Les Forces Aériennes Stratégiques célèbrent 55 ans d’existence : 20.000 jours d’alerte ininterrompue traduisant la réussite d’un formidable pari technique et institutionnel. Avec à la clef une rigueur et un savoir-faire qui ont progressivement irrigué l’ensemble de l’Armée de l’air.
L’existence des FAS est le résultat d’une ambition nationale qui a structuré la Vème République dans bien des domaines : industrie, diplomatie, doctrine militaire etc. Les budgets étaient là, adossés à une solide volonté politique et une économie florissante. La doctrine de dissuasion nucléaire bâtie par la France est originale : avec son petit stock d’armes, le pays n’est pas dans une logique de victoire contre un adversaire nucléaire, il est simplement dans une logique de dissuasion du faible contre le fort, avec la capacité d’infliger des dommages inacceptables à celui qui voudrait s’en prendre à ses intérêts vitaux. Clef de voûte de ce raisonnement, la capacité à être crédible et à exécuter l’ordre du Président de la République le jour venu. Et c’est là qu’interviennent en 1964 les Mirage IV, les Boeing ravitailleurs et les premières bombes AN-11.
20.000 jours après la première prise d’alerte, la force aéroportée est toujours bien vivante, ayant sans cesse été modernisée. Elle fait équipe avec la force océanique stratégique, formant un ensemble « indissociable et non hiérarchisé » selon les termes officiels. La force de missiles sol-sol du plateau d’Albion a été entretemps démantelée.
Pendant que les sous-marins lanceurs d’engins rodent sous la surface de l’Atlantique, l’outil aérien s’expose et montre ses muscles, et c’est l’une de ses caractéristiques majeures : être visible. Les FAS organisent quatre fois par an des exercices Poker au cours desquels une mission de frappe nucléaire est simulée dans toute sa complexité. Alerte, décollage, très long transit, pénétration en basse altitude, simulation de tir…
L’exercice est un message urbi et orbi qui sert tout autant à entrainer les forces qu’à exposer au monde entier le savoir-faire français. Tous les 18 mois, la mission Excalibur va encore plus loin : le Poker se termine alors par un tir réel de missile ASMP-A. Mais sans sa charge militaire, bien évidemment.
Pour arriver à cette capacité opérationnelle, les FAS ont développé depuis 55 ans une rigueur et un savoir-faire qui ont progressivement irrigué l’ensemble de l’Armée de l’air. La capacité à frapper vite, loin et fort qui était la marque de fabrique du couple Mirage IV- C-135F s’est peu à peu étendue à tous les escadrons de combat.
Bien qu’ils « appartiennent » aux FAS, les Boeing et Airbus ravitailleurs sont aujourd’hui utilisés à 4% pour la mission nucléaire, les 96% restants étant consacrés aux missions conventionnelles. Cette dualité nucléaire-conventionnel est également une caractéristique des avions de bombardement : dès les années 1970, des missions secrètes de reconnaissance photo sont organisées sur l’Afrique avec les Mirage IV.
En 2003, ce sont des Mirage IV qui survolent l’Irak très haut et très vite et contribuent ainsi à réfuter les affirmations américaines sur l’existence d’armes de « destruction massive ». En Libye, au Mali puis en Syrie, les Mirage 2000N, les Rafale et les équipages des FAS prennent une part active aux opérations de bombardement.
La mise en service du ravitailleur Phénix et du missile Meteor, qui serviront l’un et l’autre aussi bien les FAS que les forces conventionnelles, renforce encore cette osmose. Rappelons à ce propos qu’avec la mise en service du Phénix, c’est également l’activité du transport stratégique, jusqu’à aujourd’hui confiée aux Airbus A310 et A340 de l’Esterel, qui tombe dans l’escarcelle des FAS.
En 2019, les FAS héritent de décisions stratégiques prises il y a dix ou vingt ans et disposent donc d’outils modernes qui les placent en bonne position pour affronter le temps présent et le futur proche. Mais sur le long terme ?
Fiable (21 tirs à ce jour, tous réussis) et performant, l’ASMP-A emporte tous les suffrages. Le missile à statoréacteur a pesé lourd dans le développement des autres gammes de missiles chez MBDA. L’expérience accumulée sera également essentielle pour le développement d’une future famille d’engins hypersoniques.
Le Rafale va continuer à évoluer pendant plusieurs décennies : alors que le standard F3R entre tout juste en service, le développement du standard F4 est déjà lancé et on peut d’ores et déjà imaginer de futurs standards F5 autour de 2030, puis les F6 et pourquoi pas F7. Au rythme d’une itération par décennie, le Rafale pourrait ainsi rester dans les forces jusqu’en 2060 et peut-être au-delà, scénario envisagé sereinement au ministère des armées. Quant à l’Airbus « Phénix », définit comme un « game changer » par l’Armée de l’air, il devrait durer lui aussi très largement au delà de la première moitié du 21ème siècle…
Mais avant d’en arriver là, les FAS se préparent à leur prochaine échéance, 2025, qui sera marquée par une avancée majeure en terme de connectivité pour gagner un ascendant « informationnel » sur l’adversaire. Le Rafale sera alors équipé de communications satellitaires, les Phénix joueront un rôle essentiel de relais d’informations et la mission nucléaire sera appuyée par des avions spécialisés dans le recueil électronique, les Falcon 8X « Archange ».
Le combat « collaboratif et connecté » qui pourra alors se mettre en place sera une première étape vers le futur SCAF et sa pièce centrale, le « New Generation Fighter » (NGF). Ce dernier est attendu autour de 2040 et sera originellement conçu pour mettre en œuvre l’arme nucléaire.
Quand on demande au commandement des FAS ce qu’il pense de ce programme, de la coopération avec l’Allemagne et du fait que le futur de la dissuasion française serait donc tributaire d’un avion conçu en coopération avec un pays où les jeux d’alliance politiques font et défont les programmes, la réponse est pragmatique : « les premières annonces sur le futur démonstrateur du « New Generation Fighter » ne sont pas attendues avant 2025 ou 2026. Nous avons le temps de voir venir et nous nous reverrons dans dix ans pour en parler… »
En 1964, l’armée de l’air disposait déjà de 37 Mirage IV quand avait été formellement annoncée la première prise d’alerte nucléaire. Or le programme du bombardier biréacteur n’avait été lancé que sept ans plus tôt ! Autres temps autres mœurs…
Frédéric Lert
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c'est beau l'autosatisfaction, pour la guerre de rue que prévoie l'AA