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Le N°1 des essais en vol d’Airbus

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Martin R.

En toute logique, c’est à lui que reviendra la chance de faire le premier vol l’A380. L’événement devrait se dérouler fin 2004. A ce moment-là, le plus gros avion de transport jamais construit n’aura plus aucun secret pour lui.


Le premier vol du super-jumbo d’Airbus est programmé pour décembre 2004. La responsabilité devrait en revenir à Jacques Rosay, le chef-pilote d’essais du constructeur européen. « Rien n’est encore décidé, il est trop tôt, mais je suis effectivement le mieux placé pour le faire ». Dès l’origine, il a été nommé « pilote de projet » de l’A3XX et il est de ce fait étroitement associé à l’étude du cockpit lancée en 1996. Il s’attache à dédramatiser ce futur premier vol. « Si on commence à s’émouvoir, ça ne va plus. Dans les années cinquante, on mettait un truc sur le parking et on y allait. On ne savait pas comment ça allait se passer. Quand nous décollerons pour la première fois avec l’A380, cet avion nous le connaîtrons parfaitement. Le programme d’essais aura été réalisé dans son ensemble au simulateur. Les essais en vol seront faits, comme pour tous les avions de transport aujourd’hui, principalement pour affiner les réglages, pour s’accorder à la réalité ». Il n’en demeure pas moins que le premier vol – et d’une manière plus globale, tous les vols d’essais qui suivent – constitue pour un nouvel avion, « un juge de paix ». Le pilote doit être tout entier à sa mission : « il ne faut pas se laisser embarquer par la pression médiatique. L’émotionnel dans les essais, ce n’est pas bon ».

Jacques Rosay est solide et il est difficile d’imaginer que cet homme simple puisse être sensible à « la pression médiatique », aussi forte soit-elle. Ce premier vol sera un événement à l’échelle de la planète, mais ce jour-là, il ne fait aucun doute qu’il aura le recul habituel pour mettre en application la recommandation d’un de ses anciens chefs-pilotes qui répétait qu’un bon pilote d’essais doit savoir « se regarder piloter ». « Une partie de soi, exécute une tâche et l’autre analyse. Il faut un minimum d’aisance au départ et être suffisamment adroit pour ne pas investir trop de ressources dans le pilotage ». Ces qualités ne sont pas données au premier venu. Elles peuvent s’acquérir avec l’expérience. A cinquante ans, Jacques Rosay totalise 7800 heures de vol sur 160 machines différentes, de l’ULM pendulaire au gros porteur en passant par les avions d’arme.

Il ne se contente pas de mettre techniquement au point un avion, il s’efforce de le rendre opérationnel. Et pour cela, il doit savoir comment il sera utilisé. C’est la raison pour laquelle, il a été chasseur, vélivole ou encore pilote de ligne. « Pour un pilote de ligne, l’avion n’est qu’un des aspects de son métier. Il y a aussi tous les problèmes commerciaux. Je le savais avant de travailler pour Air France, mais le vivre au quotidien permet de mieux appréhender le problème ». Pendant quatre ans, alors qu’il était au Centre d’essais en vol d’Istres, il a volé, une semaine par mois, sur A320 pour le compte de la compagnie nationale. A cette même époque, il a pris part aux essais de certification des Boeing 777 et 737-500, du Jetstream 41, du Falcon2000, de l’A340, l’A321…

Il a débuté sa carrière à temps partiel de pilote de ligne, un an et demi après l’entrée en service du très controversé A320. « Il y avait encore de gros débats sur les commandes de vol électriques et les avions automatisés. Dans les cockpits, la discussion partait sur des sujets techniques, dès qu’ils savaient que j’étais pilote au CEV. Depuis les mentalités ont évolué. La communication d’Airbus aussi. Je pense également, qu’en tant que pilotes d’essais d’un constructeur, nous avons un rôle de passeur entre deux mondes, celui des ingénieurs et celui des utilisateurs ».

