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Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance

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Frédéric Lert

Depuis l’origine, la motorisation est le talon d’Achille du programme A400M. L’accident de Séville (9 mai 2015) qui a coûté la vie à quatre membres d’équipage d’Airbus pourrait être lié au boitier de régulation des moteurs (ECU). C’est ce que suggère une consigne (AOT) adressée, après le crash, aux opérateurs du quadrimoteur par le constructeur. Une déclaration de Marwan Lahoud (Airbus Group) met en cause l’assemblage final.


C’est un grand classique qui vire parfois au tragique : un avion en excellent état, un moteur qui tourne comme un horloge, du carburant dans les réservoirs et, malgré tout, un moteur qui s’arrête au plus mauvais moment et un avion qui tombe. Les dernières informations en provenance de Séville laissent craindre un scénario de cet acabit pour l’A400M destiné à la Turquie (MSN023), qui s’est écrasé dans un champ au cours d’un vol d’essais, peu de temps après son décollage, le 9 mai dernier. C’est du moins ce que suggère la revue américaine Aviation Week & Space Technology, en évoquant une coupure inopinée de l’alimentation en carburant de l’avion.

L’avion qui s’est écrasé était équipé d’un nouveau logiciel de commande (ECU) chargé de la gestion des réservoirs et de leur équilibrage. Ce logiciel aurait commandé la coupure de l’alimentation en carburant d’au moins trois des moteurs, qui n’auraient pu être remis en route à temps. Aviation Week évoque également un problème de gestion des réservoirs qui aurait entraîné un déséquilibre irrécupérable de l’avion.

Le conditionnel est véritablement de mise dans cette affaire, mais il n’en reste pas moins que le boitier de régulation des moteurs (ECU ou Fadec) et le logiciel qui le commande sont dans l’œil du cyclone : dans une note postérieure à l’accident, Airbus alerte les utilisateurs de l’avion sur l’ECU et leur demande d’effectuer des contrôles spécifiques et réguliers sur chaque moteur de l’avion avant le vol.

Ce n’est pas un secret, le talon d’Achille de l’A400M réside dans sa motorisation : quatre turbopropulseurs TP400-D6 de 11.000 cv chacun. L’optimiste expliquera qu’il s’agit du plus puissant turboprop occidental, une magnifique réalisation technique. Il y a en un seul TP400-D6 la puissance d’un TGV ou d’un Transall. Le bougon rappellera à contrario que la gestation de ce moteur n’a jamais été un long fleuve tranquille, qu’il a coûté fort cher à développer et, qu’en dehors de l’A400M, il y a peu de chance qu’on le retrouve sur un autre avion….

Au début des années 90, quand l’A400M n’est encore qu’un clin d’œil égrillard dans les yeux des militaires, la solution du réacteur est d’ailleurs préférée par Airbus. Le réacteur est disponible sur étagère, bien moins cher, plus fiable à puissance égale, mieux adapté aux hautes vitesses. Mais pour des raisons d’emploi tactique, notamment sur des terrains non revêtus, les militaires font le forcing pour que le turbopropulseur l’emporte. Et ils obtiennent gain de cause.

Plusieurs offres de motorisation sont alors mises en concurrence : Rolls Royce et BMW proposent le projet BR700TP, dérivé du turbofan BR715 équipant le Boeing 717. Snecma lance l’idée d’un turbopropulseur bâti autour du corps haute pression du réacteur M88-2 qui équipe le Rafale. Une proposition à laquelle se rallient l’allemand MTU, l’espagnol ITP, FiatAvio en Italie et Techspace Aero en Belgique. L’association des cinq industriels au sein du consortium Turboprop International donne naissance au projet M138. Pratt & Whitney propose quant à lui son PW120, qui est en fait l’accouplement de deux PW150 (le moteur du Dash8) sur un même arbre de transmission. L’A400 aurait donc pu être un octomoteur à quatre hélices !

Les NR700TP et M138 sont présélectionnés par Airbus. Mais pour éviter une guerre fratricide entre motoristes européens, l’avionneur exige un rapprochement entre les deux projets concurrents, ce qui donne naissance au TP400-D1, toujours bâti au tour du corps haute pression du M88. Le moteur projeté est toutefois jugé trop lourd et trop gourmand. Les motoristes sont priés de repartir d’une feuille blanche et ils aboutissent au TP400-D6 que l’on connaît aujourd’hui, fruit de la collaboration entre Safran, MTU, ITP et Rolls Royce rassemblés au sein d’EuroProp International (EPI).

