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Défense

Garuda VII (2/3) : Les Rafale français face aux Sukhoi 30 MKI indiens

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Frédéric Lert

Pour la première fois, Rafale indiens et français ont travaillé ensemble dans le ciel de Jodhpur. Mais Garuda VII a aussi été l’occasion pour les pilotes français de retrouver une vieille connaissance, le Sukhoi 30MKI. Un avion puissant à l’autonomie remarquable, la quintessence du chasseur lourd. 

Le soleil a du mal à percer le mélange de pollution et de poussière en suspension dans le ciel de Jodhpur alors que les quatre pilotes de Rafale se rendent à leurs avions, précédés par l’équipe de piste. Ils n’ont que quelques dizaines de mètres à parcourir depuis les locaux affectés aux Français pour la durée de l’exercice.

L’Airbus A330 MRTT stationne un peu plus loin mais son équipage profite également de la fraicheur matinale pour le rejoindre à pied. En arrière-plan, un hangar abritant un escadron d’hélicoptères de combat de fabrication locale, le LCH. Un peu plus loin, dans une enclave ceinturée par de hauts murs et des barbelés, une aérogare et son parking accueillant l’activité civile de Jodhpur. Mais le terrain reste avant tout militaire, avec dans sa partie sud de nombreuses hangarettes blindées protégées par des merlons.

L’armée de l’Air et de l’Espace a fait le déplacement avec cinq Rafale et le contrat est d’en mettre quatre en l’air deux fois par jour. « La fiabilité des avions est excellente et le contrat facilement rempli., explique le Cdt C., directeur de l’exercice pour le côté français. Nous avons d’ailleurs demandé aux Indiens de nous faire participer le plus possible aux différents missions. » 

Les Rafale sont restés en configuration A30 (avec trois réservoirs supplémentaires de 1250l chacun) pendant toute la durée de l’exercice. Un handicap en matière de combat rapproché, mais malgré tout un très bon compromis entre autonomie et capacité opérationnelle. © Frédéric Lert/Aerobuzz

A la minute prévue, les quatre Rafale roulent vers la piste 05-23 en passant devant le MRTT qui a mis en route. De l’autre côté de la base, Sukhoi, Tejas et Rafale indiens quittent également leurs parking pour rejoindre le point de manœuvre. Les principaux acteurs de Garuda VII sont en place, la pièce dont le Cdt C. nous raconte le scénario va pourvoir débuter.

« Nous avons commencé l’exercice par trois journées consacrées à des entrainements simple en VR (Visual Range), avant de passer au BVR (Beyond Visual Range, c’est à dire combat au-delà de la portée visuelle), avec une implication plus forte des contrôleurs d’interception. Deux missions ont été organisées quotidiennement, avec pour les plus complexes plus d’une trentaine d’appareils en l’air simultanément, dont nos quatre Rafale. De manière classique une force bleue s’opposait aux « rouges » et nous avions demandé que nos avions soient systématiquement répartis dans chaque camp, avec une patrouille simple de deux avions de part et d’autre ».

Il y a du beau monde au point de manoeuvre, avec des Rafale et des Sukhoi indiens encadrant les appareils français. © Morgane Vallé/Armée de l’air et de l’espace

L’Inde ne fait pas partie de l’Otan, ce que reflète le vocabulaire de ses pilotes. On ne parle pas à Jodhpur de Comao (Composite Air Operation) ou de « shadow wave » mais plutôt de SFE et LFE, pour « Small Force Employment » et « Large Force Employment ». « La question du vocabulaire est l’un des intérêts et l’une des difficultés de l’exercice souligne notre interlocuteur. Les procédures et les mots codes varient sensiblement d’un pays à l’autre, ce qui peut avoir d’importantes conséquences. Un exemple ? Le mot « abort » : quand il est donné chez nous sur la fréquence, il indique la clôture d’une séquence de tir. Pour les Indiens, c’est un synonyme de fin de mission immédiate pour des raisons de sécurité ».

Garuda est avant tout orienté vers les missions air-air et les Rafale ont été en effet exclusivement engagés dans ce rôle. L’ajout d’un volet air-sol n’aurait pas posé de problème aux équipages, mais il aurait singulièrement compliqué l’organisation de l’exercice et cette option ne fut pas retenue.

Sukhoi SU30 MKI en ravitaillement sur le Phénix de l’escadron Bretagne. Particularité de l’avion russe, la perche est du côté gauche ce qui empêcherait de facto un ravitaillement en point central sur un C-135FR : la boucle du tuyau viendrait alors heurter le radome du radar. © Frédéric Lert/Aerobuzz

La base de Jodhpur abrite un escadron de Sukhoi 30 MKI (un autre l’avait rejoint pour la durée de l’exercice) dont le savoir-faire en matière de combat air-air est bien reconnu en Inde. Trente ans après son entrée en service, le gros bimoteur russe reste toujours aussi impressionnant et difficile à contrer en vol. « Le Rafale est extrêmement manœuvrant, mais en combat à vue, quand on se frotte à un avion qui pousse plus, qui emporte plus de pétrole et qui offre à son pilote la poussée vectorielle et le viseur de casque, ça devient forcément plus compliqué., note un capitaine du détachement français. On a toujours une bonne carte à jouer au début de l’engagement, mais quand le combat s’installe, si on ne parvient pas exploiter une erreur de placement de l’adversaire, ce n’est pas simple, il faut être lucide… »

