L’Armée de l’air entre en guerre contre le coronavirus

Le MRTT Phénix monte au front. L’Armée de l’air a engagé (18 mars 2020) pour la première fois un Airbus A330 MRTT Phénix dans des évacuations sanitaires (Evasan) de patients infectés par le Covid-19. Dans le même temps, les expérimentations s’intensifient pour donner des capacités sanitaires à un plus grand nombre d’appareils militaires. Notamment l’A400M. Le Coronavirus devrait accélérer leur mise en œuvre et permettre d’affiner les procédures.

Hier 18 mars 2020, un Airbus A330 Phénix de l’Armée de l’air équipé de modules MORPHEE (Module de Réanimation pour Patients à Hautes Elongation d’Evacuation) a donc transporté 6 patients infectés par le coronavirus entre Bâle-Mulhouse et le sud de la France. Les médias ont souligné à juste titre qu’il s’agissait alors du premier emploi de l’appareil dans cette configuration sur le territoire national. D’autres missions sont prévues dans les jours à venir.

La conception du module Morphée avait été lancée en 2002, après l’attentat de Karachi au Pakistan. Le rapatriement en France d’une douzaine de blessés avait alors été assuré par l’Airbus sanitaire de la Luftwaffe, révélant une lacune française. Depuis sa mise en service en 2008 et jusqu’à hier, une poignée de missions ont été réalisées avec les modules Morphée depuis le Kosovo et l’Afghanistan. Toutes ont été le fait de C-135FR pour lesquels les équipements avaient été initialement conçus.

Un seul avion Morphée pour le moment

L’entrée en service de l’A330 Phénix au sein de la 31^ème escadre de ravitaillement et de transport stratégiques donne une toute autre dimension aux capacités Evasan de l’Armée de l’air, même si pour l’instant seul le premier avion livré en 2018 est qualifié pour cette mission. Le deuxième avion, arrivé à Istres l’été 2019, ne l’est pas encore.

Le Phénix peut être configuré de deux manières : la première, dite CM30, permet de transporter 30 blessés dont l’état est stabilisé. Six sont installés sur des stations LCS (Light Care Station – soins légers) et quatre sur des ICS (Intensive Care Station – soins intensifs). Jusqu’à dix équipements électriques peuvent être branchés sur chacune de ces dernières. Les 20 autres blessés disposent de simples brancards installés contre la paroi du fuselage.

L’autre configuration est liée à l’utilisation des modules Morphée désormais bien connus de la France entière. Chaque module ou « kit » est pratiquement une salle d’opération à lui tout seul, offrant une capacité médicale encore supérieure aux ICS, avec par exemple la capacité d’intervenir sur le patient pendant le vol. Huit ensembles peuvent prendre place dans un C-135FR, le Phénix peut en accueillir dix.

Un cas de figure nouveau

Dans le Phénix reliant Mulhouse à Istres se trouvaient donc six patients entourés de douze médecins et infirmiers : 4 médecins du Service de Santé des Armées (SSA) dont deux anesthésistes réanimateurs, 5 infirmiers du SSA dont trois anesthésistes, deux infirmiers convoyeurs de l’armée de l’air et enfin un spécialiste de l’Armée de l’air. L’équipage de l’avion était quant à lui composé de six personnes, pilotes et personnel de cabine. Tous, y compris les pilotes, étaient équipés d’équipements de protection, masque et gants, au même titre que l’équipe médicale.

Il faut toutefois noter que le concept d’emploi des avions médicalisés de l’Armée de l’air a jusqu’à présent porté sur le rapatriement de grands blessés par balle ou explosif, pas sur le transport de personnes hautement contagieuses. Dans ce dernier cas, il devient indispensable de décontaminer l’appareil après chaque vol.

Nécessité d’intégrer des procédures de décontamination

Si l’avion doit être affecté plusieurs jours de suite et exclusivement à cette mission d’évacuation, on conçoit que la décontamination puisse être relativement rapide. Mais si l’avion doit faire preuve de versatilité et alterner évacuations, entrainement, transport stratégique et/ou ravitaillement en vol, l’histoire est toute autre. Il serait alors là question de plus d’une journée de travail pour assurer la décontamination totale de l’avion.

Un sérieux casse –tête en perspective pour l’Armée de l’air qui doit en parallèle, et avec une flotte très réduite, appuyer les opérations dans le Sahel, et assurer la posture d’alerte nucléaire. D’autant qu’au-delà du Phénix, un C-135FR est également tenu en alerte ces jours-ci pour réaliser lui aussi des évacuations sur le territoire national.

D’autres possibilités aéroportées

Outre les ravitailleurs, quatre Falcon de l’Escadron de Transport ET60 (deux Falcon 2000LX et deux 7X) pourraient également être engagés dans les évacuations, mais avec bien entendu des capacités beaucoup plus limitées. Et les avions de transport, Casa 235, C-130, C-160 et autres A400M ?

Les Casa 235 peuvent recevoir des équipements médicaux leur offrant une certaine capacité Evasan. Un avion, surnommé « Casa Nurse », est en permanence affecté à l’opération Barkhane dans le Sahel. Les appareils basés dans les territoires d’Outre-Mer ont également la possibilité d’être configurés pour les évacuations sanitaires.

Pour les autres appareils, des développements sont en cours au CEAM (centre d’expertise aérienne militaire). Un module aérotransportable pouvant être installé dans la soute des avions de transport et même dans la cabine de l’hélicoptère Caracal est actuellement en expérimentation. Les études, qui ont débuté il y a plusieurs mois déjà, sont maintenant devenues prioritaires.

Le CEAM travaille également sur l’adaptation d’autres équipements sanitaires sur la flotte d’avions de transport pour offrir plus de flexibilité à l’Armée de l’air.

D’autres emplois pour l’arme aérienne ?

Au-delà du transport de patients contaminés, l’Armée de l’air travaille-t-elle sur d’autres missions dans le cadre de la crise sanitaire actuelle ? Transport logistique, déplacement de militaires ? Pas pour l’instant explique-t-on au ministère des armées.

Mais comme la guerre est déclarée contre le coronavirus par le chef des armées, il serait raisonnable de penser que différents scénarios sont étudiés par le CPCO (Centre de Planification et de Conduite des Opérations). Installé dans les sous-sols du « Balardgone » le CPCO a traditionnellement la main sur les opérations militaires et les Opex et c’est bien lui, ce n’est pas un hasard, qui est également à la manœuvre pour les missions Evasan que l’on connaît maintenant sur le territoire national.

Frédéric Lert