Publicité
Culture Aéro

L’histoire extraordinaire de Candy Bomber

Published by
Hervé Gouinguenet

Certaines personnes modifient le cours des choses en faisant des choix personnels. Ils interviennent sur ce qui parait impossible. Gail Halvorsen était de ceux-là. Il a illuminé le blocus de Berlin de milliers de sourires d’enfants.

Le 19 juin 1948, trois ans après la fin de la seconde guerre mondiale, l’Allemagne de l’Est était sous le contrôle des troupes d’occupation russes. La ville de Berlin, située à l’est, avait été partagée en deux, une moitié restant contrôlée par les Américains et leurs alliés.

Les Russes très tentés de s’approprier Berlin, encerclèrent  la ville et bloquèrent  ses accès, pourtant garantis par des traités depuis la fin de la guerre. Staline voulait aussi tester comment l’Occident allait réagir à ses provocations délibérées. La partie « libre » de Berlin fut donc isolée, sans possibilité de recevoir de l’aide extérieure.  Les conditions de vie  furent vite impossibles avec un début de famine pour les habitants. Ainsi commença le « siège » de la ville, qui dura deux ans !

Le plus extraordinaire des ponts aériens

Très vite, sous l’impulsion des Nations Unies, l’opération  » Vittles » (victuailles)  mit sur pieds un pont aérien  pour amener  directement de la nourriture et des objets de première nécessité aux habitants, par centaines de tonnes. Le monde libre ne pouvait accepter la provocation soviétique ! L’aéroport international de Tempelhof  se trouvait en zone ouest et pouvait accueillir la  navette incessante des avions ravitailleurs.

Le lieutenant Halvorsen était un des pilotes de ce transport quotidien. A bord d’un quadrimoteur C54, il faisait des navettes entre la base de Rhein-Mein, à l’ouest et Tempelhof. Un jour, sortant à pied de l’aéroport, il remarqua  des enfants qui jouaient  derrière les barrières. Il les appela pour  leur donner des chewing gum et fut stupéfait de les voir les couper en tous petits morceaux pour les partager. L’un d’entre eux réclama même le papier pour en sentir l’odeur.

Un battement d’ailes

Le pilote  essaya d’engager la conversation, et un petit berlinois lui  dit : « On n’a pas besoin de beaucoup manger, ce qu’on veut surtout, c’est être libres ! »  Très ému par ces enfants,  Halvorsen promit de revenir pour leur apporter du chocolat et des bonbons. Mais, réalisant qu’il lui serait difficile de passer les nombreux contrôles militaires avec des cartons de chocolat, il dit aux enfants qu’il les leur jetterait directement en passant au dessus d’eux avec son avion. Les enfants ouvrirent de grands yeux  et l’un d’eux demanda : « Comment on saura que c’est vous ? »  Halvorsen réfléchit  et dit : « Quand vous verrez un  avion avec quatre moteurs qui bat des ailes, ce sera moi ! »

Plus tard, en discutant avec son équipage, il réalisa que lancer des paquets même légers à deux cent kilomètres heure présentait des risques pour les gamins en dessous et décida de réaliser des petits parachutes.

Donne-moi tes bonbons !

Rentré à Rhein Mein, il découpa des torchons, y  attacha quatre ficelles et monta sur le toit d’un hangar pour tester le système. Ensuite, il fit le tour des personnels de la base pour récupérer les bonbons et le chocolat des rations militaires.  Ses amis étaient incrédules : « Tu veux te trouver un appareil photo au marché noir ? »   Mais  Halvorsen leur répétait seulement : « Allez, donne moi tes bonbons… »

Le premier largage réussit parfaitement. Il y avait trois parachutes. Les C54, chargés jusqu’au plafond de sacs de farine, volaient avec les hublots arrière ouverts pour aspirer la poussière blanche qui envahissait les cockpits. Une fois l’avion aligné en finale, Le mécanicien filait à l’arrière et attendait le signal pour jeter les paquets.