D’entrée de jeu, EPI se trouve placé face à un double défi : il faut non seulement fournir la puissance, mais aussi respecter un calendrier excessivement serré : le TP400-D6 est sélectionné en mai 2003, la rotation au banc du premier moteur d’essai est prévue pour 2005 et les premiers moteurs bons de vols devront être livrés en 2007. Quatre ans pour concevoir et fabriquer un moteur pareil (et son hélice), c’est peu…

Paradoxalement, le choix de certifier le moteur va retarder et complexifier la mise au point du FADEC, qui connaitra plusieurs étapes logicielles. Une publication du groupe Safran en juin 2009 évoquera même un Fadec « inédit par sa complexité », « partiellement responsable des retards de mise au point du moteur ». Le TP400-D6 est finalement certifié en janvier 2011, mais la motorisation sera longtemps restée une pierre d’achoppement entre EPI et Airbus Military.

C’est l’intégration tardive du moteur sur le premier prototype qui retarde le premier vol. C’est aussi un problème au niveau du boitier réducteur qui prive l’avion de démonstration en vol au salon du Bourget 2011. Quatre ans plus tard, l’histoire va-t-elle se répéter ?

Frédéric Lert

Dernière Minute

Marwan Lahoud, directeur général délégué à la stratégie du groupe Airbus, a déclaré au journal allemand Handelsblatt, dans un article paru le 29 mai 2015, que l’accident de l’A400M, le 9 mai 2015, à Séville (4 morts et 2 blessés graves), était du à « un sérieux problème dans l’assemblage final« . Le constructeur a aussitôt annoncé qu’il était prématuré de tirer des conclusions tant que l’enquête des autorités espagnoles n’était pas bouclée.

L'A400M a effectué son premier vol le 11 décembre 2009
L'A400M peut voler en croisière à Mach 0,72
A400M : un Fadec « inédit par sa complexité », « partiellement responsable des retards de mise au point du moteur ».
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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
    On parle ici d'un nouveau système (ou d'un nouveau logiciel pour un système) chargé de la répartition carburant. Cela sous-entend à priori un système qui "joue" avec des vannes et/ou des pompes du circuit d'alimentation carburant des moteurs.

    Je trouve très surprenant qu'une telle nouveauté intervenant sur un circuit aussi vital ait été activée lors du premier vol de l'avion. A moins que cette activation n'ait été involontaire ?

    Condoléances aux familles et amis des victimes, et prompt rétablissement aux blessés.

  • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
    Décidément il apparaît que l'informatique à bord des avions lorsqu'elle est confrontée à un problème de capteurs ou à une situation inhabituelle, réagit de façon catastrophique. Il faut redonner aux Hommes la supériorité sur la Machine et réintroduire plus de gens convenablement formés dans les cockpits.

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      vous est il arriver de penser que les russes possèdent des turboprop de 17000cv depuis des lustres sans problème majeur. merci

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      phil, je veux bien beaucoup de choses, mais avoir 4 moteurs, et un"système", quel qu'il soit, commun aux 4, et qui peut mettre les 4 moteurs à zéro est une incommensurable connerie, vous en conviendrez ?

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      On peut toujours dire qu'avant c'etait mieux!
      Mais, on ne retient souvent du passé que ce qui a bien marché.( La Kalach...)
      Il faut avoir conscience qu'aujourd'hui l'electronique fait partie des avions et des moteur [et encore pour l'A400m on devrait parler d'ensemble propulsif : helice +moteur !].
      Désolé, mais separer l'electronique ou les logiciel du moteur ou de l'avion est aujourd'hui une heresie. Ils font partie integrante de l'avion même si cela choque les sensibilités "mecanique" et nostalgique (et j'en fait partie).
      On peut difficilement revenir en arriere, surtout dans un contexte ou les clients finaux en veulent beaucoup avec des exigences parfois divergentes ( on est loin de demander une simple Kalach!!!). Dans les annees 30, beaucoup de pilotes de chasse tres talentueux regrettait la complexité d'un train rentrant ou d'une helice a pas variable, alors nouvellement introduits. Qui aujourd'hui, envisagerait de s' en passer?

