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Industrie

Boeing otage des fonds d’investissement américains

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Louis Kulicka

En 2020, Boeing a versé 1,2 milliards de dividendes à ses actionnaires en même temps qu’il affichait une perte de 12 milliards de dollars. Sur les sept dernières années, il a dégagé 22 milliards de dollars de bénéfices et distribué 61 milliards de dollars. Entre distribution de dividendes et investissement en Recherche & Développement, Boeing semble avoir choisi, avec les conséquences que l’on connait…

Entre 2014 et 2020, Airbus a dégagé 11,5 milliards de dollars de bénéfices (résultat net après impôt), et en a redistribué à ses actionnaire (dividendes + rachat d’actions) 8,5 milliards de dollars, soit à peu près 74%, ce qui peut être encore considéré comme raisonnable, d’un point de vue comptable. Boeing sur la même période a dégagé 22 milliards de bénéfice et a distribué à ses actionnaires, 61 milliards de dollars. Boeing sur la période a distribué à ses actionnaires 3 fois plus de dividendes que de richesse créée.

Boeing : distribution de dividendes

Boeing a quand même réussi « l’exploit » de payer 1,2 milliards de dollars de dividendes en 2020 à ses actionnaires, alors qu’il perdait dans le même temps 12 milliards de dollars. A la vue de ce « tableau » on se demande : comment est-ce possible, et avec quelles conséquences ?

Airbus : distribution de dividendes

L’Etat Français et l’Etat Allemand détiennent chacun 11% d’Airbus quand l’Etat Espagnol lui en a une part plus réduite de 4%. Ces trois Etats européens sont ce que l’on appelle les « actionnaires de référence ». Autrement dit, ce sont eux qui sont en mesure de faire nommer les dirigeants, et par conséquent d’influer indirectement sur la politique de l’entreprise, en « bons pères de famille », pourrait-on dire. Pour Boeing, en revanche c’est fort différent.

Les dirigeants de Boeing nommés sous l’influence des fonds d’investissement

Newport Trust and Co, Capital Research and Management Company, Vanguard Group Inc, Evercore Trust Co et SSga Funds Management inc, pour prendre les 5 premiers actionnaires qui représentent à peu près 32% du capital sont des fonds d’investissement. Ces fonds d’investissements interviennent sur le marché pour placer les sommes apportées par des clients qui aux USA sont pour beaucoup des fonds de pension, puisque là-bas n’existe pas de retraite par répartition. Et pour que les retraites soient à un niveau satisfaisant pour les retraités, il faut que la rentabilité des fonds placés soit la plus élevée possible.

Principaux actionnaires de Boeing

Cela explique bien des choses : les dirigeants de Boeing nommés sous l’influence des fonds d’investissement sont là pour faire « cracher » à l’entreprise le plus de dividendes possibles. Avec les conséquences que l’on constate depuis des années… Face à cette situation, la composition de l’actionnariat d’Airbus apparaît comme une sécurité.

Des emprunts pour payer des dividendes

Comment Boeing peut-elle mener une telle politique de distribution de dividendes, qui à l’évidence concourt à la mettre dans une situation aussi délicate ? Tout d’abord, Boeing a refusé les aides de l’Etat Américain, de façon à rester totalement libre du choix de ses décisions… Ensuite, et nous l’avons vu dans des articles précédents, Boeing s’est endettée au-delà du raisonnable. La dette de Boeing s’élève à fin mars 2021 à 58 milliards de dollars.

Cette dette a coûté à Boeing rien qu’au premier trimestre de cette année 679 millions de dollars, ce qui place l’entreprise sur une trajectoire annuelle de 2,7 milliards d’intérêts à payer chaque année aux banques. Boeing est l’amie des banquiers ! Comme Boeing ne créé plus de richesse, elle emprunte aux banquiers pour donner aux actionnaires. Cet endettement colossal se fait évidemment au détriment de la Recherche et Développement.

Alors que Boeing investissait dans ce domaine bon an mal an 3 à 3,5 milliards de dollars par an dans « les bonnes années », Boeing a investi en R&D seulement 499 millions de dollars pour le premier trimestre 2021, soit une trajectoire annuelle de 2 milliards de dollars, ce qui fait une baisse de l’ordre de 33%…. A titre de comparaison, Airbus a dépensé 744 millions de dollars en R&D sur la même période, soit 50% de plus que Boeing. On le voit, Airbus surclasse désormais nettement son concurrent sur ce registre.

