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Culture Aéro

Trente ans de restauration du Breguet Deux-Ponts d’Évreux

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Fabrice Morlon

Depuis bientôt 30 ans, l’association Le Deux-Ponts de l’Eure s’est donné pour mission de sauver l’un des 3 derniers Breguet Deux-Ponts existants. Le Br 765 n°501 qui trône fièrement à l’entrée de la BA105 d’Évreux a bien failli disparaître. C’était sans compter sur la passion et le travail acharné des bénévoles de l’association. Même si les travaux ont bien avancé, il reste encore beaucoup à faire et des financements à trouver pour préserver ce patrimoine aéronautique unique.

En arrivant à Évreux par la RN13, depuis Rouen ou Paris, c’est l’une des premières choses que l’on remarque de la Base aérienne 105. Une silhouette blanche et grise, imposante, que l’on pourrait croire inspirée d’un mammifère marin avec ses formes rondes.

Avec sa dérive caractéristique, on le reconnaît aisément. Un Breguet Deux-Ponts, l’un des trois exemplaires ayant survécu parmi 20 construits, trône fièrement à l’entrée de la BA 105 Commandant Viot, rejoint en 2021 par un C-160 Transall.

A l’entrée de la BA105, un C-160 Transall a rejoint le Breguet Deux-Ponts. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

En saluant le visiteur dès le poste de garde franchi, tous deux rappellent une page d’histoire encore bien présente dans l’esprit et le cœur des aviateurs mais aussi des habitants d’Évreux.

En 1936, Breguet Aviation débute l’étude d’un quadrimoteur, reprenant la voilure et l’empennage arrière de l’hydravion Breguet 730. La deuxième Guerre Mondiale retarde le projet, qui reprend en 1946 pour répondre à un appel d’offre du gouvernement français pour un avion capable d’emporter des passagers et du fret. En imaginant le Deux-Ponts, Louis Breguet voulait un avion polyvalent, aménageable à l’envie.

Le Br 765 n°501 a sa sorite des usines Louis Breguet de Villacoublay. © Le Deux Ponts de l’Eure

Non pressurisé, le quadrimoteur est conçu avec les techniques d’avant-guerre et est motorisé par des moteurs Gnome & Rhone de 1600 cv. Le prototype effectue son vol inaugural en 1949 depuis l’aérodrome de Villacoublay, où il a été construit dans les usines de Louis Breguet.

Le Br 765 n°501 en vol en 1961. © Le Deux Ponts de l’Eure

Trois avions de présérie dénommés Br 761 S suivront. Ils sont équipés d’une dérive centrale et de nouveaux moteurs Pratt & Withney de 2100 Cv. Sans succès commercial, ils termineront leur carrière dans l’Armée de l’Air.

Une nouvelle version fortement modifiée et équipée de moteurs Pratt & Whitney R 2800 de 2400 cv sera exploitée par la compagnie nationale Air France à partir de 1953. 12 Breguet Br 763 « Provence » seront commandés et voleront principalement sur l’axe méditerranéen et vers l’Afrique du Nord. Les avions peuvent emporter 107 passagers, 59 sur le pont supérieur et 48 sur le pont inférieur.

Le Br 765 sera équipé de bidons d’extrémités d’ailes pour allonger sa distance franchissable à 4.000 km. © Le Deux Ponts de l’Eure

Développée plus tard, la version militaire du 763, désignée Br 765 « Sahara », est dotée de bidons en bout d’ailes qui permettent d’allonger sa distance franchissable à 4.000 km. L’avion peut emporter une charge utile de 17 tonnes et les types de chargements peuvent être différents : passagers sur le pont supérieur et fret sur le pont inférieur.

Le n°501, le premier exemplaire militaire, que l’on retrouve aujourd’hui à l’entrée de la BA105, effectue son premier vol le 1er septembre 1958 avant de rejoindre en mars 1959 l’escadron Maine alors stationné au Bourget aux côtés des DC-6. A la fermeture de la base du Bourget en 1968, l’escadron rejoint la base aérienne d’Évreux redevenue française quelques mois auparavant, après le départ des militaires américains. Les Deux-Ponts seront exploités jusqu’au 31 décembre 1969.

