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Culture Aéro

2/4 – Le Noratlas, pierre angulaire de l’axe franco-allemand du transport militaire

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Frédéric Lert

Après l’épisode du Junkers 52, les rôles s’inversent et c’est au tour de la France d’équiper l’Allemagne avec le Noratlas. Un excellent avion de transition entre les années 1940 et le monde nouveau qui s’annonce… 161 Noratlas seront fabriqués à Hambourg.

Quand le premier prototype du Nord 2500 décolle pour la première fois le 10 septembre 1949, les tickets de rationnement sont encore utilisés en France et les Ju52 et autres AAC-1 Toucan (voir épisode précédent) transitent laborieusement vers l’Orient et le théâtre d’opération indochinois. Malgré les destructions de la guerre, les privations et l’anémie d’un outil industriel qu’il faut remettre sur pied, l’équipe de la SNCAN ne chôme pas et réussit un joli coup.

Dans le sillage du Gotha 244, des C-82 et C-119

Certes elle s’inspire de solutions techniques déjà existantes. Mais elle le fait avec talent. La solution du fuselage bipoutre, adaptée au largage de charges lourdes par la tranche arrière, a été défrichée pendant la guerre avec le Gotha 244 allemand. Les Américains l’ont reprise avec les Fairchild C-82 Packet et C-119 Flying Boxcar.

Il faudra attendre quelques années pour que l’idée d’une rampe placée sous l’arrière du fuselage et la dérive se généralise avec le C-123, un autre produit de la maison Fairchild, puis avec le Lockheed C-130 Hercules. Mais à la fin des années 1940, nous n’en sommes pas encore là et le bipoutre à la côte !

Un avion moderne

Le Nord 2500 qui décolle donc en 1949 n’a pas encore reçu son nom de baptême « Noratlas ». Celui-ci viendra avec le deuxième prototype, appelé Nord 2501, qui prend l’air quatorze mois plus tard et se distingue par ses moteurs Bristol Hercules de 2000 cv mariés à des hélices quadripales.

En vol au-dessus de la Méditerranée, le 62-SU exhibe ses couleurs classiques, blanc sur le dessus du fuselage contre le soleil, alu naturel ailleurs avec les trois couleurs sur les empennages. © collection Michel Maisonhaute.

« C’était un très bon avion » se souvient Alain Piquemal, un ancien jeune pilote que l’on peut croiser au Conservatoire de l’air et de l’espace d’Aquitaine. Alain Piquemal commença sa carrière dans le transport militaire en 1965. « Une dizaine d’années après son premier vol, le Noratlas était perçu comme très moderne, même si nous étions encore équipés à l’époque de postes de radio à quartz à douze fréquences. Quand on partait en mission, il fallait récupérer les bons quartzs en salle d’ops, en fonction des fréquences que l’on aurait à utiliser. Et pour utiliser une fréquence non prévue dans les douze dont nous disposions, il fallait régler les quartzs manuellement au tournevis dans l’intersoute. Autant dire que le radio ne s’ennuyait pas quand on faisait des missions vers Berlin… »

Une conception simple

Le Noratlas était un avion de conception très simple : en l’absence de pressurisation, la ventilation se faisait avec des aérateurs et une écope branchée dans le tube lance-fusées permettait de rabattre de l’air frais en cabine. L’appareil pesait 13,7 tonnes à vide et 21,7 tonnes en charge. Comparaison n’est pas raison mais elle peut être source d’étonnement : le Rafale, c’est 9,7 tonnes à vide (quatre tonnes de moins que le Noratlas) mais jusqu’à 24,5 tonnes max au décollage (trois tonnes de plus !)

Un appareil du GT 1/62 en Algérie aux alentours de 1958. Les deux demi coquilles de l’arrière du fuselage sont ouvertes. © collection Alain Deboutière

« On prenait 5.090 litres d’essence à bord poursuit Alain Piquemal. Au rythme de 240 litres de carburant et 8 litres d’huile par heure et par moteur, on tenait en l’air neuf heures à la vitesse de 180 kt en croisière. L’avion était très sain, bien « plumé », il était très apprécié des équipages ».

Un Noratlas allemand sous licence française

L’avion débute sa carrière opérationnelle en 1954 et sa réussite est telle que l’Allemagne commence à s’y intéresser. Poussée par les Américains, la nouvelle république fédérale songe à reconstituer une armée pour faire face au bloc de l’Est naissant. L’argent est là, la volonté politique aussi et le Noratlas est donc sélectionné par Bonn. Clin d’œil de l’histoire : le Ju 52 avait permis la renaissance du transport militaire français et dix ans plus tard, c’était au tour d’un avion français de permettre la renaissance du transport militaire allemand.

Le poste de pilotage de l’appareil préservé au Conservatoire de l’Air et de l’Espace d’Aquitaine. La visibilité est parfaite pour un avion tactique ! © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

La France donne rapidement son accord pour une fabrication sous licence dont le contrat est signé le 15 juin 1956. Comme bien souvent dans ce genre de situation, une première commande est passée pour un premier lot de 20 avions (chiffre ensuite porté à 25) fabriqués en France. Les Allemands doivent fabriquer quant à eux 112 N2501D sous licence (D pour « Deutschland »). Des avions identiques au dernier standard des appareils français, avec de grandes arrêtes de dérive et de grandes glaces latérales dans le poste de pilotage. L’assemblage final doit se faire à Hambourg.

