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Débat et opinion

Dans 500 jours, des taxis volants au-dessus de Paris ?

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Gilles Rosenberger

S’il est encore trop tôt pour connaître l’impact du changement climatique sur le développement de la mobilité aérienne urbaine, les porteurs de projets d’eVTOL et de vertiports continuent de multiplier les annonces prometteuses. Dans cette tribune, Gilles Rosenberger (TimetoFly) fait part de ses réserves et évoque une bulle.

La presse vient de nous rappeler que dans 500 jours, les Jeux Olympiques auront débuté à Paris. Différents consortiums impliquant ADP, la RATP, la région Île-de-France nous promettent 2 lignes expérimentales pré-commerciales (quelqu’un sait ce que cela signifie exactement ?) de taxis volants entre Issy-les Moulineaux et Versailles/St-Cyr, et entre Roissy, Le Bourget et Paris (une barge sur les quais de Seine), à l’été 2024.

Il s’agit d’utiliser les JO comme vitrine pour montrer la capacité d’innovation de notre pays ; ainsi la startup toulousaine Ascendance Flight Technologie (issue d’une partie des équipes de l’eFAN d’Airbus) qui vise plutôt des vols interurbains pourrait aussi faire partie des démonstrateurs présentés. L’Allemand Volocopter dont le biplace Volocity (MTOW 900 kg, 18 rotors, range 35 km) se présente comme whisper-quiet (littéralement « chuchotement silencieux »), et qui a déjà commencé à conduire des essais au Bourget dès juin 2021 (dans une configuration sans pilote à bord) est lui aussi dans la course.

Un premier Vertiport (version urbaine des aéroports) expérimental a été créé à Pontoise pour découvrir et apprendre des questions de gestion du trafic : au sol et dans un espace IFR. En parallèle, la RATP a été chargée d’évaluer l’impact sonore de ces machines « dans un espace urbain dense » avec le support de Bruitparif, la DGAC et l’ONERA. Tous comprennent qu’un silence (relatif) est impératif pour être socialement acceptable, même si à ce jour, peu nombreux ont ceux qui ont eu l’occasion d’entendre ces eVTOL « en vrai ». Enfin les annonces font état de couts de l’ordre de ceux de Uber, soit entre 60 et 80 € pour relier Pontoise à Paris. Et bien sûr, le tout au nom d’une mobilité décarbonnée !

Ça c’est pour les annonces. Et si on regardait derrière le décor ? Comment se dessine cet avenir dans 500 jours ?

De nombreux eVTOL (electric Vertical and Take Off Landing) ont déjà volé : Youtube présente de nombreuses vidéos des vols de Volicity, Joby (USA), Archer (USA), Vahana (Airbus), CityAirbus (idem), Eve (Embraer), Ehang (Chine), Lilium Jet (Allemagne), … La liste est longue et le dernier en date pourrait être l’Australien Vertiia.

Tous ces véhicules pourraient donc techniquement réitérer sans problème ces vols dans le ciel de Paris. Mais (car il y a un « mais »), la DGAC va-t-elle accorder un (des ?) laisser-passer(s) provisoire(s) pour autoriser des vols « pré-commerciaux » (avec passagers ?) au-dessus de Paris pendant les JO ?  Rien de moins certain !

Tous ces appareils visent une certification EASA en catégorie eVTOL. Comment pourrait-il en être autrement dès lors que l’objectif est de réaliser des opérations de transport public de passager ?

Et l’EASA a fixé la règle depuis maintenant 2 ans : les exigences de Safety pour l’UAM (Urban Air Mobility, la mobilité urbaine aérienne) sont au même niveau que celles requises pour certifier un avion de ligne. Soit 1.000 fois plus sévère que ce qui fut exigé pour le premier avion électrique certifié : le Velis de Pipistrel (en catégorie CS-LSA).

