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Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?

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Bruno Rivière

A la lecture du second volume de la grande biographie que consacrée Bernard Marck à Antoine de Saint Exupéry (« La gloire amère »), la question se pose : Saint Exupéry a-t-il délibérément précipité son avion dans la Méditerranée, ce fameux 31 juillet 1944 ? L’auteur apporte sa réponse.


Après « La soif d’exister », œuvre magistrale qui couvre la période de 1900 à 1936, Bernard Marck s’attaque aujourd’hui à la seconde période de la vie trépidante d’Antoine de Saint Exupéry, qui court de 1936 à sa disparition en 1944. Ce second volume « La gloire amère » (Editions L’Archipel) tout aussi volumineux que le premier, est absolument sensationnel. Pourquoi ? Parce que Bernard Marck, ici, dresse avec son talent habituel le portrait parfois méconnu du pilote-écrivain Antoine de Saint Exupéry qui fut, dès le début de la guerre, un engagé au service de la France, une véritable voix de la Résistance, mais aussi un amoureux malheureux des femmes, un écrivain minutieux, voire maniaque, un homme torturé à la recherche de l’absolu, de lui-même donc. Bref, un Antoine de Saint Exupéry en quête de sa vérité.

Mais la question principale, celle à laquelle finalement personne aujourd’hui n’a apporté de réponse claire et précise, demeure : lorsque le commandant Saint Exupéry, le 31 juillet 1944, décolle de Bastia avec le bimoteur Lightning P-38 n°223 pour une mission de reconnaissance et de prises de vues aériennes au-dessus de la métropole vers Lyon notamment, avait-il oui on non l’intention d’en finir avec cette vie qui le déprimait tant ? Depuis son retour de New York en Afrique du nord en avril 1943, Saint Exupéry rumine les idées noires : « Je ne pars pas pour mourir. Je pars pour souffrir et ainsi communier avec les miens. Je ne désire pas me faire tuer, mais j’accepte bien volontiers de m’endormir ainsi… » ; « Si je suis tué en guerre, je m’en moque bien… » ; « Je suis découragé, découragé… Je perds ma vie. Je n’ai jamais eu sensation pareille d’usure sans fruit. Et c’est atroce. » ; « Je n’ai jamais, jamais été aussi seul au monde… » Etc. Etc.

Bernard Marck, telle une araignée tissant méticuleusement sa toile, n’a rien laissé au hasard, ni à l’interprétation. Je ne le redirai jamais assez : Bernard Marck a passé vingt ans de sa vie à « investiguer » autour de Saint Exupéry. Plusieurs milliers d’heures d’interviews avec les proches, la famille, les politiques, les militaires, les consultations d’archives… C’est dire que Bernard Marck connaît Saint Exupéry. Mieux que quiconque. Et au final, toujours la même interrogation : l’homme qui a été « cité à l’ordre de l’armée aérienne à titre posthume, pour avoir prouvé en 1940 comme en 1943, sa passion de servir et sa foi en le destin de la patrie… » a-t-il était abattu par la chasse allemande ? A-t-il connu une défaillance mécanique ? S’est-il – comme on l’a dit souvent – évanoui à bord par manque d’oxygène ? Ou bien a-t-il délibérément choisi de rejoindre Mermoz, Guillaumet, Reine et tant d’autres, et même sa chère Consuelo ? Celui qu’on disait toujours entre deux métiers, entre deux livres, entre deux femmes, entre deux pays, a-t-il fini par faire son choix ?

La biographie de Bernard Marck ne donne pas la réponse. D’ailleurs, qui connaît la réponse ? On peut se contenter de la note militaire, tombée à 15h30 à Borgo (l’aéroport de Bastia) le 31 juillet 1944 : « Pilote non rentré, présumé disparu. » On peut aussi examiner les très nombreux témoignages, y compris d’anciens pilotes allemands, et noter les incohérences entre eux. On peut aussi, comme le rappellent des proches de Saint Exupéry, laisser « reposer en paix Saint-Ex… De la mer vient la vie, et la vie y retourne. C’est ainsi. »

Cependant, l’auteur interrogé par AeroBuzz reconnaît : « non, Antoine de Saint Exupéry ne s’est pas suicidé ! Mais les preuves manquent, je le reconnais. En tout cas, une chose est sûre – ou presque ! – il n’a pas été descendu par la chasse allemande. La réalité, c’est que notre homme, fatigué, malade, se savait condamné… A-t-il délibérément pris l’air en connaissance de cause ? » Finalement, Saint Exupéry, comme toujours, aura rejoint d’autres cieux avec son secret…

