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Défense

Fin de partie pour l’Epsilon

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Frédéric Lert

Le 24 septembre 2019, une belle cérémonie a marqué la fin de l’Epsilon au sein de l’Ecole de Pilotage de l’Armée de l’Air (EPAA). 35 ans après la mise en service de l’avion, la base de Cognac a résonné une dernière fois au son des Lycoming. Mais des questions restent posées sur le cursus de formation de l’Armée de l’air et l’Alphajet n’a pas dit son dernier mot.

L’Epsilon a donc tiré sa révérence, remplacé par plus beau et plus riche que lui, le Pilatus PC21. C’est dans l’ordre des choses et comme l’explique un instructeur de l’EPAA, c’était attendu : « l’avion n’a jamais démérité, mais il était plus que temps de moderniser la formation ». Après quelques années d’hésitation, l’Armée de l’air a donc franchi le Rubicon en optant pour le Pilatus PC21 qui remplacera également les Alphajet de l’école de l’aviation de chasse (EAC) de Tours et, très certainement, mais un peu plus tard, ceux de l’école de transition opérationnelle (ETO) de Cazaux.

TB30, l’un avion d’entrainement à hélice de l’armée de l’Air

La base école de Cognac en tant que telle existe depuis 1961, année du regroupement des écoles de pilotage jusque là installées au Maroc. La monture principale est alors le T-6, mais l’avion est en fin de vie : le biplace hérité de la seconde guerre mondiale est remplacé en 1965 par les premiers Fouga Magister. Mais l’avion est coûteux à mettre en œuvre et, à partir de 1978, l’Armée de l’air se met en chasse d’un avion d’entrainement à hélice.

Pendant l’espace d’un défilé, la BA709 avait un petit quelque chose du plateau de Cerny et du passage groupé des T-6 rejouant Tora Tora Tora… © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

L’idée est aussi de revenir à un cursus très progressif qui débuterait sur avion à hélice avant de se poursuivre sur réacteur. Le premier prototype vole le 22 décembre 1979. Sa mise au point se traduit ensuite par plusieurs modifications bien visibles, avec le déplacement de l’empennage horizontal, l’ajout de quilles ventrales et l’agrandissement de la dérive. L’avion se distingue aussi par une forte charge alaire pour lui donner une bonne manœuvrabilité en basse altitude. Il dispose de quatre points d’emport sous la voilure et peut être armé, mais il ne le sera jamais en France. L’armée de l’air commande un total de 150 avions.

Entrée en service en 1984

Les Epsilon remplacent les Fouga Magister à partir de juin 1984. Une fois les instructeurs formés, l’entrainement des premiers élèves débute au mois de septembre. L’avion passe le cap des 100.000 heures de vol cinq ans plus tard, en 1989. Les 200.000 heures sont atteintes en mars 1992 et les 500.000 en 2006 ! Cette année-là, la maintenance de la flotte aéronautique et des simulateurs de vol est externalisée au profit d’EADS. L’année suivante arrivent les Grob 120 utilisés pour la phase de « tronc commun », avant que le distinguo soit fait entre futurs pilotes de transport, d’hélicoptères ou de chasseurs.

Retour au parking à l’issue du défilé, le 315-YI en tête. La place arrière est libre, quelle avanie… © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

Ces derniers effectuent donc leur « pré-spécialisation » chasse sur l’Epsilon. Une phase d’environ 5 mois et 70 heures de vol qui prépare au passage sur les Alphajet de Tours. Et que découvrent-ils alors avec l’Epsilon ? Un véritable petit chasseur période Bataille d’Angleterre : 300cv pour 1.200 kg, 280 kt au badin, -3/+6G au G-mètre. L’avion est stable et vif aux commandes, bien taillé pour faire de la patrouille serrée.

Le bruit du moteur est qualifié de « sympathique », ce qui ne gâche rien. Un défaut de l’avion est de ne pas tenir le vol dos très longtemps.  « Le vol dos, on ne fait qu’y passer au sommet des boucles mais sans s’arrêter » expliquaient les pilotes de la patrouille Cartouche Doré, qui évolua sur l’appareil de 1989 à 2016. « On ne fait aucune évolution en G négatif ».

 

Une avionique analogique

L’autre handicap de l’Epsilon est qu’il ne prépare en aucune manière les jeunes pilotes aux systèmes avioniques qu’ils vont ensuite rencontrer sur avion d’arme. La planche de bord 100% pendules et l’absence de tout moyen de navigation moderne sont devenus trop handicapants en 2019. Au-delà des seules qualités de vol de l’avion, le choix du Pilatus PC21 pour remplacer l’Epsilon est avant tout le choix d’un appareil doté d’un véritable système de mission.