Et si les communiquants de ces entreprises évoquaient (et évoquent encore ?) le calendrier irréaliste d’une certification pour 2024, dans un colloque à Paris à la fin de l’année dernière, les techniciens évoquaient, eux, un déploiement commercial « pas avant 2030 ».

Il est donc très peu probable qu’aucun véhicule de type eVTOL fasse du transport de passagers en 2024.

Ceci n’empêcherait pas Thomas Pesquet d’effectuer un vol symbolique. S’il n’est pas formellement « pilote d’essai formé à l’EPNER », il a fait partie des équipes des essais en vol d’Airbus et dispose sans discussion de l’expérience pour piloter de tels engins encore expérimentaux. Un beau coup de comm en perspective !

L’un des principaux sujets reste celui de la batterie. La maitrise du principal risque, celui de l’emballement thermique (le feu d’une cellule de batterie qui se propage à ses voisines) nécessite des stratégies de gestion et d’isolement des cellules qui ne sont pas encore suffisamment matures ou des enveloppes (casing) encore très lourdes. Par ailleurs, la maturité des technologies alternatives (notamment les cellules tout-solide) est encore trop faible pour avoir une vision précise de leurs disponibilités pour l’aéro. Il est nécessaire de garder en mémoire que le vol vertical est très sollicitant pour les batteries et nécessite un fort courant pendant une courte période ; ce qui rend très difficile d’imaginer d’utiliser les batteries automobiles.

Et la certification… Mais tout ceci ne permet pas d’ignorer les autres points critiques de la certification que sont la safety et la fiabilité des électroniques de puissance (notamment celle de la régulation des multiples moteurs) ou encore la fiabilité et les qualités de vols des configurations multimoteurs (fixes ou basculant) sur lesquels peu de monde dispose aujourd’hui d’une expérience significative.

Tout cela est-il bien raisonnable ? Les différentes études techniques montrent qu’il faut environ 1 kWh pour emmener 2 passagers (et 1 pilote) sur 1 km dans un eVTOL. Alors que la même mission nécessite environ 0,15 kWh pour une voiture électrique (6 fois moins !). En dehors des rares cas où le trajet sur route est significativement plus long que la ligne droite du vol, le taxi volant nous promet une dépense d’énergie extraordinairement supérieure.

Et donc exit, l’idée du cout analogue à celui du VTC.

Quel sens tout cela peut-il avoir dans un monde où l’énergie devient rare et chère ? Permettre à certains happy-few de gagner du temps ? Je suis loin d’être certain que cela reste longtemps socialement acceptable. Et comme au passage, le marché se restreint, les couts augmentent, rendant l’offre encore moins accessible.

La promesse du taxi urbain volant est déjà une vieille promesse qui date d’un (ancien) temps où le vol électrique urbain venait concurrencer les voitures thermiques. Le bilan CO2 pouvait être positif. Mais aujourd’hui, le rapide déploiement des voitures électriques en environnement urbain ne laisse de la place qu’à des missions exceptionnelles telles que le transport ou l’évacuation de malades ou de blessés, sans oublier le remplacement possible des hélicoptères là où ils sont déjà pertinents et autorisés.

Alors que plusieurs centaines de projets d’eVTOL ont déjà été annoncés, la bulle pourrait prendre plusieurs années pour se dégonfler.

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Gilles Rosenberger

Gilles Rosenberger est un expert de la Nouvelle Aviation et ses efforts de décarbonation. Son expertise est reconnue par Aerospace Valley, la BPI (il fait partie de son Cercle des Experts) et l’accélérateur Starburst (où il exerce comme Mentor). En 2024, il fonde Neofuel pour, selon ses termes, « libérer l’Aviation Générale de l’AvGas et lui ouvrir un avenir sans plomb, faiblement décarboné et avec un carburant significativement moins cher. »

View Comments

  • J'ai entendu cette après-midi (vendredi 31/03/23) sur France Inter une émission très intéressante sur la production de minerai de Lithium dans le grand nord Canadien, à destination de nos batteries..
    Je vous conseille de charger le Podcast et d'entendre ça, c'est assez édifiant !
    Extraire du lithium, c'est du même niveau de pollution et de destruction de la nature que la fracturation hydraulique pour le pétrole... et ça demande des mégawatts d'énergie. Le bilan est pauvre.
    Bonne écoute !

