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Culture Aéro

Les moines archivistes du musée d’Angers

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Jean-Marie Klinka

A l’écart du public, dans l’intimité des archives et des réserves du musée régional de l’air d’Angers, des bénévoles déchiffrent méticuleusement le génome de l’aviation légère. Sous l’impulsion de Christian Ravel et des autres fondateurs de l’institution angevine, ils se sont mis en tête de numériser une montagne de documents pour transmettre aux générations futures, la mémoire de l’aviation de loisir.

Pour la majorité des visiteurs, un musée, c’est d’abord une vitrine et des animations, de beaux objets et un parcours de découverte. Les journées du patrimoine sont exceptionnellement l’occasion de découvrir l’envers du décor, ou pour être plus exact, les bases de l’édifice, ses racines profondes. Lors de la visite du musée régional de l’air d’Angers, que nous vous avons proposée, début août, nous vous avions promis de vous faire découvrir la partie immergée du musée. Suivez le guide…

L’entrée du musée régional de l’Air, rebaptisé Espace air passion, sur l’aéroport d’Angers-Marcé. © GPPA

Les « Archives », c’est le domaine de prédilection de Christian Ravel  Né le 30 juin 1943 à Tunis d’une famille enseignante, Christian Ravel arrive à Angers en juillet 1953, à la retraite de son père. Débute le modèle réduit d’avion à l’âge de 11 ans, puis pratique le vol à voile à partir de 1961 puis le vol moteur à partir de 1962. Instituteur de formation, il devient instructeur avion à l’aéro-club de l’Ouest en 1971 puis rentre à la compagnie Touraine Air Transports en 1972. Il est embauché par UTA en 1977 et devient Commandant de Bord DC-10 en 1991. Il passe sur B-737 puis sur B-747 en 1996 (Air France). Il termine sa carrière de Pilote de Ligne le 30 juin 2003, comme Commandant de bord B-747 : 23.000 heures de vol sur environ 400 types de machines volantes, de l’ULM au B-747/400 et se consacre désormais à la préservation du patrimoine aéronautique de notre pays. Christian Ravel a créé, avec une équipe de passionnés, le Groupement pour la Préservation Patrimoine Aéronautique, en 1981. . C’est lui qui en 1981, avec une équipe de passionnés, a créé le Groupement pour la Préservation Patrimoine Aéronautique. Ils étaient désolés de voir disparaître le patrimoine aéronautique français, brûlé ou prenant le chemin de l’étranger. En 1988, le groupement deviendra le Musée des Ailes Anciennes en 1988 puis, à l’occasion de l’ouverture du nouvel aérodrome d’Angers-Marcé en 1998, Musée régional de l’air dont la ville d’Angers a construit le bâtiment. Plus d’une centaine de machines (183 exactement à ce jour) ont été ainsi préservées dont une quinzaine est maintenue en état de vol.

Un exemple de plan scanné, historique : l’ensemble du volet de courbure du Morane 733. © GPPA

Les archives fonctionnent bénévolement à l’aide de quelques subventions adéquates (notamment de la part de la DGAC) qui permettent de sous-traiter certaines taches, pour la numérisation des liasses de plans des avions « orphelins » (« CDNR » au sens DGAC et CNRAC avec « C » comme collection). Des dizaines de liasses de plans, représentant l’histoire technique de l’aviation, sont ainsi disponibles, sous forme de CD Rom, moyennant une participation modique.

Cette vue des archives du musée de l’air d’Angers situe l’ampleur de la tache des conservateurs. © GPPA

Les « Archives » c’est aussi la conservation de tout document, photo, livres techniques, document de navigabilité d’aéronefs, bouquins historiques, manuscrits, que sais-je ? Ces documents, au sens large, seront numérisés selon leur intérêt pour être mis à disposition du public via une salle de lecture (en cours de création, le rêve d’Alban Dury, qui cherche un financement).

