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Débat et opinion

De la compensation des vols …

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Gilles Rosenberger

Dans cette tribune, Gilles Rosenberger démontre les limites de la politique de compensation des émissions de CO2 : « Nous émettons collectivement environ 40 milliards de tonnes de CO2 chaque année et il faudrait l’équivalent d’au moins trois Terres pour planter tous les arbres. » Selon lui, la solution passe par « l’évitement et la réduction » des émissions. Il focalise ici son propos, plus spécifiquement sur l’aviation de loisir.

En 2020 plusieurs compagnies aériennes majors nous ont proposé de « compenser 100% des vols » par une démarche volontaire et un choix, entre planter des arbres et contribuer à acheter un carburant bas carbone (qui n’existait déjà pas en quantité adaptée). Rappelés à l’ordre par les associations de protection de l’environnement, nombre d’acteurs européens avaient revu leurs copies et ont sorti de leurs offres ce scénario de greenwashing. Parce qu’il s’agit bien de greenwashing.

Récemment une association est venue nous propose de compenser nos vols en aéroclub. Comme pour les majors, on va vite comprendre que la compensation directe n’est pas une bonne pratique, même si elle part des meilleures intentions.

Une bonne pratique repose sur une règle en 3 points : (1) Mesurer et Comprendre, puis (2) Éviter d’émettre et Réduire ses émissions pour ensuite (3) Compenser ce qui n’a pu ni être ni évité ni réduit.
Il y a une très bonne raison à cela : nous émettons collectivement environ 40 milliards de tonnes de CO2 chaque année et il faudrait l’équivalent d’au moins trois Terres pour planter tous les arbres nécessaires à absorber ce volume.

Il faut donc d’abord passer par l’évitement d’émission et la réduction. Et le pilote qui possèderait des terrains couverts de forêts ne peut pas s’exonérer de cette approche : en effet, pour compenser une émission de CO2 additionnelle (celle du vol qu’il vient de faire), il faut un dispositif additionnel : la forêt qui existe contribue déjà à l’équilibre existant.

Même si les solutions techniques (propulsion électrique, hydrogène, carburants de substitution, …) ne sont pas (encore) disponibles, le pilote d’un aéronef de loisir dispose de nombreux moyens pour déjà commencer à éviter puis réduire ses émissions. Le catalogue est large et ne peut être listé in-extenso ici ; d’ailleurs il doit être adapté à chaque cas.

Mais on peut citer au niveau individuel : le covoituarge pour venir au club, l’utilisation d’un avion biplace quand on vole seul ou à deux, la pratique d’une croisière lente (à 65% de la puissance), le développement de pratiques sportives lentes telles que l’ANR (pilotage de précision dans un couloir étroit) ; on peut aussi imaginer une migration vers le motoplaneur voir le vol en planeur (pour découvrir d’autres plaisirs du vol) ; tout n’est pas à mettre en place immédiatement, mais appartient à une stratégie déployable par chaque pilote sur sa saison de vol.

Au niveau collectif on peut envisager favoriser les pratiques vertueuses, valoriser le vol lent en mettant en place des challenges de la frugalité, en déployant l’installation de fuel flow (indicateurs de consommation) et entrainant (et formant) les pilotes au vol à l’économie, ou encore en faisant évoluer flottes d’aéroclub vers des avions frugaux (l’Elixir nous montre le chemin), …

On pourrait même lancer un concours auprès des lecteurs d’Aerobuzz pour imaginer les solutions low-tech contribuant à décarboner l’aviation de loisir par des évolutions de nos pratiques.

Les fédérations sportives aéronautiques ont commencé à prendre le chemin de l’analyse des émissions de leurs propres pratiques pour engager des stratégies de réduction des émissions.
La FFVP (vol en planeur) à fait son bilan carbone l’an passé. Le FFPLUM (ULM) vient de commencer sa démarche. La FFA (Avions) et la FFP (Parachutisme) pourraient prendre la suite de la FSA (les organisateurs de meetings). Sans oublier la FFVL (parapente, aile delta, kite, …) …

Mais faire un bilan carbone, c’est comme faire son bilan sanguin : c’est insuffisant si on se limite au bilan; il faut rapidement l’analyser avec un expert pour mettre en place les moyens de remédier aux problèmes et construire une démarche vertueuse dans le temps. C’est ainsi un nouveau métier qui nait : le « chasseur de carbone », technicien formé aux méthodes de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie) et connaisseur de l’aviation. L’analyse des activités lui permet d’en calculer les émissions pour ensuite construire (ou plutôt co-construire avec les intéressés) les stratégies de décarbonation.

Et la compensation alors ?