      D'ailleurs, il y a plusieurs systemes qui controlent le carburant. Un qui gere la distribution entre reservoirs et vers le moteur. Et le systeme qui controle l'ensemble propulsif et donc l'injection de carburant au niveau moteur. Ce dernier controle aussi l'helice ce qui peut etre aussi catastrophique pour l'avion. Cette derniere caracteristique explique aussi la difficulte de mise au point comparativement a un turbofan...
      Les elements laches dans la presse, laisse supposer qu'il s' agirait d'un probleme sur le systeme de controle propulsif. Et evoquerait un probleme d'assemblage que l' on pourrait interpreter comme un probleme d'installation ou de parametrage?!
      Mais il faut avoir conscience que du moment où l'on accepte que le logiciel fait partie integrante de l'avion, son installation ou son parametrage sont tout aussi important que l'assemblage d'une fixation mécanique d'une aile!

      Laissons le temps a l'enquete!

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      Arrêtons avec cette légende urbaine comme quoi les cockpits sont peuplés d'incapables qui ne dominent pas leur machine!
      Ce n' est pas généralisable.
      le comportement dangereux des logiciels en cas de perte de capteurs est du domaine des concepteurs qui pourtant essayent de réaliser des systèmes à sécurité positive (la défaillance entraine un état dit stable)
      cet A400M était piloté par un équipage d'essais dont on ne peut pas mettre en doute la formation et leur maitrise de la machine.....
      il y a simplement des cas où le temps manque pour traiter le problème et la perte de 3 moteurs au décollage est vraiment une situation très critique de ce point de vue là!

  • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
    Ce ne sont pas les moteurs qui sont en cause mais un logiciel informatique... c'est quand même bien différent non ?
    Et comme le dit Xavier tous les "premiers" de série ont essuyé les plâtres. Alors arrêtons de "supposer", "de peut-être que", "si". Attendons en silence les résultats de la commission d’enquête et là, seulement là, on pourra discuter.
    Merci.

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      ben moi, je voudrais dans tout avion (et plus encore pour les militaires), un gros bouton rouge central, type "arrêt d'urgence" de l'industrie, déconnectant toute "aide", et donnant alors la main, toute la main au cocher. Il est aujourd'hui évident, après les derniers crashes "décrochage" (tel AF447), que l'on est à un moment hors du "domaine de vol", et que alors, les aides ne sont plus que des interdictions de tout, empêchant un pilote de reprendre le contrôle de l'appareil.

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      Bien sur,la première réaction est de dire que de complexité!
      par contre, je pense qu'il il est plus difficile de gérer un A400M à 500kt à 200ft qu'une Kalachnikoff au sol!
      Les performances des machines, civiles ou militaires nécessitent de réduire la charge des pilotes pour se concentrer sur la mission d'ou les logiciels qui viennent prendre en charge la gestion fine des paramètres de 4 moteurs de 11000cv.
      D'ailleurs il n'y aurait pas de discussion sur aerobuzz sans les logiciels du Smartphone....
      le problème n' est donc absolument pas là.
      Les logiciels sont indispensables.
      La difficulté est d'assurer la qualité du logiciel dont en découle sa sécurisation avec en plus des contraintes de calendrier....
      Les logiques de production poussent parfois à la faute par omission avec des erreurs aux conséquences catastrophiques.
      Je me souviens également d'un lanceur Ariane 5 qui est allé au tapis pour une erreur de version de logiciel de sa centrale de vol.
      Rien ne sert de courir, il faut partir à point...
      Fable ignorée sciemment par tous les responsables de programme....

    • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
      mais autoriser un logiciel à planter un avion, est un concept aberrant, non ?

  • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
    "bijou technologique", "magnifique réalisation technique", "super logiciel de gestion des réservoirs"... En résumé, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Les militaires ont il besoin de cette débauche de technologie ? la réponse est non, pour un engin de transport, ils ont besoin d'un engin qui marche, point. Le succès de la Kalach, ce n'est pas ses performances, c'est qu'elle marche, quoi qu'il arrive, elle marche, dans la boue, le sable, le chaud, le froid, elle marche.

  • Les moteurs de l’A400M sous haute surveillance
    Inévitable si on veut faire les choses ensembles et réunir les moyens. Il faut toujours voir le verre à moitié plein et améliorer les choses toute en retenant les leçons, cependant !

    Même le C17 de Boeing a connu ses problèmes et quoi dire du F-22 et F-35. C'est les risques du métier aéronautique à grand projet !

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