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Culture Aéro

Les aviateurs de la grande guerre dans l’ombre des poilus

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Frédéric Marsaly

Au terme de quatre années de commémoration de la Première guerre mondiale, force est de reconnaître que l’image de l’aviateur de 1914-1918 a été masquée par la statue du poilu. Il restera dans les mémoires quelques temps forts aéronautiques à commencer par le centenaire franco-américain de l’Escadrille Lafayette et l’hommage de l’Armée de l’air à Georges Guynemer. Lieu éternel de mémoire, le musée de l’air et de l’espace a proposé plusieurs expositions dont la dernière en date, visible actuellement au Bourget, montée avec un musée allemand et un musée britannique.

Au matin du 11 novembre 1918, les clairons sonnèrent la fin de la Première Guerre mondiale. La première grande conflagration du XXe siècle s’achevait alors sur son front Ouest et le bilan humain était effroyable. Plus d’un million de soldats tués au combat dont 300.000 portés disparus, auxquels s’ajoutent 300.000 civils, endeuillent la France, le double pour l’Allemagne.

Guerre moderne, le conflit a vu l’émergence de nouvelles armes puissantes et décisives parmi lesquelles l’avion qui a trouvé, en quatre ans, un creuset de développement lui assurant un avenir militaire certain et des applications civiles inévitables. Depuis 2014, à de nombreuses reprises, les aviateurs ont réussi à récupérer une part de l’espace médiatique réservé aux commémorations.

L’Escadrille Lafayette et l’Escadron de Chasse « Cigognes »

Comment ne pas parler du centenaire de l’Escadrille Lafayette qui a vu, le 20 avril 2016, un défilé aérien stupéfiant au-dessus du monument dédié à l’escadrille dans le parc de St Cloud. 3 Mirage 2000N, 4 F-22 et surtout un B-52 qui a fait l’aller-retour sans escale depuis les USA pour l’occasion.

Il fut aussi question des as, et du plus connu d’entre-eux, au-dessus de Paris, le 22 septembre 2017, lorsque la Patrouille de France, suivi d’un box de 4 Mirage 2000 de l’Escadron de Chasse « Cigognes » survola les Invalides. Les avions venus de Luxeuil étaient guidés par le Mirage 2000-5 n°43 2-EJ décoré en hommage aux montures de Georges Guynemer, toutes baptisées « le vieux Charles ».

Mais les ailes françaises n’étaient pas seules dans le ciel du Front Ouest, ce qu’ont souligné les répliques d’avions de la Première Guerre mondiale, dépêchées par le Canada pour commémorer la terrible bataille de Vimy, au mois d’avril 2017.

Les trois expositions du MAE

Le Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, inévitablement, s’est aussi mis au diapason de la commémoration de la « Grande Boucherie » et, comme suite à deux précédentes expositions temporaires, la Grande Guerre des Aviateurs (2015) et Verdun, la Guerre Aérienne (2016-2017), propose actuellement « Trois pilotes, une Guerre, Récits personnels d’Européens en 1914-1918. »

Elle s’articule autour de trois pilotes : l’As français Jean Chaput (16 victoires) de l’Escadrille 57, mort au combat le 6 mai 1918, le pilote britannique Bernard Curtiss Rice, pilote du Royal Flying Corps puis de la Royal Air Force, au sein des Squadron 2 et 8, récipiendaire d’une Military Cross pour ses missions de réglage d’artillerie et Peter Falkenstein, fantassin allemand blessé au combat en 2015 et transféré dans l’aviation où il devint pilote de bombardier et participa à des raids nocturnes sur le front ouest.

Trois musées, le Royal Air Force Museum de Londres, le Militärhistorische Museum der Bundeswehr de Berlin et donc, le Musée de l’Air du Bourget ont collaboré afin de fournir la matière, les courriers, les maquettes illustrant les parcours de ces trois combattants représentatifs des aviateurs de l’époque.

L’exposition présentée au Bourget est en accès libre et a été pensée pour offrir une approche pédagogique adaptée aux nombreux groupes scolaires qui fréquentent le musée, et, innovation notable, l’exposition fera l’objet d’un site web dans le mois qui suivra sa fermeture physique pour en préserver la trace, donc après le 10 mars 2019.

Les aviateurs de 14-18 dans l’ombre des poilus

En dépit de ces efforts, l’image de l’aviateur de 1914-1918 est masquée par la statue du poilu.

C’était déjà le cas à l’époque ou après l’engouement pour les As des années 1915-1917, la lassitude du conflit a commencé à fissurer les images d’Épinal des chevaliers du ciel. En 1919, lors du grand défilé de la victoire, les aviateurs étaient à pieds, ce qui agaça au plus haut point Charles Godefroy qui, un matin, après avoir convié un caméraman pour immortaliser son exploit, passa sous l’Arc de Triomphe avec son chasseur Nieuport.