En 2005, les premiers travaux sont terminés… qu’il faudra recommencer 4 ans plus tard. © Le Deux Ponts de l’Eure

L’armée de l’Air devait recevoir 27 exemplaires du Br 765, Mais après une première réduction de la commande à 15 appareils, cette dernière a tout simplement été annulée. Quatre avions étaient terminés et prêts à être livrés.

Finalement ces 4 appareils rejoindront dans l’armée de l’Air les 3 Br 761 S ainsi que 6 Br 763 Provence qui avaient été acquis auprès la compagnie nationale pour la création du Centre d’essais des expérimentations nucléaires en Polynésie.

Des 4 Br 765 livrés, deux sont détruits, le 501 est stocké près de l’aéro-club d’Évreux et un exemplaire est mis à la disposition des pompiers de la base pour leur entraînement. Finalement sauvé d’une fin flamboyante dans les années 1980, le n°504 est déplacé depuis Évreux vers Toulouse. Aujourd’hui sous la protection des Ailes Anciennes, l’association toulousaine a également entrepris sa restauration.

En 2005, l’avion roule vers l’entrée de la BA 105, là où il est aujourd’hui installé. © Le Deux Ponts de l’Eure

Des exemplaires civils, un seul subsiste à Fontenay-Trésigny, en Seine-et-Marne. Transformé en restaurant puis en club échangiste, le pauvre Breguet Deux-Ponts exploité jadis par Air France puis par l’armée de l’air en Polynésie est dans un triste état et son avenir est loin d’être assuré.

« Le Breguet Deux-Ponts d’Évreux est resté pendant 27 ans aux abords de l’aéro-club qui cohabitait alors avec les installations militaires de la BA105 » explique le Colonel Patrice Le Mao, président de l’association Le Deux-Ponts de l’Eure et par ailleurs commandant en second de la BA105 à cette époque.

En 1997 au départ de l’aéro-club d’Évreux, il a été envisagé de détruire l’avion compte tenu de son état de délabrement général et de sa dangerosité. Mais le commandant de base de l’époque décida de créer une association afin de le sauver.

Le but de l’association était de trouver des fonds et de la main d’œuvre en dehors du circuit militaire, puisqu’il était inenvisageable que la base fournisse une aide financière ou détourne du personnel de sa tâche première.

Le Br 765 n°501 ayant perdu beaucoup de ses éléments, de faux capots moteurs et de fausses hélices ont été fabriquées. © Le Deux Ponts de l’Eure

Le 27 mars 1997, le Deux-Ponts revient sur la base aérienne où il sera stocké dans l’attente de trouver des fonds et du personnel pour son sauvetage.

L’association a réalisé un travail exceptionnel pour sauver le Deux-Ponts. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

Trente ans après avoir définitivement rejoint le plancher des vaches, lors de la tempête de 1999, le Breguet tente un dernier vol… en marche arrière ! Les amarres de l’avion se sont rompues et l’avion recule de 50 mètres » rappelle de manière amusée le Colonel Patrice Le Mao.

Ce n’est qu’en 2001 que les travaux de remise en état de l’extérieur de l’avion ont débuté. Les finances étant limitées, seule la remise en peinture extérieure a été effectuée. En plus d’une nouvelle peinture, des hublots temporaires réalisés avec des chutes d’abri de piscine, des faux capots moteurs et de fausses hélices lui ont rendu belle allure. Après des milliers d’heures de travail réparties sur 4 ans l’appareil a pu rejoindre en 2005 son emplacement actuel à l’entrée de la BA105.

Malheureusement, 3 ans après, une grande partie du travail effectué était à refaire. La principale raison est que l’intérieur n’avait pas été remis en état. Des milliers de rivets manquaient et les hublots temporaires posés n’étaient pas étanches. L’humidité qui s’est concentrée à l’intérieur est passée à l’extérieur de la peau de l’avion et a pratiquement anéanti le premier travail. Les matériaux utilisés pour la réfection des ailes n’ont pas tenu dans le temps.

En 2008, il a fallu tout refaire et repartir sur de nouvelles bases. A commencer par la restauration totale de l’intérieur de l’avion. 

Pétri de corrosion depuis les planchers jusqu’aux ailes, sans véritable hublots, le cockpit en ruine, il a fallu faire un énorme travail de documentation avant de commencer les travaux de restauration qui se poursuivent encore aujourd’hui.