Pour autant, la magnifique saga de Bernard Marck entraine le lecteur dans l’intimité de Saint Exupéry. On y découvre comment l’auteur du « Petit Prince », de « Pilote de guerre » et de tant d’autres ouvrages a passé ses nuits à rédiger ses œuvres. Jamais content, il griffonnera jusqu’à six ou sept versions d’un même chapitre avant d’achever un livre. Côté politique, Saint-Ex ne prendra jamais une position ferme entre Vichy (Pétain) et De Gaulle. L’histoire retiendra cependant que deux aéroports seulement en France portent le nom de figures de la France contemporaine, De Gaulle et Saint Exupéry : Roissy-CDG et Lyon. Enfin, au terme de cette fresque historique, après avoir partagé sa vie – et, d’une certaine manière celle de sa femme Consuelo – on se prend à devenir le confident de Saint-Ex, son complice… et même son ami.

Bruno Rivière

Avec le groupe 2/33 à Alghero (Sardaigne) et des Américains du 23 ème groupe de reconnaissance, le 18 juin 1944.
Antoine de Saint Exupéry, pilote de guerre
Antoine de Saint Exupéry le 7 février 1938. Cette photo a pu être prise à New York…
Antoine de Saint Exupéry – La gloire amère (1937-1944)
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Bruno Rivière

Reporter photographe par passion, Bruno Rivière a assuré la rédaction en chef d’Aéroports Magazine pendant près de 25 ans. Il a également enseigné le journalisme en faculté. Spécialiste du transport aérien, il a rejoint Aerobuzz en janvier 2011. Bruno Rivière réalise des reportages et des recensions de livres.

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  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    Bonjour, il existe,entre-autres, un document d'une administration allemande chargée de fournir des statistiques à l'Etat Major sur les actions de la chasse qui donne le BON nombre de Lightnings abbatus (correspondant aux pertes américaines) le 31 juillet 44 et, un seul (Saint-Ex forcémment) en Méditerrannée.
    LE COMMANDANT ANTOINE DE SAINT-EXUPERY A ETE ABATTU PAR LA CHASSE ALLEMANDE
    Il est dommage que les "Historiens" ne se lisent qu'entre eux et ne consultent pas les rapports scientifiques des archéologues qui font des fouilles sur le terrain et dans les archives publiques et privées.
    Luc Vanrell.

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    J'ajouterai qu'il est impossible d'être d'accord avec la louange d'"oeuvre magistrale" faite par M. Rivière - certainement rien à voir avec celui de "Vol de nuit" ! - quant au tome 1 de M. Mark. En effet, celui-ci a essentiellement repris les caciques des auteurs modernes. Beaucoup d'imprécisions, d'erreurs même, foisonnent dans ce livre. Ainsi la personne à qui Saint-Ex passe des petits papiers pendant que le moteur Renault du Breguet tousse au-dessus de la baie du Rio de Oro n'est pas un passager, mais le mécano Jean-René Lefèbvre qui a rapporté l'anecdote dans ses mémoires écrites par Claude Mossé. Ainsi la période vécue par Saint-Ex en Argentine se résume aux histoires rabâchées : il va chercher Guillaumet dans les Andes - et là encore, le rôle majeur de Pierre Deley est oublié - et il rencontre Consuelo. Bon, on a l'histoire de son premier passager sur la ligne patagonienne. mais c'est peu. Et apparemment M. Mark n'est jamais allé en Amérique du Sud. En 1930, en pleine pampa argentine il fait boire de la caïpirinha brésilienne à Mermoz et non du maté. On est en plein délire touristique. Alors, on se doutait bien qu'en seconde partie on allait nous servir la thèse tout aussi délirante et éculée du suicide... Mais il faut reconnaître que les deux tomes, ça fait un bon poids de papier qui en impressionnera plus d'un.

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    Ce commentaire me fait penser au livre "Qui a tué Mermoz ?" Là aussi, on n'a pas eu la réponse. Mais Saint-Exupéry fait encore plus délirer. Une élucidation de sa mort avait été apportée lors des "Journées internationales Saint-Exupéry" en juin 2009 au Collège des Bernardins à Paris. Dommage que M. Marck n'y fut pas ! Quant à Consuelo, je m'étonne de voir écrit ici : "A-t-il délibérément choisi de rejoindre Mermoz... et même sa chère Consuelo ?" Curieux ! Je ne crois pas que Consuelo avait déjà trépassé en juillet 1944. Je l'ai rencontrée en 1967 et elle m'a dédicacé les oeuvres d'Antoine de Saint Exupéry, bibliothèque de La Pléiade. À moins que ce fut un fantôme !

