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Industrie

Boeing en soins intensifs

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Louis Kulicka

Boeing a fait le choix de refuser l’aide du gouvernement américain pour conserver les mains libres. Il augmente de ce fait dans des proportions importantes son endettement. Les intérêts d’emprunt qui pourraient atteindre 2,4 milliards de dollars par an vont creuser d’autant ses pertes.

Les organismes affaiblis réagissent toujours moins bien lorsque confrontés à une maladie infectieuse. Tout comme la formule sanguine est  modifiée par la maladie, la crise actuelle modifie les comptes de Boeing.

Fin 2018, l’activité « avions commerciaux » représentait pour l’avionneur de Seattle près de 60% de son activité. Pour le 1er trimestre 2020, cette activité pèse à peine plus que le secteur Défense-Espace et sécurité : 6,205 Md$  pour les avions commerciaux, 6,042 Md$ pour la seconde. Du jamais vu.

Evolution de la répartition du chiffres d’affaires de Boeing

© Boeing Investors

Si l’appareil respiratoire permet de capter dans l’atmosphère l’oxygène, le cycle d’activité fournit à l’entreprise la trésorerie qui est nécessaire à son fonctionnement pour payer fournisseurs et employés. Pour le 1er trimestre, l’avionneur de Seattle n’est plus dans ce cas de figure : alors que les 3 premiers mois 2019 lui avaient fourni 2,788 milliards de dollars de liquidités (encaissements diminués des décaissements), les activités opérationnelles de Boeing lui ont coûté pour ce début d’année  4,302 Md$ de trésorerie. Boeing ne génère plus de trésorerie, il en consomme.

A ce rythme-là de consommation de 4,3 milliards de dollars tous les 3 mois, les 15 milliards de trésorerie disponibles à fin mars seront vite consommés.  Boeing va essayer de réduire cette « hémorragie » en réduisant les effectifs, ralentissant les cadences de production. Dans le meilleur des cas, son appareil productif en sortira notablement amoindri.

© Boeing Investors

Ce sont les banques qui désormais fournissent « l’assistance respiratoire », comprendre la fourniture en besoins de trésorerie pour Boeing. Entre fin 2018 et fin mars 2020, soit en 15 mois, les emprunts long terme ont explosé, passant de 10,7 milliards de dollars à 33,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 216% jamais vue dans l’histoire contemporaine de la société. Pour donner une idée, en 2017 pour toute l’année, Boeing avait seulement souscrit 2 milliards de nouveaux emprunts à long terme.  Pour les seuls 3 premiers mois de cette année  Boeing en a souscrit 17,4 milliards de dollars…

Un endettement très coûteux qui va encore affaiblir Boeing

 

Le coût moyen de la dette à long terme de Boeing ressort à 3,7 % sur les 4 dernières années. Cela a valu à l’avionneur de Seattle de payer en 2019 722 millions d’euros d’intérêts aux banques. Ces jours derniers, Boeing vient de souscrire pour 25 milliards d’obligations. Ajouté au montant à fin mars, Boeing aura une dette à long terme auprès des banques de près de 59 milliards de dollars.

Le coût moyen de la dette va augmenter. Considérons 4%. Avec 59 milliards de dette, Boeing devra payer chaque année à ses créanciers 2,4 milliards de dollars d’intérêt. Pire, si jamais la notation de l’entreprise est abaissée par les agences, le coût de ces 25 milliards d’obligation sera automatiquement revue à la hausse…

Avec un chiffre d’affaire 2020 qui sera certainement en net retrait par rapport à 2019, peut-être autour de 60 milliards de dollars, le paiement de ces intérêts va encore notablement creuser les pertes de Boeing. La capacité de l’avionneur de faire de la recherche et développement et d’investir, en un mot de dessiner son avenir vont être sérieusement mis à mal.

Boeing a refusé les aides fédérales qui lui auraient probablement moins coûté financièrement, pour des obligations afin d’éviter que l’Etat ne devienne actionnaire, ou ne lui dicte quelque ordre. Voilà assuré un sursis supplémentaire pour les actuels dirigeants de Boeing à la tête de ce géant de l’industrie américaine. Les banques quant à elles se frottent les mains.