Le Deux-Ponts en 1997 avant de retourner sur la BA105. © Le Deux-Ponts de l’Eure

En 2024, l’avion est étanche, les hublots ont été installés, le plancher du bas vient d’être terminé après plus de deux ans de dur labeur. L’avion reprend vie petit à petit mais il reste encore beaucoup de travail.

Ce n’est pas tant les moyens humains qui manquent à l’association, elle compte près de 120 membres dont une vingtaine de bénévoles actifs, mais plutôt les moyens financiers. Les cotisations des membres, la vente de goodies et surtout le soutien d’entreprises locales et le sponsoring du Conseil départemental de l’Eure et du Crédit Agricole d’Évreux ont permis de sauver l’avion mais la tâche reste importante et il faudra trouver de nouveaux financements pour poursuivre les travaux.

Le poste de pilotage avant sa restauration. © Le Deux Ponts de l’Eure
Le poste de pilotage en 2024. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

« Dans le cockpit, le plafond a été refait en concertation avec nos amis des Ailes Anciennes de Toulouse, avec qui nous échangeons régulièrement et entretenons d’excellentes relations. Nous nous partageons le travail pour progresser sur la restauration des deux Breguet Deux-Ponts d’Évreux et de Toulouse. Pour le plafond, les Ailes Anciennes ont réalisé les panneaux et leur gravure, nous nous sommes occupés de tout ce qui va dans les trous : instruments, voyants, interrupteurs… » résume Patrice Le Mao.

Le pont inférieur en cours de restauration. © Le Deux-Ponts de l’Eure
Le pont inférieur en 2024 après la restauration. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

Il existe très peu de documentation et de photos sur le Breguet 765 et il faut parfois se débrouiller. « Il a fallut 5 ans pour retrouver tous les instruments de la planche pilotes. En plus de notre fructueux partenariat avec les Ailes Anciennes de Toulouse, des entreprises locales, comme les sociétés Alu-Steel-France, les Ateliers des Moules Andrésiens, la société de plasturgie Demgy nous ont beaucoup aidés pour la reconstitution de pièces introuvables comme des instruments, les manches pilotes, les hélices et de très nombreuses autres pièces » explique le Colonel Le Mao.

L’équipe de bénévoles d’Évreux a travaillé en 2023 sur l’installation de la porte du poste de pilotage et les capitonnages. Les caissons du plancher du pont inférieur ont été totalement restaurés et traités de leur corrosion puis isolés, de nouvelles plaques de métal ont été installées.

Les chantiers à venir vont se consacrer à la repose des hélices. De faux capots moteurs et de fausses hélices avaient été installés en 2005 mais l’association a réalisé de nouvelles hélices en résine absolument identiques aux originales qui seront posées en 2024. Les capitonnages du poste de pilotage et l’habillage de la cabine feront également partie des travaux prévus pour cette année.

Le pont supérieur avant la restauration. © Le Deux-Ponts de l’Eure
Le pont inférieur en 2024 après la restauration. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

A l’extérieur également, deux capots d’entrée d’air des moteurs vont être installés. Ceux-ci ont été récupérés dans la jungle tahitienne sur des carcasses de Breguet 763 et rapatriés sur Évreux. Il manque encore deux entrées d’air inférieures et les quatre entrées supérieures qui amènent l’air aux carburateurs, ainsi que les deux bidons d’extrémités d’ailes.

Sur la planche pilotes, seuls 4 instruments sont des faux. © Fabrice Morlon / Aerobuzz.fr

Pour aider l’association dans ses recherches, son président appelle aux bonnes volontés et à la générosité de potentiels donateurs : « Chaque contribution, même modeste, est précieuse pour nous aider à financer nos prochains chantiers et préserver ainsi ce patrimoine aéronautique et industriel. »

Pour en savoir plus sur l’association Le Deux-Ponts de l’Eure

Pour contacter l’association Le Deux-Ponts de l’Eure

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

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  • Mais l'échangisme continue de marquer les vies de ces magnifiques témoins de notre aviation renaissante à la fin de la guerre. En effet les passionnées de l'Eure et ceux des Ailes anciennes de Toulouse échangent des pièces pour le bien de tous et la joie des visiteurs. Ici, à Blagnac, le 'Deux-Ponts' remportent les suffrages des chalands du dimanche. Respect et empathie pour les petites mains des restaurateurs.

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