Le hasard de ma visite me donne l’occasion de retrouver un camarade des années 60, Joël Balat, qui m’avait attiré dans les filets du vol à voile, aux Ailes du Maine, il y a de nombreuses années. Comme tout bon bénévole, il se consacre un jour par semaine, régulièrement, à la gestion de ces archives (80.000 documents sur 100.000 numérisés ou non sont déjà indexés), après avoir été sérieusement « coaché » par un professionnel, Cyril Bagnaud, archiviste à la communauté d’agglomérations Loire métropole, auteur du cahier des charges de cette activité.

Christian Ravel est aidé également par Alban Dury dont l’activité « Archives » est plus orientée vers le public. J’y reviendrai.

Christian Ravel, une vie de passion… © GPPA

Lorsque vous êtes reçu par Christian Ravel, alors qu’il vous parle des collections, des archives, des fonds en cours d’acquisition (on hésite à lui faire perdre son temps mais il est intarissable), caché par un monticule de boîtes de photos d’époque lointaine, souvent en plaques de verre (il y a environ 200.000 documents en tout), son bras gauche, mécaniquement, ne peut s’empêcher de manœuvrer le couvercle du scanner, la main droite clique sur la souris, et il parle, tout en indexant son document : une sorte de don d’ubiquité. Il répond au téléphone (ce qui l’empêche de scanner !) à toutes sortes de questions. Il est devenu « la » référence historique/règlementaire/etc.. de l’Aviation.

Michel Détroyat et Marcel Doret. © Coll. GPPA

Pour tester son système, je lui suggère « Détroyat », un voltigeur que j’aime bien. Il me sort, le temps d’un clic de souris, cette célèbre photo de Michel Détroyat et Marcel Doret. Je me souviens, il y a quelques années, avoir voulu faire un carton d’invitation illustré par un C800. Au téléphone, puis par internet, j’avais reçu une dizaine de photos de C800 en quelques minutes.

Chose rare : il a su s’entourer d’une foule de bénévoles et de quelques professionnels, des vrais, parce qu’ils ont gravi les marches du GPPA patiemment, de nombreuses années, et qui sont incollables sur les collections et les archives.

Laetitia Tiratay, directrice du musée de l’air d’Angers (Espace Air Passion). © J.M. Klinka / Aerobuzz.fr

Il y a Laetitia Tiratay, qui a commencé par un emploi jeune il y a 15 ans, avec des petits boulots (accueil, visites, garderie, etc.. ), puis est passée directrice de la communication du musée, puis directrice du musée depuis quelques mois. Christian lui reconnait un sens inné de l’ordre et de l’organisation. Aussi intarissable que Christian, c’est peu dire ..

Il y a Alban Dury, que je rencontre pour la première fois le jour de ma visite (que les autres bénévoles m’excusent de ne pouvoir les citer tous). Alban travaille la nuit (surveillance) et complète ses journées bénévolement au Musée : Archives-Modélisation 3D (son dada !)-Muséographie. Infatigable ! Le rêve d’Alban : créer une salle de lecture intégrée où l’on puisse à loisir consulter ces mines (d’or) et l’ensemble des fonds déposés au Musée.

Le Cap 232 de l’Armée de l’Air, comme neuf, y’a plus qu’à… © J.M. Klinka / Aerobuzz.fr

Il a en projet de retravailler la muséographie avec le Cap 232 offert par l’Armée de l’Air, restauré et exposé dans l’entrée du Musée. Un vernissage sans doute mi 2017. Le musée d’Angers sera le seul au monde à présenter un Cap monoplace champion du monde. Le musée de Washington présente les Pitts, Extra, Sukkoi, Yak, Zlin, etc, mais point de Cap.

