Alain Ernoult : « En une fraction de seconde, l’A380 est devenu réel »

La silhouette de l’A3XX dessinée par 700 ingénieurs et techniciens sur le site même où allait être construit le site d’assemblage final de l’A380. Et moins de 24 heures pour mettre en scène cette photo qui, 20 années plus tard, prend encore une nouvelle dimension au moment de l’arrêt définitif du programme du super jumbo d’Airbus.

« Paris-Match m’avait donné carte blanche. Quand je suis arrivé à Toulouse, Noël Forgeard, le PDG d’EADS, m’a montré une maquette de l’A3XX. C’était tout ce qu’il avait à me proposer. Pour faire une double page, c’était un cauchemar », se souvient Alain Ernoult. C’est là que le photographe a l’idée de mettre en scène ceux qui sont en train d’imaginer et de concevoir le futur quadriréacteur très-gros-porteur d’Airbus.

Il convainc l’avionneur de faire venir à Toulouse, de ses différents sites européens, des ingénieurs et techniciens volontaires qui travaillent sur le projet. Il veut réunir à Blagnac ceux qui sont en train de dessiner l’A3XX, l’avion de tous les fantasmes, mais que jamais personne n’a évidemment encore vu puisqu’il n’existe que dans leur imagination et dans leurs ordinateurs.

Les hommes avant les machines. Une constante dans la carrière de ce photographe qui se définit comme « un créateur d’image ».

Alain Ernoult va au bout de sa logique en décidant que la photo serait prise sur le futur site d’assemblage. « Il a d’abord fallu créer une route d’accès et faucher le terrain vague. Pendant la nuit, des géomètres ont tracé sur le sol, la silhouette de l’avion, à l’échelle 1, et au mètre près ».

Entre temps, il a fallu aussi trouver 700 tee-shirts blancs et autant de casquettes. Quand les figurants sont arrivés sur le site, chacun a également reçu un document dans lequel le photographe détaillait ce qu’il attendait de chacun.

A 15 heures tout devait être terminé. C’était l’heure à laquelle passait au-dessus de Toulouse un satellite espion. Pas question de lui offrir un plan grandeur nature du futur A380. La séance de prise de vues a duré une demi-heure.

« J’ai utilisé un hélicoptère. J’ai fait une première photo au 16 mm fish-eye, à 2 mètres de hauteur. La seconde entre 20 et 30 m, au téléobjectif de 100 mm. Pour montrer la cohésion d’équipe, je voulais une photo avec les bras écartés, comme s’ils volaient. Quand je suis sorti de l’hélico, les gens ont tous levé les bras, puis ont applaudi. L’émotion était très forte. Nous avions tous les larmes aux yeux. Nous avons tous eu le sentiment que nous venions de passer d’un projet virtuel à un vrai projet concret ». L’A3XX qui allait devenir quelques mois plus tard l’A380 existait pour la première fois.

En argentique, il fallait maîtriser la technique et il n’y avait pas de droit à l’erreur au niveau de l’exposition. En numérique, le résultat est immédiat.

En ce temps-là, les photographes travaillaient en argentique et l’exposition se mesurait au tiers de diaphragme. Il fallait attendre le traitement en labo du film, pour savoir si la photo était réussie. « Entre la prise de vue et le développement, il ne fallait pas m’embêter », avoue Alain Ernoult qui se souvient du stress que lui généraient ces séances.

La perspective de revivre cette situation inconfortable n’a l’a jamais empêché d’imaginer les plus incroyables mises en scène qui ont imprimé des photos extraordinaires dans la mémoire collective et inspiré une génération de photographes aéronautiques. A travers son regard et plus encore sa créativité, il a apporté à la photo d’aviation, qui était jusque-là purement technique, une dimension artistique. Il a ouvert la voie à toute une génération de jeunes photographes qui, trop souvent a son goût, « collent de trop près à son style ».

« Le poids des mots. Le choc des photos ». Avec le profil de l’A3XX dessiné dans un champ de Blagnac, Alain Ernoult a, une fois de plus, ce jour-là, relevé le défi de Paris Match. C’était le 20 juillet 2000…

Gil Roy

Alain Ernoult

Son site internet

Son dernier livre Fou d’ailes