Une bonne idée partagée

Le jour suivant, il y avait plus de monde en bas… A la troisième rotation, c’était la foule… L’histoire avait vite circulé et des copains de Galvorsen se mirent aussi à coudre des parachutes. Il y avait razzia sur toutes les barres de chocolat de la base de Rhein Mein.

Mais, après quelques largages réussis, le pilote fut convoqué par son supérieur : « C’est quoi ce bordel ? Vous larguez des parachutes sur Berlin ?  Un journaliste a reçu un paquet sur la tête… » Après quelques explications et  des menaces de cour martiale,  l’officier appela le général qui déclara : « C’est une bonne idée! Laissez le continuer ! »

La Candy Bomber d’Uncle Wiggly

Gail Halvorsen venait d’une famille très modeste de l’Utah. Il ne voulait pas passer sa vie dans les champs de betteraves comme son père et avait appris à piloter grâce à une  bourse de l’Armée de l’Air. Il pensait que les Américains devaient aider l’Allemagne, montrer qu’il y avait des gens qui ne les détestaient pas. Cet esprit un peu missionnaire et le coté artisanal des livraisons firent mouche.

L’histoire se répandit dans les journaux, en Allemagnes, puis aux Etats-Unis, avec des photos de l’avion larguant ses petits parachutes. Des enfants, des écoles, toutes sortes de gens, et même des confiseurs, confectionnèrent des centaines de parachutes et envoyèrent chocolat, chewing gum, confiseries pour les enfants de Berlin.

L’avion de Halvorsen fut baptisé « Candy bomber » et son pilote « Uncle Wiggly » ou « Onkel Wackelflügel » (d’après  le mot « wiggle » qui signifie battre des ailes). On baptisa même l’opération « little vittles. »

Le héros Halvorsen

Après plus d’un an, les russes abandonnèrent leur projets et le blocus de Berlin se termina. Le pont aérien avait convoyé plus de deux millions de tonnes de ravitaillement et de charbon et sauvé les habitants de Berlin Ouest.

Le Candy bomber  (Rosinenbomber en allemand) et d’autres équipages avaient largué 23 tonnes de bonbons aux petits Berlinois ! Halvorsen était devenu un héros et l’armée américaine avait réussi une belle opération de com. La ville de Berlin décora très officiellement le lieutenant Gail Halvorsen. Il rentra aux Etats Unis, reprit des études interrompues par la guerre et resta dans l’Armée de l’Air, technicien sur les questions spatiales.  Il envisagea même de postuler dans le corps des astronautes.

Mais en 1970, il fut affecté en Allemagne,  comme commandant de la base de Tempelhof. Les Berlinois l’accueillirent  presque comme l’ambassadeur des Etats Unis.

Candy Bomber à Sarajevo

En 1994, Gail Halvorsen refit campagne pour que l’on pense aux enfants de Bosnie durant le siège de Sarajevo, qui ressemblait à celui de Berlin cinquante ans plus tôt. L’aide humanitaire avait bien évolué, et le ravitaillement était bien plus important que jadis. « Uncle Wiggly  » fut invité à se joindre à quelques tours d’opérations et lâcha quelques uns de ces symboliques parachutes de bonbons sur Sarajevo.

Gail Halvorsen reçut de nombreuses médailles, dont la prestigieuse médaille du Congrès Américain et l’ordre du mérite de la République Fédérale Allemande. En 2002, il fut invité à défiler avec la délégation allemande aux Jeux Olympiques de Salt Lake City, non loin de chez lui.

« Je ne vous oublierai jamais ! »

Gail Halvorsen, un type décidément pas comme les autres, vit toujours à 98 ans et pilote encore, entre autres, comme instructeur sur C54, transmettant aux nouveaux pilotes ses compétences sur ces avions devenus rares. Il s’occupe aussi d’une fondation qui aide les jeunes sans ressources à  suivre des formations aéronautiques.