Cette certitude, Jacques Rosay, l’a acquise très tôt. Bien avant de rejoindre Airbus. « Si il y a un pilote dans l’avion, c’est d’abord parce qu’on a besoin d’un jugement et d’une intelligence. Pour faire face à une situation non prévue, il faut de l’intuition. Le cockpit doit être organisé pour permettre au pilote de faire preuve de jugement. Il faut donc le décharger des tâches subalternes et répétitives pour qu’il garde toute sa disponibilité. A lui de choisir son niveau d’automatisme. Le point faible des avions, c’est précisément l’interface entre l’avion et l’homme. En ce qui concerne les qualités de vol et les performances, les bureaux d’études savent déterminer les objectifs même s’ils ne sont pas faciles à atteindre. En revanche, les solutions de dialogue sont proposées par des informaticiens. En tant que pilotes d’essais, nous avons un énorme travail pour que ce langage soit le nôtre, celui des pilotes. D’une certaine manière notre rôle est de représenter la communauté des pilotes et ne pas accepter de se laisser entraîner dans une démarche qui soit purement celle d’informaticiens et d’ingénieurs. Aller vérifier si un dérapage stabilisé est conforme au règlement, c’est pas forcément facile, mais c’est factuel. Il faut être sérieux et pas maladroit pour le faire. En revanche, quand on aborde la question du dialogue entre le pilote et l’avion, il faut être créatif ».

C’est sur le programme du Mirage 2000N qu’il a, pour la première fois de sa carrière de pilote d’essais, été confronté à ce problème. Il était alors chef-pilote du CEV d’Istres. « C’est la plus riche période de ma vie ». C’était les années 80, plus précisément entre 1982 et 1987. « Je n’avais pas l’expérience de suivi de terrain, du vol à 200 ft et à 600 kts. Mais j’ai constaté qu’il y avait un problème pour passer d’un mode de vol à l’autre. Avec mon ingénieur de vol, nous avons passé nos vacances de Noël à rédiger une proposition de design du cockpit. Le constructeur n’était pas d’accord avec nous, mais au bout de six mois, les modifications que nous proposions ont été acceptées. C’est sùrement mon plus beau souvenir d’essais en vol. Nous avions très peu de moyen. Le bureau d’études c’était nous deux, l’ingénieur de vol et moi. » Aujourd’hui, Jacques Rosay travaille dans un environnement radicalement différent.

Depuis 1996, il est impliqué dans l’étude du cockpit de l’A380. « Nous aurions pu reprendre celui de l’A340, qui est certifié et dont nous sommes satisfaits. Pour ma part, j’ai poussé pour la solution d’un cockpit entièrement nouveau. Il y a eu des discussions animées. L’A340 est au standard technologique de la fin des années 80. En l’adaptant à l’A380, nous nous serions retrouvés, au jour du premier vol, avec une technologie de quinze ans d’âge. Il faut avoir conscience que parmi les pilotes de ligne qui seront amenés à voler sur cet avion, certains ne sont pas encore nés et que la plupart baignent déjà dans la technologie du virtuel. Il fallait trouver le chemin étroit entre ne pas évoluer et partir sur des chemins complètement déconnectés de la philosophie actuelle ». La planche de bord du futur très-gros-porteur se caractérise par ses huit écrans identiques, grand format, qui peuvent être reconfigurer à volonté. Ils sont plus lisibles et plus intuitifs et libèrent le pilote de la contrainte de la clé de ligne. « On passe des lignes de code aux icônes. On adopte l’évolution du PC avec 15 ans de retard. En aéronautique, il n’est pas possible d’avancer au même rythme que l’informatique grand public pour des raisons évidentes de fiabilité ».

Ce travail de réflexion et de conception ainsi que les questions opérationnelles que pose en permanence le bureau d’études représentent plus de la moitié de l’activité de Jacques Rosay. La gestion de l’emploi du temps de son équipe et le suivi de progression des jeunes pilotes représentent également une autre moitié. « Je m’impose de conserver des périodes d’une demi-journée par jour pour voler. Au total je fais en gros trois mi-temps ».