On vient de le voir, la compensation est nécessaire mais ne devrait pas être mise en place sans préalablement éviter ni réduire. Planter des arbres, reboiser est indiscutablement une nécessité pour la planète mais cette action ne peut être faite au nom de la compensation sans avoir en tête ces limites :

  1. Risque de démobilisation : Introduite en amont de toute action d’évitement ou de réduction, elle porte le risque de démobiliser les acteurs : « je peux continuer à émettre du CO2, puisque je compense … »
  2. Insuffisance des ressources : dès lors que l’on sait que la surface terrestre ne peut accueillir suffisamment de forêt, nul peut engager au nom de la sauvegarde de la Terre, une démarche de type « premier arrivé, premier servi… ou premier compensé »
  3. Désynchronisation : Les arbres (et tous les végétaux) absorbent le carbone par la photosynthèse qui va produire de la cellulose sous forme de troncs, branches, racines … et qui sont autant de lieu de stockage du carbone mais il faut en général attendre près de 10 ans pour que la capture du carbone entre en vitesse de croisière, alors que le pilote envisage, lui, de voler immédiatement (puis qu’il vient de compenser !).
  4. Incertitude : les programmes de reboisement annoncent une compensation qui dure au moins 20 ans ; mais qui garantit que le propriétaire de la forêt (ou ses successeurs) maintiendra la forêt pendant une telle période ?
  5. Fragilité environnementale : les forêts subissent de nombreuses agressions (incendies, sécheresse, maladies) qui rendent incertain le niveau de compensation sur une période aussi longue.
  6. Confiance : de nombreux articles de presse récents montrent le manque de transparence et d’honnêteté de près de 90 % des programmes internationaux de reboisement : des arbres en Amazonie « vendus plusieurs fois », des zones sensées être replantées qui sont en fait déboisées au motif que le cadastre est inexistant ou approximatif, une absence de contrôle en profondeur, …

Face à ces problèmes, il existe des programmes sérieux et encadrés et notamment ceux du Label (français) Bas Carbone, mois ambitieux et plus cher que les propositions des margoulins. Mais commençons d’abord par comprendre et mesurer nos émissions, éviter, puis réduire …

Gilles Rosenberger

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Gilles Rosenberger

Gilles Rosenberger se définit comme ingénieur, pilote (aile delta, planeur et avion monomoteur) et entrepreneur. Expert de la Nouvelle Aviation, il est un observateur avisé et bien informé des développements des nouvelles technologies et usages qui devront nous permettre de “voler moins carboné”. Il a construit son expérience et son expertise dans des sociétés telles que Socata, Aircelle, Safran, GECI-Skylander, Thales, Airbus-Voltair, Faraday Aerospace et Time To Fly.

View Comments

  • Voilà ce que j'aurais aimé entendre de l'équipe dirigeante de mon aéroclub. J'ai arrêté de voler l'année dernière. Carburant plombé, prise de conscience limitée sur les transformations à mener pour l'aviation de loisir, état d'esprit trop éloigné du mien ...

    • L'UL91 n'est pas plombé : notre DR 400 et nos 3 ULM n'utilise que ça.

      Pouvez-vous préciser votre différent avec les dirigeants de votre aéroclub ? Pour voir si chez nous c'est pareil ?
      Merci.

  • Bonjour,

    Il est vrai que l'empreinte carbone de l'aviation de loisir est quantité négligeable. Mais il faut que tout le monde s'y mette.
    Par contre, elle n'est pas négligeable loin s'en faut, pour l'aviation commerciale.

    À part diminuer notre nombre d'heures de vol, je ne vois pas comment faire pour diminuer l'empreinte carbone.

    À part un saut technologique considérable pour diminuer le poids des batteries, on oublie la propulsion électrique pour l'aviation : la quantité d'énergie contenue dans 1 kg d'essence correspond à celle contenue dans 15 kg de batteries à l'heure actuelle pour la meilleure technologie. Le poids des batteries diminue progressivement depuis 10 ans mais les kg restants à enlever pour arriver à l'équilibre avec l'essence seront très difficiles à gagner en l'état actuel de la technologie.

    Quant à l'hydrogène... Il faut aussi un saut technologique considérable pour diminuer le poids des réservoirs. Et abandonner l'extraction de l'hydrogène à partir de méthane qui produit plus de CO2 qu'un moteur essence pour la même quantité d'énergie mécanique restituée.

    Le moteur thermique n'est donc malheureusement pas encore dépassé malgré son faible rendement : 25 % dans le meilleur des cas.

    Dans mon aéroclub, parmi les appareils privés, tous sont biplaces et volent à 99 % de leur temps avec 1 seule personne à bord. Là, oui, on peut gagner un peu en partageant les vols.

  • Santos Dumont a toujours volé léger, et cette approche reste d'actualité. Nous avons un gros potentiel de sobriété en nous tournant vers les avions les plus légers issus de la mouvance ULM pour nos vols courts à 2 ou vols plus long en solo.

  • Il faut peut-être remettre l'église au milieu du village. La consommation annuelle de 100ll correspond en gros au débit d'une journée d'une grande station d'autoroute. Ce qui signifie que l'impact carbone de la totalité de nos petits avions d'aéro-clubs n'est même pas quantifiable dans la vraie vie...

    • Ne vivez pas sur le monde d'aujourd'hui. Mais réfléchissez au monde de demain qui n'aura plus de pompes dans les stations d'autoroute (ou en tout cas un débit réduit à la portion congrue).
      Par ailleurs, toutes les émissions devront être compensées (et je parle d'une vraie compensation, pas d'un greenwashing). La compensation étant un exercice très complexe et coûteux, vous rentrerez en compétition pour un accès à ces compensations avec la Défense, la Sécurité Civile, le lobbying du fret, les majors de l'industrie n'ayant pu décarboner, et je peux vous en citer bien d'autres... Préparez les dollars...

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