Sylvain Ramadier : « J’étais l’œil des pilotes »

C’est un instant rare dans la vie d’un photographe… Dans celle d’un avion aussi ! Ce jour-là de 2014, Sylvain Ramadier a immortalisé le moment où un Airbus A400M largue la totalité de ses leurres de contre-mesure au large de l’Espagne…

« Je n’ai eu le droit qu’à une prise ! C’est un moment intense, le largage ne dure que quelques secondes. Cette photo me tient à cœur car la plupart du temps, cette scène classée secret-défense n’arrive qu’une fois dans la vie d’un avion. » Cette manœuvre est en effet obligatoire pour la certification de l’appareil. En réalité, un avion militaire de ce type ne se sépare de tous ces leurres qu’en cas de gros problème, avant un atterrissage d’urgence par exemple…

Sylvain Ramadier, photographe professionnel pour l’avionneur Airbus, est spécialisé dans les prises de vues techniques lors des campagnes d’essais des avions.

« J’ai eu l’idée un jour de quelque chose de plus graphique par rapport à ce que je fais d’habitude, alors je l’ai proposée à la branche Airbus Defence. J’ai demandé aux ingénieurs d’essais et aux navigants ce qu’ils en pensaient… au début ce fut un non catégorique ! »

Il faut dire que la scène est classée comme sensible car liée à de nombreux critères de confidentialité… « Le nombre de leurres, leurs trajectoires et la durée totale d’éjection sont des données sensibles que la photo ne doit pas dévoiler ! » précise Sylvain Ramadier. L’idée a toutefois mûrie chez Airbus Defence. Une telle image pouvait aussi permette de démontrer les capacités de l’avion aux armées et clients potentiels.

« Le directeur des essais A400M de l’époque, Eric Isorce, m’a fait confiance et beaucoup aidé pour faire valoir mon idée au sein des différents services. La condition était de se mettre d’accord sur un protocole de confidentialité. »

Quelques semaines plus tard, en mars 2014, Sylvain Ramadier obtenait le feu vert et s’envolait pour l’Espagne où l’A400M, en pleine campagne d’essais, effectuait des largages partiels en pleine mer au large de Cadix. L’avion était désormais prêt pour le grand jour, celui du largage de tous les leurres.

« Cela nécessite beaucoup de préparation. Tout est calculé et défini à l’avance, l’heure du décollage, le lieu exact, les trajectoires, l’altitude, la vitesse ainsi que les différents cas de figures en cas de problème, les imprévus, les réactions et conduites à tenir… »

Sylvain a embarqué à l’arrière d’un avion suiveur, un Casa C295, avec sa rampe ouverte pour les prises de vues. « Cet appareil est très maniable et peut réagir vite en cas de problème » précise le photographe.

« On vient se greffer à un vol d’essai réel, l’A400M n’est pas venu pour nous ! Il faut se caler face à lui, à ses midis (car je suis à l’arrière du Casa) avec la bonne vitesse et altitude, on s’adapte à son plan de vol. Aucune improvisation n’est possible ! »

A bord, Sylvain Ramadier était attaché avec un harnais, et son matériel à une sangle. Une équipe vidéo état aussi présente. L’officier « load matser » était juste derrière en cas de problème (pour fermer la rampe par exemple). Les équipages communiquent entre eux et c’est le photographe lui-même qui donne les instructions de manœuvre au pilote pour obtenir la bonne position.

« J’étais aussi l’œil du pilote du Casa C295… Il ne voit pas ce qui se passe à ses 6 heures. Le langage est succinct et très précis, tout est millimétré, il faut être très efficace pour le guider. Il retransmettait les informations au pilote de l’A400M. »

Les deux avions tournaient en hippodromes. La séquence devait se déroulait en trajectoire linéaire. « Il fallait se tenir prêts dès la sortie du virage, nous avons que quelques minutes. L’A400M doit bien se positionner, il y a des corrections éventuelles, puis le compte à rebours avant le largage des leurres… »

Équipé d’un boitier Canon 1DX monté d’un objectif 70-200 et capable de prendre jusqu’à 14 images par secondes, Sylvain Ramadier a enfin appuyé sur le déclencheur.

« J’ai shooté en rafale, tout allait très vite, j’y suis aussi allé au pif et à l’expérience, car je devais faire rentrer tous les leurres dans le cadre. S’ils montaient trop haut, je risquais d’avoir un bout de la rampe du Casa… »

Des mois de préparation pour quelques secondes de prises de vues et au final une image inédite qui a fait le tour du monde. « C’est un pari que nous avons réussi grâce à un gros travail d’équipe. Je suis fier du résultat, la façon dont le fuselage de l’A400M est éclairé, les ombres des trainées des leurres sur les ailes, la répartition et l’équilibre… »

Il y a une chose, aussi, dont Sylvain se souviendra toute sa vie, celle de ressentir la chaleur des explosions pyrotechniques… « Je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment, j’étais tellement concentré ». Les deux appareils n’étaient qu’à une trentaine de mètres l’un de l’autre…

Jérôme Bonnard