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    je pense qu'il a eu un problème physiologique .... il avait 44 ans il faisait des missions de guerre à hautes altitude ( aux alentours de 30 000Ft surement...), cela use énormément un homme, quand on voit rené mouchotte qui à eu un malaise à haute altitude à cause de sa fatigue extrême qui n'avait que 29 ans, alors un saint-ex de 44 ans c'était effectivement trop vieux pour piloter de avions de chasse ...
    Paix à son âme.................

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    Que penser alors de cet article ?
    Jacques PRADEL présentait son dernier livre "Saint exupéry l'ultime secret", coécrit avec le plongeur Luc VANRELL
    - c'était le 31 juillet 1944, au-dessus de la Méditerranée -le mystère semble s'éclaircir.
    Le pilote allemand qui l'aurait abattu ,serait un ancien as de la Luftwaffe,Horst RIPPERT, 88 ans aujourd'hui,
    frère du chanteur IVAN REBROFF dont le véritable nom était Hans-Rolf RIPPERT.

    Horst Rippert a terminé la guerre avec 29 victoires en combats aériens. Ce 31 juillet 1944, il reçoit l'ordre de décoller car un radar a signalé la présence d'un avion ennemi au-dessus d'Annecy. Entre les Milles et Hyères, il aperçoit le Lightning P38 rentrant d'une mission de reconnaissance, 3000 mètres plus bas.
    «Si j'avais su...»

    «. J'ai plongé dans sa direction. Je l'ai touché. Le zinc s'est abîmé. Droit dans l'eau. Personne n'a sauté. Le pilote, je ne l'ai pas vu. J'ai appris quelques jours après que c'était Saint-Exupéry.
    Si j'avais su, je n'aurais pas tiré. J'aimais tous ses livres. C'est lui qui a donné le goût de voler à beaucoup de pilotes comme moi.»

    Longtemps toutes les hypothèses ont circulé sur la disparition de l'auteur de Vol de nuit ou Pilote de guerre. En 1998, un pêcheur avait retrouvé dans ses filets, au large de Marseille, une gourmette portant le nom de l'écrivain. Deux ans après, le plongeur Luc Vanrell retrouvait les débris du Lightning près de l'île de Riou à Marseille.

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    bonjour
    Non il ne s'est pas suicidé, le pilote allemand qui l'a abattu est déjà passé dans une émission de télé où cet homme à même dit : je possède des livres de St Ex et si une seule minute j'avais pu penser que c'était lui dans l'avion je n'aurais pas tiré, je puis témoigner que ce pilote pleurait en le disant.
    Donc pour moi : affaire classé St Ex a été abattu en vol.....
    Et j'ajouterai qu'ancien militaire (36 ans de gendarmerie) j'ai un profond respect pour cet homme .
    Joani SIMON

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    Il existe un récit peu connu du dernier combat de St Exupéry avec 2 avions allemands, corroboré par le témoignage d'un des pilotes et d'une personne au sol. Ce récit, paru dans un magazine aéronautique (Vielles Tiges ?) vers 1977 est mis au rang de "légende" dans http://aerostories.free.fr/biographies/saintex/page3.html
    (la thèse selon laquelle Antoine de Saint-Exupéry a été abattu par le Fähnrich Eichele sur Fw 190D-9 au large de Saint-Raphaël).
    Mais cette histoire est tout à fait plausible, et expliquerait très bien comment le Lighting de St Exupéry serait tombé en mer, alors qu'il ne faisait qu'une mission de reconnaissance.

    • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
      De plus cette hypothèse de la fin de St.Ex.est évoquée dans "le dernier vol de St Ex"diffusé récemment par la chaîne Histoire.

  • Antoine de Saint Exupéry s’est-il « suicidé » ?
    "Je suis de France. La France formait des Renoir, des Pascal, des Pasteur, des Guillaumet.... Elle formait aussi des incapables, des politicens et des tricheurs. Mais il me parait trop aisé de se reclamer des uns et de nier toute parenté avec les autres...Pour etre il faut d'abord se prendre en charge."
    --A. de St. Exupéry Pilote de Guerre (1942)

    For a book as deep as gravity, and as luminous as the coming sunset, Major Ex. , thank you.

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Bruno Rivière

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