  • Tout le monde a déjà entendu le bruit généré par un drone de taille moyenne avec quatre rotors ou plus en rotation à grande vitesse ...
    Chose curieuse, personne ne semble vouloir s'intéresser au bruit strident généré par ces technos.
    On n'ose imaginer une ville sans cesse survoler par ces insectes bien trop bruyant.
    Le vie dans les villes dans ces conditions va devenir insupportable

  • Merci pour votre article. Le mur de la certification est aussi dressé devant les avions de ligne en cours de certif (A321 XLR, B738 MAX 7 et 10, B777-9) et le mur est très haut pour les eVTOL.
    Concernant l'intérêt de ces eVTOL, effectivement l'usage 'Taxi volant' à la demande et pas cher n'a pas beaucoup de sens mais d'autres usages pourraient l'être : transport d'organes entre hôpitaux, premier urgentiste arrivant sur l'urgence (l'hélico sera sollicité si nécessaire pour le transport des blessés graves), transfert de personnes de centre ville à aéroport (voir article Aerobuzz relatif à la ligne de transfert de personnes créée par Archer et United Airlines. Plus généralement, à quoi servent les hélico 4 -5 pax Airbus Colibri et Gazelle ou Robinson R44 et R66 (le plus vendu au monde dans sa catégorie) ? Ces modèles ne sont pas récents ; ils sont bruyants et chers et pollluants. Les eVTOL n'ont-ils pas pour vocation de les remplacer à terme au moins pour les transports de personnes ?

  • Marrant de voir ce genre de véhicule être présenté comme un moyen d'avenir, à un moment ou il n'y a pas assez d'électricité pour les besoins domestiques et ou le cout devient délirant. Le plan "nucléaire" ? A financer comment, par de la dette, la planche à billets ou des impôts supplémentaires ? Même si les planètes devaient s'aligner, cela prendra probablement plus de deux ans. Ces machins risquent surtout d'être là pour frimer au niveau mondial durant quelques semaines puis finiront dans un hangar à prendre la poussière. Et puis vous imaginez vraiment ces bombes volantes se balader au dessus d'une banlieue parmi les plus peuplée ? Par contre, comme machines à transformer l'argent public en bénéfices privés, je pense que c'est au point.

  • Avec un tel rapport énergie/passager/km, ce mode de transport va surement être classé dans la rubrique des moyens réservés aux riches et subir les mêmes campagnes de dénigrement que les jet d'affaire.

  • Bonsoir ! Très belle tribune pragmatique....
    On ne parle pas non plus de comment on recharge ces machines (ou dit autrement combien on peut en poser sur les plateformes prévues en attente de recharge...)
    Ou dit autrement: combien de rotations possibles dans une journée ?
    Ha pardon, c'est juste une démonstration unique, pure communication...
    Alors oui, il faut en passer par là, mais pour que l'acceptation publique soit possible, il faut que les possibilités d'évolutions techniques soient crédibles et lisibles : ce qui n'est absolument pas le cas actuellement, tout comme pour les voitures électriques dont la transition réelle est encore balbutiante et limitée à quelques branchés par posture et quelques curieux de la high-tech. Toujours que 12% des ventes 2022 de véhicules purs électriques en France malgré tout le tapage et interdictions du thermique ?...
    Les arguments présentés ici sont bien connus et compris du grand public : autonomie très limitée, bruit de moustique, capacité de transport très limitée (2 personnes), pilotage autonome total qui n'est pas encore accepté au sol en voiture (alors en vol !), etc.
    Bien du courage à avoir pour les communicants verts ! (plutôt verdâtres dernièrement...)
    Salutations les Aerobuzziens !

