain de Mercury, on décida d’envoyer un singe, un chimpanzé surentrainé. « L’astrochimp n’était pas à bord pour attendre tranquillement en subissant les évènements : il devait pousser sur deux leviers lorsque s’allumaient devant lui des lampes de couleurs variées. S’il poussait à bon escient, tout allait bien ; s’il perdait les pédales, il recevait des décharges électriques. Durant les quinze minutes de vol (dont certaines sous un facteur de charge de 15G) il ne commit que deux erreurs, ce qui fera dire plus tard qu’il avait surclassé bien des astronautes réputés fines gâchettes »

 A vous le plaisir de la découverte !

Jean Ponsignon

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