Louis Kulicka

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Louis Kulicka

Il a commencé sa carrière aéronautique comme vélivole. Depuis une vingtaine d'années, il est aéromodéliste : il conçoit ses propres planeurs ensuite construits en matériaux composites. Ayant une formation en gestion finance, il réalise pour Aérobuzz des chroniques financières sur les constructeurs aéronautiques.

View Comments

  • Je ne pense pas que le gouvernement americain laissera Boeing perecliter. En plus, on peut penser que le secteur militaire de Boeing apportera suffisamment de resultats positifs pour eponger le secteur civil, non?

  • faudrait couper dans certain programme non performant. Exemple, le 737 MAX devrait etre mis au rancart, car le train d'atterrisage est a redessiner( pour reposition les moteur au bon endroit) se qui obligerait de développer une nouvelle aile, et le public a totalement perdue confiance dans se modele.

  • Merci pour cette analyse.
    Le montant de 4% de taux d’intérêt et donc le remboursement dû me semblent cependant trop élevés.

    • Bonjour Fred. Pour le calcul du coût de la dette historique de Boeing, j'ai pris les chiffres de la dette à long terme dans le bilan de Boeing (a priori celle impliquant le paiement d'un intérêt : "long term debt") que j'ai rapprochés des frais financiers pris dans le compte de résultat "interest and debt expense". J'ai calculé la moyenne pour les 4 dernières années : 3,7 % J'ai majoré ce taux compte tenu des taux annoncés pour la souscription des obligations par Boeing : les informations sur le sujet parlent d'un taux moyen autour de 4,5%, après négociation donc rabais.
      Si on considère que 42% de la dette de Boeing est à 4,5 % (25 milliards sur 59) et 58% à 3,7%, cela fait (0,42 * 0,045) + (0,58*0,037) = 0,04 soit un taux moyen pondéré de 4%. Le taux auquel Boeing a négocié ses nouvelles obligations embarque une prime de risque augmentée vu la notation de la dette Boeing et les risques accrus d'insolvabilité. Bien sûr il s'agit d'une approximation de ma part, mais ça permet de donner un ordre de grandeur assez cohérent. LK

  • L'agence de notation S&P, a dégradé la note de solidité financière de Boeing, signifiant que l'entreprise est susceptible de ne pas rembourser sa dette.
    En clair, Boeing est au bord de la faillite.
    Mais qui ne l'est pas aujourd'hui, du "Too big to fail" aux PME/TPE ?.

  • Merci pour cette analyse basée sur le cash flow. Il n'en demeure pas moins vrai que les demandes de Boeing auprès des banques ont été souscrites sans aucun problème :" Too big too fail "se sont elles dits et je pense qu'elles ont raison . L'administration américaine va commander massivement des équipements militaires à Boeing .
    On lit par ailleurs dans la presse spécialisée qu'en interne le "nouveau " PDG a lancé les études pour une version d'un B757 neo ++ pour concurrencer l'A321XLR qui est le problème majeur à l 'horizon 2023 en terme de produit . Cette voie serait peut être la seule cohérente avec une trésorerie effectivement très très juste . Cela m'étonne car je crois me rappeler que les outillages de production de la chaine 757 ont été mis à la casse mais je continue de penser que l'engineering de Boeing reste très performant . même si en France le Boeing bashing par des journalistes peu compétents est omni présent .Heureusement que Aerobuzz est présent. Le développement d'un B767NEO avec une nouvelle motorisation et une chaine toujours bien en place serait alors plus pertinente dans cet esprit. Dans tous les cas Boeing restera capable de sortir en 5 ans un dérivé d'avion existant à moindre cout compte tenu de sa piètre situation financière actuelle

  • Ils sont "too Big toi fail" et ils le savent. Donc autant refuser les aides conditionnels et prendre celles sans conditions qui arriveront sous chantage au licenciement plus tard

  • Merci beaucoup pour cet article, les analyses que vous faites sur la situation de Boeing avec un point de vue financier sont toujours très interessantes. Le refus de l'aide fédérale par Boeing leur permettra de licencier tranquillement les employés, mais n'est ce pas aussi un moyen de pouvoir reprendre la guerre des subventions avec Airbus qui sera potentiellement renfloué par des aides européennes ?

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