Il était une fois la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales

Changeons d’époque… et revenons quelques siècles en arrière. La Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales fondée en 1602, fut l’instrument du développement de la puissance commerciale et militaire des Provinces unies, les actuels Pays-Bas. Dotée d’une véritable armée, d’une flotte considérable de bateaux commerciaux et de bateaux de guerre, elle fut la première multinationale moderne en tant que société de capitaux cotée en bourse, et probablement la ou une des plus puissantes entreprises capitalistes de tous les temps. Elle fut l’instrument du développement de l’impérialisme colonial hollandais de par le monde. 2 siècles plus tard en 1799, elle fut dissoute. Elle avait distribué beaucoup plus de dividendes qu’elle n’avait fait de profit, et était trop lourdement endettée.

Louis Kulicka en collaboration avec Yuan Laurent

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Louis Kulicka

Il a commencé sa carrière aéronautique comme vélivole. Depuis une vingtaine d'années, il est aéromodéliste : il conçoit ses propres planeurs ensuite construits en matériaux composites. Ayant une formation en gestion finance, il réalise pour Aérobuzz des chroniques financières sur les constructeurs aéronautiques.

View Comments

  • Bon, ben voilà la réponse : la NASA va développer un concept démonstrateur (appelé SFNP) !
    En gros résumé, la NASA, sur fond public, va développer le futur Single Aisle, et Boeing n'aura plus qu'à l'industrialiser, le vendre, et continuer à verser dividendes et rachats d'actions aux actionnaires.
    Elle n'est pas belle la vie ? :-)

    Nous pendant ce temps, on ne donne pas les moyens à l'ONERA

    https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-senat-s-inquiete-de-la-fragilisation-de-l-onera-recherche-aeronautique-20191205

    https://www.flightglobal.com/airframers/nasa-launches-programme-to-support-future-single-aisle-commercial-aircraft/143956.article

  • J ignorais qu on avait le droit de verser plus de dividendes qu il n y a de résultat.
    Et je comprends même pas les banques qui prêtent des milliards pour payer des dividendes.
    Après ils s etonnent de faire faillite à la première crise financière.
    Mais est ce que l etat francais fait pas ça indirectement à air france en la saignant avec les taxes d adp ? Adp entreprise publique.

  • Tant que Boeing sera tbtf et que le pentagone continuera à acheter des ravitailleurs incapable de ravitailler et des chasseurs incapable de chasser...

  • Excellente analyse qui laisse planer un énorme doute sur la pérennité du constructeur américain.
    C'est la dérive du capitalisme, et c'est très dommage !

  • Bonjour,

    Comme d'habitude une synthèse claire, nette et précise, fondée sur des chiffres.
    Je ne suis pas capable de juger de la véracité de ces derniers (et je deviens fainéant, il me faut bien l'avouer ici) mais ils me semblent tenir la route, sauf avis contraire dûment argumenté.

    Le rappel historique est des plus saisissant mais Boeing demeure une institution iconique des USA qui protègeront cette société au-delà de toute évidence économique ou industrielle, le cours de bourse en témoignant.

    Avez-vous des éléments sur le % d'investissements en recherche de Boeing consacré aux produits (militaires + espace) vs (aviation commerciale) ?

    Par ailleurs, le CA réalisé en services, formation et maintenance de l'aviation commerciale ne doit pas être neutre (qui finance les vérifications / modifications à la suite des récents problèmes électriques du 737 max ?).

    Merci pour ces informations que je ne vois pas ailleurs et en particulier pour la qualité de la rédaction.

      • @bdd13
        Hopla... C'est bien le verbe plussoyer :-)
        Bon, en fait on trouve les deux dans le "wiktionnaire".

      • Comme d'habitude, quand des intérêts comptables prennent le pouvoir, le déclin de la société est assuré...Aucune vision de l'avenir, plus de recherches etc... une vision à courte vue, car ils devraient s'apercevoir que le capital investi diminue plus vite que les soit disants dividendes distribués. A long terme une perte sèche .

      • Pour réponse à H. Chomeaux :
        Plussoir : plutôt néologisme que barbarisme, associé aux verbes du 3ème groupe.
        Mais pour le coup, c'est plutôt "je plussois".

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