    • Pour lutter contre le réchauffement climatique et les maux associés, la décarbonation des transports d'ici 2050 est nécessaire et les voitures électriques sont la seule solution (pas d'alternative connue me semble t'il) ; alors, bien sûr, il faut plus d'électricité bas-carbone d'où les projets sur les renouvelables et les solutions nucléaires. Production d'électricité et parc VE vont augmenter dans les quelques décennies à venir de manière coordonnée. C'est vrai, la place des eVTOL est effectivement marginale. Cependant, remarquons qu'aucun hélicoptère moderne récent de 4-5 places n'a été développé par Airbus ou Leonardo ; donc les eVTOL les plus performants pourraient à terme les remplacer au moins dans certains usages, avec des avantages.

      • Oui, la décarbonation est nécessaire, mais une décarbonation globale de toute la chaine, pas juste de l'un des maillons.
        Un véhicule électrique n'émet rien, certes, mais ce véhicule, il a fallu le fabriquer. Et les moteurs, accus, l'électronique dense et importante qu'il contient nécessite une quantité importante de matières premières rare et polluantes à extraire du sol et à transporter des mines lointaines (cobalt, lithium, or pour les contacts, etc...).
        Je pense aussi aux matériaux composites utilisés en masse tout au long de la chaine : des pales des éoliennes aux carénages divers des véhicules et des boitiers électroniques (si pas en plastique). Ces matériaux composites ne sont actuellement pas recyclables. Par exemple, les pales d'éoliennes sont actuellement broyées et enfouies dans le sol.
        De même avec les accus en fin de vie, surtout lithium, on ne sait qu'en faire, et on les détruit ou les enterre...
        Je ne parle pas des centrales nucléaires que l'on arrive plus à construire, ni des vieilles que les écolos nous ont empêché d'entretenir durant les 40 dernières années et qui sont à bout de souffle. Ces mêmes écolos qui pleurent maintenant pour en monter très vite de nouvelles...
        Un hélico moderne de 4-5 places transporte le pilote, le blessé, le docteur et l'infirmière à haute vitesse et à la distance voulue sans avoir à y réfléchir et en quelques minutes. Les Evtol avec 50km d'autonomie ne sauront pas faire ça car ils seront incapable de venir sur zone et repartir vers l'hôpital sur la même charge électrique. Vous n'êtes pas sans savoir qu'une évacuation hélico c'est pas pour faire 30km mais bien pour aller très vite à 150km de là dans le CHU adapté et disponible pour une opération urgente.
        Et non, les voitures électriques ne sont pas la seule solution connue. On peut aussi se déplacer moins, tout simplement ! En recentrant par exemple nos vies autours et dans nos villages et villes et non à distance de ceux là. Petits commerces et services en centre-ville accessibles à pied ou en vélo, travail partout dans nos territoires et pas uniquement dans les méga-zone industrielles à 50km de la maison, etc. Actuellement, même en proche banlieue parisienne, impossible de vivre sans voiture même avec un réseau de transport en commun dense.
        On peut aussi faire le constat qu'une voiture thermique très légère citadine facile à produire et à recycler (que des matériaux "simples" et "courants") pollue moins sur la globalité de son cycle de vie (fabrication, usage, recyclage) qu'une voiture électrique de même gabarit. La voiture thermique sera plus légère, sans électronique ou presque, avec un petit moteur moderne de 35 ou 40ch qui consomme 3.5 à 5 L/100km, voire moins. la Renault 4 chevaux de mon Papa consommait 5L/100km dans les années 60... Mon Ax et son moteur de 954cm3 aussi il y a 25 ans... C'est donc facile à refaire avec nos technologies modernes ! Et pas cher...
        Pour les voitures électriques, n'oubliez pas de compter la production de l'électricité. Et notre capacité électrique actuelle et future ne permet pas d'alimenter le parc électrique que l'on veut nous imposer.
        Ce n'est que l'UNE des solutions.

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