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Défense

Le CMV-22 se prend une paire de claques

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Frédéric Lert

Un rapport du DOT-E (Director of Operational Test and Evaluation) américain pointe les insuffisances du convertible de Bell Boeing dans sa version destinée à l’US Navy. Un vrai problème pour les marins américains.

Dans sa version CMV-22, le convertible américain doit remplacer les derniers avions cargo C-2A Greyhound dont le rôle est d’assurer la liaison entre les porte-avions et la terre. C’est ce que la Navy appelle la mission COD, pour Carrier Onboard Delivery.  Le C-2A est un dérivé de l’avion radar E-2 Hawkeye : le radar et les équipements électroniques ont été débarqués et le fin fuselage a été remplacé par une soute généreusement dimensionnée (24m3). L’Alezan est devenu un percheron, moyennant quoi le Greyhound peut transporter 26 passagers ou 4,5 tonnes de fret.

Cédant aux sirènes de la sophistication, l’US Navy a décidé en 2015 de remplacer ce solide tâcheron par  le CVM-22, une version spéciale du V-22 de Bell-Boeing. Le CVM se distingue du V-22 essentiellement par une capacité en carburant très augmentée et des équipements de communications plus puissants.

Avec sa capacité à décoller et apponter sur de très faibles distances, ou même à la verticale si sa masse le permet, le CVM-22 peut non seulement desservir les porte-avions, mais aussi une large gamme de navires de la marine. Le convertible a été commandé à 48 exemplaires et il est entré en service avec une première capacité opérationnelle en décembre 2021.Il a ensuite connu son premier déploiement l’année suivante. Mais la pleine capacité opérationnelle, qui était attendue pour 2023, est à présent repoussée à cette année.

Tout cela est très bien, sauf que l’appareil n’est pas exempt de défauts. Certains étaient connus de longue date, mais la parution du rapport d’activité 2023 du DOT-E en remet une couche bien épaisse. Dans son rapport, l’organisme de test conclut en toute simplicité que l’appareil n’est pas « operationaly suitable » (opérationnel) en raison des déboires enregistrés avec de nombreux équipements, d’une disponibilité insuffisante et d’une maintenance préventive trop contraignante. Particulièrement pointé du doigt, le système d’anti-givrage qui compterait pour près de la moitié des problèmes rencontrés. Le rapport du DOT-E ne s’intéresse pas à la question de l’adaptation de l’appareil à la mission, ce n’est pas son propos. Mais cela reste une question de fond pour l’US Navy qui a pris un risque en optant pour le convertible en lieu et place d’un appareil traditionnel. Le problème majeur du V-22 est qu’il a toujours été trop lourd à vide, si bien que pour respecter les exigences de vitesse et d’autonomie, il a fallu l’alléger lors de sa conception. Et c’est la pressurisation qui a été sacrifiée. Dommage pour un appareil censé voler vite et haut en croisière pour aller plus vite et plus loin que les hélicoptères. C’est un handicap majeur pour la Navy qui doit envoyer ses COD à plusieurs centaines de kilomètres en pleine mer.  Faute de pouvoir grimper, le CVM-22 doit endurer la météo comme pendant la bataille du Pacifique, sauf à donner de l’oxygène en bouteille aux passagers et à l’équipage… C’est une situation d’autant plus inconfortable que le CVM-22 rencontre donc les problèmes d’anti-givrage soulignés par le DOT-E. Autre problème de fond, les dimensions étriquées de sa soute alors que les volumes et masses des équipements ne cessent d’augmenter de génération en génération. C’est ainsi que le réacteur F135 du F-35 entre au chausse pied dans la soute du CVM-22, et encore sans son caisson de transport. Certes ce moteur ne passe pas dans un Greyhound, dont la soute est pourtant plus volumineuse. Mais le Greyhound a l’excuse d’avoir été conçu à la fin des années 1950…

L’US Navy peut toutefois se consoler : depuis le 6 décembre dernier et l’accident d’un appareil au large du Japon, tous les V-22 sont arrêtés de vol. Egalement cloués au sol, les CVM-22 ne font plus étalage de leurs insuffisances. En attendant, les 15 derniers Greyhound encore en service sont au four et au moulin. Le retrait de service des derniers appareils est prévu pour 2026 et à partir de cette date l’US Navy travaillera sans filet.

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

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  • A la lecture de cet article, d'un côté l'énergie dépensée, humaine, technique,, financière, pour des engins lents, repérables, vulnérables, comme ce BELL - Boeing, et de l'autre le théâtre d'opération d'Ukraine où les MIG et Sukhoi supersoniques n'osent pas pointer le bout du nez, balançant de loin leurs missiles au détriment de la précision.

    Comme si l'on produisait du matériel pour des conflits qui n'existeront plus alors que se profilent de nouveaux Seigneurs de la Guerre, les Drones - observation, espionnage, bombardement, kamikaze.- et les Missiles, tous opérant à bas coûts de la très basse altitude au vol stratosphérique hypersonique.

    Un exemple avec les deux barcasses kamikazes à deux sous qui ont envoyé au fond de l'eau deux vaisseaux de guerre à milliards de roubles, chassant de la Mer Noire une des plus puissantes armadas des mers.

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