Seulement 16.834 français ont obtenu un brevet de pilote militaire entre 1914 et 1918. 3.950 victoires aériennes ont été obtenues dont 1.814 par les 189Les chiffres font toujours débat, David Méchin, historien spécialiste de la période, vient d’ouvrir son site (as14-18.net) où il recense de façon argumentée, les 184 pilotes ayant eu 5 victoires officialisés et les quelques cas litigieux qui font que les listes publiés par les uns et les autres ne correspondent pas toujours. pilotes reconnus officiellement en tant qu’As, titulaire d’au moins 5 succès contre l’aviation ennemie. 50% des victoires pour 1% de l’effectif ! Quelques dizaines de milliers d’autres personnels mobilisés sont venus apporter leur concours à la mise en œuvre des aéroplanes. Plus nombreux ont été ceux qui, à l’arrière, ont construit les 52.000 avions et 92.000 moteurs qu’ils ont employé au front, procédant à la naissance d’une industrie toujours bien vivante aujourd’hui.

À l’échelle du conflit, le sacrifice des aviateurs est masqué par la masse immense des soldats pulvérisés dans les tranchées et c’est bien logiquement que Maurice Genevoix fera son entrée au Panthéon, plutôt que Jacques Mortane ou Joseph Kessel. L’exposition du Musée de l’air permet donc, à partir d’individus parmi les moins connus, de brosser un portrait de ces combattants, qui il y a un siècle, ont été pris dans la tourmente. Certains, n’en sont pas revenus. Parmi eux, il y avait des aviateurs, pionniers d’une aventure qui allait lourdement peser sur le déroulement du siècle qui débutait alors.

Frédéric Marsaly

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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

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  • @ Fred Marsaly
    il est dommage que vous n'ayez pas évoqué le centenaire de DORME, célébré sur la BA 107 de Villa, une belle fête; qui fut l'occasion de rénover son cénotaphe à Fontenay-le-Fleury dans les Yvelines. D'ailleurs l'Armée de l'Air avec son calendrier 2017, avait donné le ton en l'intitulant "L'année des As".
    Cette année 2018, Fonck fut honoré le 11 novembre, à Saulcy-sur-Meurthe, par la présence du commandant actuel de son escadrille, la SPA 103, lors de la cérémonie annuelle, initiée par la municipalité et l'association "Mémoire de René Fonck", où une de ses citations est lue et sa tombe fleurie.

    • Le sujet de mon article n'était pas de rendre hommage ou d'évoquer tous les pilotes plus ou moins connus, plus ou moins glorieux de la Grand Guerre (et le père Dorme fait indubitablement partie de cette deuxième catégorie) mais d'évoquer globalement la place des aviateurs dans l'ensemble des commémorations, un peu comme l'exposition du Musée de l'Air s'empare de trois pilotes pour parler de tous les autres...

      j'aurais volontiers parlé des cérémonies de Villacoublay ou de Saulcy-sur-Meurthe, mais je n'y étais pas !

  • En 2018, Roland Garros, pilote réunionnais disparu il y a 100 ans en combat aérien, a aussi été honoré (en métropole et à La Réunion).

  • Guynemer et Fonck. Les nombres, 53 victoires pour l'un, 75 pour l'autre, ne sont pas tout en histoire. Le caractère, la personnalité, l'influence, les qualités de l'homme - le charisme en somme sont bien plus importants. A ce titre, Guynemer faisait l'unanimité parmi ses pairs et ses chefs, légendaire de son vivant. De plus muni d'une double auréole, celle du héros mort au combat à moins de 23 ans et celle du combattant dont le corps, "disparu en plein ciel de gloire", sembla échapper au destin des morts. Avec sa figure de jeune et beau gosse, Guynemer a 20 ans pour l'éternité.
    Fonck était un pilote virtuose et un tireur à l'adresse incomparable, un remarquable technicien du combat aérien. Pour comprendre les raisons de son absence dans les hommages officiels après sa mort (en 1953), lire la remarquable biographie écrite ce printemps par un jeune chercheur : Damien Accoulon, René Fonck, l'as des as, mythe et oubli, Privat, 2018. M. Accoulon, agrégé d'histoire, est spécialiste de l'histoire de l'aviation et Fonck était le sujet de sa thèse.

    • Il faut croire que vous n'avez pas écouté certains témoignages oraux recueillis par le SHAA..., consultez aussi le site de François-Xavier Bibert sur la page qu'il consacre à Chainat.

      Jean-Loup FROMMER

    • "Avec sa figure de jeune et beau gosse, Guynemer "
      Cela ne l'a pas empêché de faire une belle saloperie à Chainat, qui commençait à lui de l'ombre à la vitesse où il engrangeait succès sur succès, en lui volant une victoire. Il arriva à l'écarter définitivement de l'escadrille. Chainat, jusqu'à son dernier souffle lui voua une haine farouche.