Le 24 septembre 2019, 48 cylindres battent la mesure avant de s’arrêter simultanément. La fin d’une époque, le début d’une autre aventure… © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

L’enseignement basique qui était dispensé sur Epsilon est désormais enrichi par un travail plus complexe avec l’avionique, avec par exemple la découverte du travail au radar en modes air-air et air-sol (entièrement simulé sur le Pilatus).  Une révolution à Cognac, qui plus est adossée à l’emploi d’entraineurs et de simulateurs de vol extrêmement réalistes. Sans langue de bois, le PC21, fort des nouvelles capacités qu’il apporte, fait l’unanimité à Cognac. L’avion remplace donc l’Epsilon, mais également l’Alphajet de l’EAC de Tours.

La montée en puissance du PC21

C’est pour la suite et ce que l’on appelle la « phase IV », qui se fait à l’école de transition opérationnelle (ETO) de Cazaux, que les choses sont moins claires. Selon certains, l’armée de l’air a déjà tranché, ayant opté pour une formation 100% Pilatus entre le Grob 120 des débuts et les Rafale et Mirage 2000 dans les forces. Pour d’autres, rien n’est encore gravé dans le marbre et la question d’un avion intermédiaire reste posée. En témoigne l’expérimentation en cours, avec une poignée d’élèves partis pour faire tout leur pré spécialisation chasse puis les phases 3 et 4 directement sur… les Alphajet de Cazaux !

Trois avions, trois philosophies bien différentes de la formation des futurs pilotes de chasse. Et la première irruption depuis plus d’un demi siècle d’un avion non français ! © Frédéric Lert/Aerobuzz.fr

L’Alphajet fait de la résistance

A l’heure où le Pilatus entre en service et emporte tous les suffrages, l’idée de faire une formation 100% Alphajet semble donc très paradoxale ! Mais elle s’explique par différentes raisons, bonnes ou moins bonnes. La première est que l’Alphajet est un avion éprouvé, la formation à son bord bien connue et sans surprise. Soit. L’autre raison mise en avant est que l’Armée de l’air (et la Marine, également utilisatrice de l’EPAA) est en phase d’augmentation des flux de pilotes et navigateurs. Il n’y aurait pas assez de Pilatus (17 appareils commandés et 14 en ligne) pour faire face.

L’Alphajet serait une solution de secours bien pratique, d’autant que les appareils de Cazaux gardent encore du potentiel. Et puis il y a la question du respect de l’ordre établi à Cazaux et qu’il sera compliqué de chambouler, avec une 8ème escadre de quatre escadrons, toute entière organisée autour de l’Alphajet.

Il n’en demeure pas moins que l’idée de garder pendant quelque temps deux filières parallèles, l’une sur Pilatus et l’autre sur Alphajet, pour « comparer », semble baroque… Alors même que la France dispose enfin avec l’avion suisse d’un outil moderne et adapté à ses besoins, la capacité du PC21 à amener directement au Rafale ne faisant plus aucun doute chez personne…

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Que vont devenir ces avions somme toute en état de vol pour de nombreuses années encore ?
    Les convertir en avion d'appui-sol a peu de frais serait une meilleure idée que les ferrailler , non ?

    • Voir ce que en fait Apache aviation...
      De nombreuses entreprises sont sur les rangs depuis des années pour racheter ces avions, de même que de nombreux collectionneurs...
      Pas de problèmes, ils ne seront pas ferraillés de suite...

  • @Xav 520
    On peut même rajouter le Texan T6, le Tucano (une vieille connaissance des français) et bien d'autres, pour les turboprob en première phase de formation.
    Oui en effet le spectre des performances est large, mais je répondait à François Brunneau qui trouvait qu'il n'y avait pas beaucoup de solutions.

    • Il ne faut tout mélanger quand même et garder un certain niveau de performance...
      T6 Texan 2 ? C'est un Pilatus PC9 "américanisé", donc un vieil avion qui n'est plus au top du moment. D'ailleurs, nous, on utilise des PC-21... Et puis aucun intérêt à acheter américain (et donc à se passer les menottes) quand on peut avoir l'original Suisse. Est-il encore produit en suisse ?
      Tucano ? En effet notre AA en a eu à Salon de Provence, qui on fait une carrière (très) courte et sont désormais au musée ou revendus ! Visiblement pas raccord avec la doctrine de notre AA le Tucano...
      Ces deux avions auraient été de bons remplaçants à l'Epsilon il y a 10 ou 15 ans, pas aujourd'hui. C'est d'ailleurs ce qui avait été tenté avec le Tucano...