En Juin 2019, Halvorsen s’est rendu aux commémorations des 70 ans du blocus de Berlin. Quelques uns des enfants qui avaient vu ses parachutes tomber du ciel étaient présents, dont Vera Mitsitch, une gamine de 78 ans qui lui fit une déclaration en règle: « Je suis si fière de vous. Vous nous avez donné à manger. Vous nous avez rendu l’espoir. Jamais je ne vous oublierai ! »

On peut raisonnablement penser que Gail Halvorsen ressent aujourd’hui une certaine sérénité…

So long Uncle Wiggly !

Hervé Gouinguenet

Publicité
Hervé Gouinguenet

Hervé Gouinguenet est pilote et tête en l'air depuis très longtemps. Surtout passionné par la conception et le design des avions et des véhicules rapides, l'histoire des techniques est son domaine. Il a enseigné le design et collaboré avec le magazine "Volez". Hervé a publié des romans sur l'aviation russe, des ouvrages variés sur l'aéronautique et se spécialise aujourd'hui sur l'évolution des gros porteurs et les mutations de l'aviation du proche futur.

View Comments

  • Superbe article qui provoque beaucoup d'émotion. Bel engagement de solidarité humaine entre deux nations qui avaient été ennemies. Un grande révérence à M. Gail Halvorsen et à ses compatriotes pour cette magnifique action bénévole et dangereuse et leurs missions pour aider des enfants innocents et victimes de la politique et de la guerre. Puissions-nous retrouver un tel exemple de nos jours. Un grand bravo et longue vie à M. Halvorsen.

    • Merci de ce beau commentaire. Bien sur, votre nom m'interpelle. Un lien avec Mr Pierre Clostermann? H. Gouinguenet.

      • Oui, Hervé, c'est le grand-père de mon fils qui est pilote à Transavia (troisième génération de pilotes avec ses 2 grand-pères, son père et sa mère qui l'a lâché en vol quand il avait 17 ans). Avez-vous lu "Feux du ciel" de Pierre Clostermann (une série de nouvelles) parmi lesquelles il y a un récit très émouvant concernant des pilotes polonais qui décollaient d'Angleterre pour larguer des vivres sur Varsovie. Et, quand ils voyaient leur ville en feu, ils jetaient leur appareil volontairement dans les flammes pour mourir avec leurs compatriotes. Et votre article m'a rappelé un peu ce texte et j'ai été très émue par cette presque similitude car il y a une certaine ressemblance dans la dangerosité, dans l'engagement et dans le courage. Encore un immense bravo pour votre écriture et à bientôt de vous lire de nouveau. Très cordialement.

Recent Posts

Dans la tête d’un oiseau – Poétique du ciel #125

Depuis des millénaires, les prouesses aériennes des oiseaux nous fascinent. Professeur émérite, Gérard Leboucher s’est… Read More

4 mai 2024

L’Envol des Pionniers et la Fondation Antoine de Saint Exupéry pour la Jeunesse au départ du Rallye Toulouse-Tarfaya

À l’occasion des 80 ans de la disparition d’Antoine de Saint Exupéry, le 31 juillet… Read More

4 mai 2024

Swirl et Flash, comment choisir son hélice Duc Hélices

Les hélices Swirl et Flash font partie des produits-phare de Duc Hélices pour les avions… Read More

3 mai 2024

Près de 10.000 comptes rendus d’incidents traités en Suisse par l’OFAC en 2023

En 2023, l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) a traité très précisément 9.995 comptes rendus… Read More

3 mai 2024

SA 330 Puma, un demi-siècle au service de l’Armée de l’Air et de l’Espace

Le 2 mai 1974, le premier SA 330 affecté à l'Armée de l'Air entrait en… Read More

3 mai 2024

L’ONERA au côté des opérateurs de drones

L’ONERA met à disposition de la filière drone son logiciel d’aide à la préparation de… Read More

3 mai 2024
Publicité