      Jean-Loup FROMMER

  • haaaa! politique quand tu nous tiens!
    Quoiqu'en dise "l'historiquement correct" René Fonck a été l'AS DES AS de la 1ère guerre.
    Merci René FONCK!
    Merci à l'aéro-club de St Dié qui le met à l'honneur avec un SPAD, tel que ceux pilotés par FONCK, exposé en bordure du parking avion de l'aérodrome.

  • Quel dommage de voir, qu'une fois encore, le nom de René Fonck ne figure pas dans toutes ces commémorations, et même dans le blog AEROBUZZ.
    René Fonck est l'as des as avec 75 victoires homologuées.
    Georges Guynemer avec se 53 victoires est quand à lui toujours mis à l'honneur en oubliant René Fonck......

    • René Fonck paye à posteriori ses actes post-guerrier, entre autre son rapprochement des milieux pétainistes dans les années 40. C'est pour cette raison entre autres qu'il n'y a jamais eu de promotion René Fonck à l'école de l'air à ma connaissance. Pas compatible d'un héros patriotique.
      C'était un as dans les chiffres, mais il semble ne jamais avoir été apprécié dans ses actes et son comportement, déjà pendant la guerre 14-18, et ensuite encore plus. Il ne me semble pas que sa position sociale y soit pour grand chose...

      • Désolé pour la réponse tardive, loin de toutes considérations politiques et de révisionnisme historique, je vais vous donner la version qui m'a été racontée par mon grand-père il y a une trentaine d'années, lui même officier aviateur de 1916 à 1918, d'abord observateur puis pilote de chasse et démobilisé en 1919. Fonck avait une réputation de "vicelard", qui se planquait danq les nuages pour surprendre le Boche qui avait la malchance de passer a proximité et de là, à aligner des victoires considérées comme "faciles". Là ou un Guynemer s'engageait en combat à la "loyale" et avec un esprit chevaleresque et de duel de l'aristocratie de l'époque. Voilà la réputation qu'il traînait dans les popotes à l'époque...

      • Effectivement, je viens de faire un "appel à un ami" dont voici le retour :

        Pas de jugement pour Fonck, donc pas de non-lieu (il faut que je le note, ça pourra resservir !) néanmoins une commission avait réclamé sa libération à peine quelque jours après son incarcération (ce qui laisse sous entendre qu'on ne lui reprochait pas grand'chose) mais qu'il a fallu que son épouse bouscule un peu l'administration pour que M. Pisani parvienne à le faire sortir deux ou trois mois plus tard.

        Merci pour votre précision

      • @ Fred Marsaly
        "il faut préciser qu’il a bénéficié d’un non-lieu ce qui signifie que rien ne lui a été reproché".

        A priori, il aurait été libéré sans aucun procès - donc pas de non lieu- sur ordre du Général de Gaulle, grâce à une intervention d'Edgard Pisani...

      • Il faut étudier les journaux d'époque après guerre, avec son passage et son éviction de la Présidence de la Ligue Aéronautique Française, pour voir à quel point il était haï… voulant s'accrocher à ce poste, par voie de justice…

        Jean-Loup FROMMER

      • C'est plus compliqué que ça. Bon, déjà, l'as des as, ça reste Manfred...

        d'autre part, effectivement René Fonck a été inquiété à la libération mais il faut préciser qu'il a bénéficié d'un non-lieu ce qui signifie que rien ne lui a été reproché.

        La désaffection envers lui est née de plusieurs facteurs. D'une part, il était encore vivant à la fin de la guerre alors que Guynemer, mort, devenait un mythe, mais surtout, pendant l'année 1918 où il a connu ses plus grands succès, les exploits des chevaliers du ciel n'intéressaient plus personne, tout le monde ne rêvant plus que de la paix... Donc, Fonck a plus été victime des circonstances qu'autre chose.

        Mon article ne portait pas sur les as, mais sur les souvenirs des aviateurs. Guynemer n'est cité qu'en lien avec la décoration du Mirage 2000, si l'avion avait été aux couleurs de Dorme ou de tout autre aviateur, il aurait été cité aussi.

      • Père : Sagard (scieur de bois dans les Vosges), décédé sous un chariot.
        Lui même, dans sa demande d'intégrer l'Aéronautique il mentionne qu'il est: Mécanicien Ajusteur. Il avait aussi étudié la serrurerie en Alsace chez un oncle maternel.
        Il devait être complexé, car il se revendiquait des Arts et Métiers, ou ne le démentait pas … quand on le présentait ainsi.

  • Bonjour,
    A l'occasion du centenaire de l'Armistice il aurait été intéressant de parler d'un jeune As de l'aviation mort trop jeune en 1916. Marcel Brindejonc des Moulinais. C'est étrange c'est un "héros fantôme" pourtant il a un palmarès étonnant !

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