      • Pour la réflexion, les royaumes unis sont plus ou moins inféodés aux USA, et n'ont pas un Chirac pour dire NON à W. Bush si le cas se présente. Ils ne risquent donc pas de manquer de pièces détachées voire de licences d'utilisations des systèmes... ;-)
        Nous autres Français aimons bien avoir notre liberté de penser et d'agir...
        Le PC-9 est en effet une bonne idée en formation de base. Mais ce n’est qu'un Epsilon à turbine... Une formation PC9 - PC21- Rafale tient la route... Mais je trouve quand même qu'il manque un vrai jet bimoteur entre le PC-21 et le Rafale s'il n'y a plus d'Alphajet...

      • A mon sens, le PC-21 est la meilleure solution, mais cela ne veut pas dire que c'est la seule option disponible.
        La formule d'un appareil à réaction pour la seconde phase de formation reste ouverte (on peut rêver du M-346 ! ), bien qu'elle soit certainement trop onéreuse.
        Oui j'ai bien précisé que le Tucano était une vielle connaissance de l'armée de l'air.
        Quand au T6 Texan II, il a été choisi en 2016 par la RAF, pour la phase initiale de la formation chasse, avec le Hawk pour la phase avancée. Il ne doit pas être si dépassé que cela !
        (Pour info, aucun PC-9 n'est actuellement en production dans les ateliers PILATUS, mais il figure toujours au catalogue.)

  • EPSILON Cet article est réservé prémium. OK ! Mais alors pourquoi cet article est il le seul à être verrouillé, alors que le sujet n'a tien d'un scoop ou contenant des informations hautement technique. Quant à l'Ajet sa carrière au sein de l'A-A et de la PAF devrait être prolongée jusqu'en 2035. C'est pas un scoop ni confidentiel défense . . .

    • La véritable information de cet article n'est pas la retraite des Epsilon ou la durée de vie prévisionnelle des Alphats-Jet, mais le fait que l'armée de l'air ait mis en place une filière de formation provisoire tout Alpha Jet en parallèle de la filière officielle PC-21 /Alpha Jet. Et pour moi c'est un scoop.
      Pierre où l'avez vous lu avant ?
      C'est quand même étonnant ! L'armée achète des Pilatus en remplacement partiel des A-Jet et en remplacement probable complet à l'avenir, et on apprends que parallèlement elle monte une filière "officieuse" tout Rafale !!
      Bravo Frédéric Lert pour cette info.

    • Cet article de Frédéric Lert est effectivement réservé aux abonnés Premium, c'est-à-dire aux lecteurs qui nous apportent leur soutien. Il a nécessité un reportage à Cognac, des heures d'écriture et de sélection photos, des années d'expérience sur les questions de Défense. Il aborde notamment l'arrivée du PC21 dans le cursus de formation des pilotes de combat de l'armée de l'air et la décisions de cette même arme de maintenir deux filières parallèles. Pour notre part, nous ne chassons pas le scoop. A l'heure des réseaux sociaux, il y a toujours quelqu'un qui dégaine plus vite que vous. Et nous estimons qu'un article structuré vaut largement une info brute en 140 ou même 280 caractères qui reste à vérifier.

      Il est facile de faire de l'audience, d'exploser le nombre de clics. Ce n'est pas le choix que nous avons fait. Il est beaucoup plus difficile à assumer. Si Aerobuzz existe depuis 10 ans, c'est aussi parce que nous suivons le cap que nous nous sommes fixé. Petit à petit, nos lecteurs reconnaissent notre travail et s'abonnent. Et c'est grâce à eux que nous pouvons continuer sans avoir de compte à rendre à personne, si ce n'est, précisément, à nos lecteurs.

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  • Un pour le Musée de l'air du Bourget ? Sûrement.

    L'alphajet est une bonne bête. Beaucoup ont opté pour l'Aermacchi 346 Master.
    Il n'y a pas beaucoup de solutions.

    • Les solutions ne manquent pas François.
      PC-21, M-346 (voir M-345), L-39 NG, T-7 Boeing/Saab, KAI T-50, AJT de AIDC (Taiwan), Hawk Lift/128 ...

      • Oui mais des AJT en France, on en a déjà beaucoup...
        Facile, je sais...
        Entre une solution mono-turboprop, et du biréacteur supersonique... il y a une petite marge toutefois.

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