Il a pris les fonctions de chef-pilote, l’année dernière, au moment du départ en retraite de son prédécesseur. Il est arrivé chez Airbus en 1995. C’est Bernard Ziegler qui l’a fait venir. « J’ai réfléchi pendant longtemps. Au CEV, je passais de l’ULM à l’A340. J’étais le roi du pétrole ». En venant à Toulouse, à 45 ans, il a tourné une page sur une carrière déjà très riche, pavée de machines prestigieuses comme le Mystère 4 qu’il a découvert à Cazeau : « il fait partie de mes bons souvenirs aéronautiques. Je totalisais 200 heures de vol seulement et je me suis retrouvé dans un monoplace, sans avoir eu la possibilité au préalable de voler sur un biplace d’entraînement ou de faire une séance de simulateur. Ce premier vol est vraiment resté comme un grand événement dans sa carrière. J’avais déjà connu cette même sensation lorsque j’ai été lâché sur planeur Javelot, avec 15 heures de vol en tout et pour tout. Je ne l’ai pas retrouvée avant de voler sur le Rafale A, en 1986 ».

De son passage dans l’armée de l’air, il garde également de bons souvenirs. Pourtant, d’une certaine manière, il est devenu pilote de chasse par défaut, parce qu’à quinze ans, il n’a pas voulu prendre le risque d’investir 5000 f pour tenter de décrocher un hypothétique volant Shell, alors qu’il rêvait de devenir pilote de Formule 1. A l’époque Belletoise le faisait plus rêver que Rozanoff. Avec le recul il n’a pas de regret : « une carrière de pilote de chasse, entre 20 et 30 ans, c’est ce qu’il y a de mieux. On vous confie ce qu’il y a de plus performant et on vous dit d’y aller ». Il est devenu ensuite commandant de la prestigieuse escadrille des Cigognes. Quand il a posé sa candidature pour entrer à l’EPNER, l’école des pilotes d’essais, il a fallu qu’il se replonge dans les équations. Il a passé son épreuve en vol sur un Nord 262, un avion sur lequel il n’avait évidemment jamais volé, le but étant précisément de voir comment le pilote s’adapte à la machine. « J’étais concentré, j’avais bien préparé l’épreuve. Elle s’est passée très bien. Quand on découvre un nouvel avion, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, il faut se comporter de manière saine ».

Pendant les riches années qu’il a passées au CEV, le métier de pilote d’essais a connu sa plus profonde mutation pour s’adapter aux évolutions des machines de nouvelle génération. « L’enseignement de l’EPNER était basé sur les performances et les qualités de vol. Il n’était pas encore question de numérisations, d’avioniques, d’avions intégrés. Depuis les systèmes d’arme et l’avionique ont pris de l’importance. C’est la partie riche. Ca foisonne, ça peut aussi partir dans tous les sens. C’est complexe ». La conséquence est qu’aujourd’hui le pilote d’essais se concentre plus sur l’intelligence de l’avion et passe plus de temps en simulateur. Les tests du système de communication FANS qu’a mené Jacques Rosay, sont significatifs de cette évolution. Il s’agit d’un mode expérimental de communication par data links entre l’avion et le contrôle aérien, via un réseau de satellites. Au-dessus des zones océaniques dépourvues de couverture radar, l’équipage doit communiquer par HF sa position à une station de contrôle, de point en point. Le principe du FANS est une communication automatique. D’où un plus grand confort d’échange et une sécurité accrue. Pour tester en vrai grandeur le système, Airbus a programmé un tour du monde en A340. C’était le seul moyen de vérifier que ça passait partout. Avant d’envoyer le quadriréacteur, le vol a été simulé. Et c’est ainsi qu’un simulateur installé dans un hangar de Blagnac s’est intégré virtuellement au-dessus du Pacifique. Il était en contact avec des contrôleurs des antipodes et son écho radar apparaissait sur leur scope. Lors du vol réel, tout s’est déroulé comme prévu. Nous avons simplement rencontré des problèmes de connexion physiques ». Un vol d’essais comporte toujours son lot d’imprévus.

Gil Roy. Aviasport N°559 / Juin 2001

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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