Une coopération franco-allemande sensible

Tout va alors très vite : le premier avion fabriqué en France est présenté officiellement à la Luftwaffe le 23 novembre 1956 et le 25ème avion est remis sur le terrain de Neubiberg 18 mois plus tard, le 12 mai 1958. Pendant ces quelques mois, l’industrie allemande a pu se préparer à la construction sous licence, aidée par les équipes de la SNCAN. La coopération franco-allemande ne fut toutefois pas toujours un long fleuve tranquille, comme le rappelle l’excellente monographie de Xavier Capy et Gilbert Millas (éditions Lela Presse) :

« Lors des premières révisions en novembre 1957, les Allemands feront part de quelques défectuosités décelées sur les appareils, qui n’avaient alors que 150 heures de vol en moyenne (…) L’affaire fera grand bruit, relayée par une vaste campagne dans la presse germanique, avec des commentaires peu flatteurs pour l’industrie aéronautique française. La SNCAN fut parfois même accusée de malveillance, voire de sabotage ». Sans doute les cicatrices de la guerre étaient-elles encore très fraiches…

161 Noratlas fabriqués à Hambourg

Mais l’Allemagne ne fut finalement pas si mécontente des avions, puisqu’elle en commanda en fait 49 de plus que prévu, portant le total à 186 appareils dont 161 fabriqués à Hambourg. Le dernier fut livré en 1964.

A cette époque, les échanges entre les escadrons français et allemands étaient entrés dans les mœurs, sous le haut patronage de l’Otan. Alain Piquemal se souvient de la venue régulière d’un équipage allemand en échange dans les escadrons français. « Les Allemands venaient avec la bière et le schnaps… Et l’armée de l’Air envoyait également un équipage français au sein de la LTG62 (escadre allemande de transport)… »

Le Nord 2501 n°194 préservé par l’association « Noratlas de Provence » est le dernier en état de vol au monde. Un appareil d’une valeur patrimoniale exceptionnelle ! © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

En service jusqu’en 1990

Autre télescopage étonnant de l’histoire : le dernier Noratlas sort de chaine à Hambourg en 1964. Or le premier prototype du Transall a déjà réalisé son premier vol l’année précédente ! Comme dans une course de relais parfaitement exécutée, le relayeur a commencé à courir avant même de recevoir le témoin…

Et c’est ainsi que les premiers C-160 arrivant en France et en Allemagne dans les premiers jours de 1968 prennent directement le relais des Noratlas entrés en service une douzaine d’années plus tôt seulement ! Les derniers Noratlas sont retirés des unités opérationnelles en Allemagne au début des années 1970. Le tout dernier vol d’un Noratlas allemand prend place le 14 septembre 1975 avec un avion d’une unité école.

Les appareils connaissent alors une deuxième carrière au Portugal, en Grèce et en Israël ainsi que dans quelques pays africains.

La France joue quant à elle les prolongations : on trouve encore les Noratlas en première ligne au Tchad en 1984, dans le cadre de l’opération Manta. L’Escadron Electronique 54 « Dunkerque » garde quant à lui ses avions jusqu’en 1989. Le rideau tombe définitivement le 25 mai 1990 avec le dernier vol du Noratlas n°18 de l’AIA (Atelier Industriel de l’Aéronautique) de Clermont-Ferrand utilisé pour toutes sortes de vols d’essais.

Frédéric Lert

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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  • Bonjour, pour c'est 2000 heures au manche de cet appareil, Beaucoup de souveniers:
    Une à 4000metres au dessus de la frontière tunisiènne et sa Flak et un paquet de lucioles,
    Une en appui pour un poste attaqué en Kabylie,encore de lucioles
    Alger -Inecker: une visie extra, et des evasans...
    Excellents souvenirs J-D

  • J'ai eu la chance d'emmener les derniers Nord (transformés en avions civils) au ZAîRE avec un ami et avec seulement mon PPL. C'est un diamentaire belge qui avait monté une petite compagnie de fret avec 4 "grises". J'avais piloté ces avions chez ACE (Air Charter Express) où nous avions comme ligne régulière Toulouse-Nimes-Le Bourget et retour, de nuit, pour les colis express de la SERNAM dans les années 1980.

  • Yves
    J'ai eu la chance d'effectuer 3 heures de vol dans le poste de pilotage au cours d'une séance de parachutages. L'équipage se composait d'un jeune lieutenant pilote cdt de bord, un jeune sergent co-pilote, un mecnav et un navigateur. Le plus impressionnant à l'atterrissage: la mise en marche des rivers après le posé des roues, ça vibrait fort dans le poste de pilotage. Très bon souvenir des années 70.

  • J'ai effectué les 4 sauts de ma pm para avec avant de passer sur transall. Je préférais sauter avec le Noratlas plutôt que le transal.

    al.

  • J'ai eu le privilege de voler sur cette machine (PAX), une experience inoubliable entre Istres et Solenzara. Un vol interminable avec des odeurs d'huile, des vibrations comme jamais et une visiblite sans probleme au travers des hublots dont certains etaient depourvu de verriere. Il y avait aussi le demarrage capricieux des moteurs qui crachaient la fumee, toute un epoque ...
    Dans les mois qui ont suivi, les vols en Transall bien que plus confortables paraissaient un peu tristes.
    A noter qu'il ya eu une version du Noratlas equipe en plus de 2 turboreacteurs Marbore (ceux du Fouga) pour l'assistance au decollage sur terrain court, peut etre que Frederic Lert en sait davantage sur ce modele).

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