La manœuvrabilité du Sukhoi est d’autant plus réelle que l’avion n’est jamais vu avec des réservoirs extérieurs en raison de sa très grande capacité d’emport en carburant. Quand il est donc « en lisse », et même avec des pleins partiels pour des missions courtes, le Sukhoi peut faire peur à beaucoup de monde. « L’utilisation de la poussée vectorielle est reconnaissable de loin, on se rend compte que l’avion bouge de façon anormale note un pilote français. D’ailleurs l’avion se voit de très loin parce qu’il est imposant. En revanche ses réacteurs « fument » moins que ceux du MiG29 ».

De leur côté, les Rafale français n’ont jamais travaillé en lisse : ils sont partis de France en configuration A30 (trois réservoirs extérieurs supersoniques de 1.250 litres) et sont restés tels quels pendant tout l’exercice. « Cette configuration nous handicapait pour le combat à vue., reconnait le Cdt C., mais les vrais enseignements de l’exercice se font à l’occasion du combat BVR et dans ce cas-là, la configuration A30 prend toute sa raison d’être. Elle nous donne une excellente autonomie et elle préserve la capacité d’emport en missiles tout en nous laissant passer supersonique quand nous le voulons, notamment pour un tir… »

Dans ce cadre-là, les Rafale disposent en temps normal de deux solides atouts avec le Meteor à longue portée et les MICA EM et IR à courte et moyenne portée. Les Indiens ne disposant pas d’un équivalent au Meteor, celui-ci n’a donc pas été joué par les pilotes français pour ne pas déséquilibrer les échanges.

Un large usage simulé du MICA a été fait en revanche, avec semble-t-il, un certain trouble des pilotes de Sukhoi face à la version IR offrant un guidage terminal infrarouge sur un tir à longue portée. Du côté indien, les pilotes de Sukhoi ont expliqué à leurs collègues français qu’ils simulaient l’emploi de « missiles indiens », sans plus de précisions.

Le muscle du Sukhoi, ses deux réacteurs Saturn AL-31, un peu plus de 12 tonnes de poussée par moteur avec en outre l’atout de la poussée vectorielle. © Frédéric Lert/Aerobuzz

En matière tactique, les Indiens sont jugés très disciplinés, avec une très forte hiérarchie, héritage de la proximité avec l’Union Soviétique qui a jeté les bases de l’aviation moderne dans le pays. En témoigne les échanges intenses avec les contrôleurs d’interception installés dans un Embraer 145, transformé en avion radar, et qui jouent un rôle de premier plan dans les missions air-air.

Dans la culture otanienne, le pilote de combat mène lui-même sa réflexion tactique en utilisant les informations fournies par les contrôleurs placés à sa disposition. Inversement, dans l’ancien système soviétique dont l’Inde reste encore imprégnée, c’est au contrôleur de mener l’interception en donnant des instructions aux pilotes.

Revers de la médaille, une prise d’initiative moindre et des pilotes moins enclins à s’engager dans le plan vertical. La zone d’exercice de Garuda, placée à la verticale de Jodhpur, offrait pourtant un vaste domaine d’évolution avec un plancher à 4.000 pieds et un plafond au niveau 460 (46.000 pieds). Mais la force aérienne indienne n’en fait pas mystère, son souhait est de multiplier les échanges avec ses partenaires pour progresser vers un fonctionnement plus occidental qui a fait ses preuves sur tous les théâtres d’opération.

L’impact du Rafale sur l’aviation de combat indienne est profond, l’avion français favorisant l’émergence et la culture d’un combat aérien « à l’occidentale ». © Frédéric Lert/Aerobuzz

En témoigne pendant Garuda des débriefings jugés « très constructifs et francs » par les pilotes français : « Les Indiens sont ouverts et on arrive en règle générale à des conclusions identiques quand on examine ensemble le déroulement d’un combat ».

Cette volonté d’aller de l’avant est aujourd’hui confortée par l’entrée en service du Rafale, dont la panoplie de capteurs et la fusion de données donnent au pilote une meilleure connaissance de son environnement tactique, et partant une plus grande capacité d’initiative. « Nous avons clairement vu que les pilotes indiens de Rafale ont des méthodes de travail différentes de celles de leurs collègues évoluant sur Sukhoi » explique le Cdt C. « Le commandant d’escadron de Rafale indiens, qui a été formé en France, a réussi à transmettre et à faire vivre dans son unité les bonnes pratiques apprises chez nous sur l’emploi de l’avion ».

Un signe de plus qu’une véritable révolution Rafale est en marche en Inde, ce que nous détaillerons dans la troisième  et dernière partie de ce reportage.

Frédéric Lert

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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