Projet de muséographie d’Alban Dury (en rouge, dans l’entrée, le projet Cap232). © GPPA

Alors que je visite les dizaines de mètres d’étagères, entassées au 1er étage du Musée, mon ami Joël me montre son travail « ordinaire »: il indexe un exemplaire du « Zooptère » édité en 1909 par la Librairie Vivien (les anciens se souviendront de cette caverne d’Ali Baba, où j’ai passé des heures dans les années 70 lorsque j’étais étudiant : j’avais réussi à m’offrir le « Rebuffet » après d’âpres négociations), après un exemplaire de la revue « L’Aérophile » de 1894 et un dessin de voilure de Blériot. Quelles richesses. Toute l’histoire de cette prodigieuse aventure qui conduit maintenant à l’A350

Structure d’aile Blériot. © Coll. GPPA

C’est la plongée au cœur des « Réserves » où des centaines d’aéronefs (c’est une impression, peut-être plus, peut-être moins…), certains à l’état d’épaves, certains quasi en état de vol, qui attendent leur tour de passer en atelier de restauration. Là encore ils seront pris en charge par des bénévoles, de tous corps de métier, pour être soit remis en état de vol (cas du Moynet Jupiter, du Cessna Bobcat, du Do28 (Dornier bi-moteur), de l’Air 100 (planeur de 18m), etc.. ), soit pour rejoindre l’expo statique déjà fortement chargée. Certains seront restaurés à l’identique (entoilage etc..) afin de recevoir le label « monument historique » (cas de l’Albert A61, pièce unique de 1930).

Vue d’ensemble des réserves du musée d’Angers ; à gauche on devine le Do28. © J.M. Klinka / Aerobuzz.fr

Une restauration est une décision délicate (avec à la clé, remise en vol ou réservée au statique..). La procédure est largement décrite dans une « Charte de la restauration » finalisée en mai 2016. Cette décision est collégiale, placée sous la responsabilité d’un chef de projet qui devra constituer un groupe d’expertise chargé d’évaluer l’intérêt historique de la restauration, son état, les capacités humaines du groupe de volontaires (je le rappelle, tous bénévoles) : bref une étude de faisabilité devant conduire au succès de la restauration, avec plus ou moins d’huile de coude.

Le travail ne manque pas ! Les restaurateurs du musée de l’air d’Angers ne manqueront pas d’ouvrage… © J.M. Klink / Aerobuzz.fr

Le coup de cœur des futurs « ouvriers » du projet, le coup d’œil de l’équipe muséographique qui va, de facto, récupérer le bébé sont des facteurs qui vont influencer la décision.

Je reviens par exemple sur la restauration du Cap232 :

  • Intérêt historique : montée en Puissance de l’EVAA jusqu’au titre de champion du monde, seul musée au monde à en détenir un.
  • Travail de restauration : Avion complet, comme neuf. Pas de restauration de structure. Uniquement du remontage, de la mécanique.
  • Historique : les carnets de vol sont disponibles, l’historique de la conception aussi.
  • Coûts de restauration réduits.
  • Statut : Ne sera pas navigable car demandant des capacités de pilotage assez exceptionnelles.

Les mécanos bénévoles du musée de l’air d’Angers n’hésitent pas à se mettre en scène pour récupérer des fonds sur internet. © GPPA

En prévision : fin de restauration du Moynet Jupiter (en vol au printemps prochain), le Nord 3400 (encore 3 ans !), le Cessna Bobcat (5 ans !), le Albert A61 (l’original F-AJFV), le DO28 prévu en CNRAC…

Je le répète, ces archives et ces réserves ne sont pas visitables, sauf à vous montrer convaincant, sauf le hangar des réserve les 17 et 18 Septembre 2016, ouvert pour tous. Elles laissent présager un avenir exceptionnel dans le domaine de la préservation de notre « Histoire ». C’est important si l’on veut redonner vie à des vocations et, pourquoi pas, voir renaître une industrie française.

Jean-Marie Klinka

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Jean-Marie Klinka

Jean-Marie Klinka (1947-2021) était ingénieur (aussi pilote). Il a partagé sa carrière entre le bureau d’études, essentiellement aux Avions Mudry, la formation, à l’ENSICA de Toulouse et l’ESEM d’Orléans, la certification à la DGAC. Pour Aerobuzz.fr, il jetait un regard personnel sur les activités de l’aviation légère.

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  • Je serai à la retraite dans 7 ans, à 67 ans et ce serait avec grand plaisir de venir de ma Lorraine pour leur donner un coup de main

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