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« Où va la Russie ? »

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Martin R.

A la suite de l’accident d’avion qui a coûté la vie à Christophe de Margerie, PDG de Total, lundi 20 octobre 2014, sur l’aéroport Vnokovo de Moscou, Jacques Villain de l’Académie de l’Air et de l’Espace, revient sur ce qu’il nomme, « la longue liste des accidents et catastrophes russes qui ne cesse de s’allonger depuis des années. »


Une nouvelle fois, la Russie est en proie aux catastrophes, en l’occurrence le crash, sur l’aéroport de Moscou, de l’avion du Président de la société Total et la mort de ses quatre occupants. La responsabilité de ce drame incombe à l’état d’ivresse du conducteur d’une déneigeuse. Il s’inscrit dans la longue liste des accidents et catastrophes russes qui ne cesse de s’allonger depuis des années, la dernière étant celle de l’échec, en août dernier, du lancement des satellites européens Galileo. Retour sur ces drames.

Si l’on en croît les conclusions de l’enquête Galileo, une lacune de définition de la propulsion du dernier étage serait à l’origine de l’échec de la mise sur orbite des deux satellites, le 22 août dernier. Un mois après cet échec, c’est un panneau solaire qui ne s’est pas déployé sur un vaisseau Soyouz emportant trois spationautes vers l’l’ISS.

L’industrie spatiale russe se trouve, une nouvelle fois, face à un échec. En effet, depuis un peu plus de quatre ans, le nombre des échecs des lancements russes est de douze parmi les lanceurs Soyouz, Proton et Zenit abaissant le taux de réussite global à 92%. Pour le Soyouz/Fregat, néanmoins plus fiable que le Proton ce taux est de 93%. Cette baisse de la fiabilité devient une faiblesse russe tant le marché commercial des lancements ne peut se contenter d’un taux aussi faible. C’est d’autant plus inquiétant pour l’espace européen qui utilise le lanceur russe lancé à partir de Kourou. Face à la concurrence mondiale, de tels taux de fiabilité ne sont pas compétitifs.

Sont pointées du doigt, par les responsables russes eux-mêmes, depuis plusieurs années la mauvaise qualité des fabrications et les erreurs humaines. En avril 2011, Vladimir Poutine avait limogé le patron de l’agence spatiale russe et quelques autres responsables et ordonné d’améliorer la qualité des fabrications. Il s’est vite avéré que le changement de patron n’était pas suffisant tant le mal est profond. Pour preuve, le 8 novembre 2011, le lancement de la sonde martienne Phobos-Grunt est un nouvel échec comme la dernière tentative faite en 1996 vers Mars, ce qui a déclenché la colère du Président Medvewww. Dans le cas du Soyouz/Fregat de Galileo, les enquêteurs ont trouvé la même erreur sur dix étages Fregat en production chez Lavotchkine.

Mais l’espace n’est pas le seul domaine concerné par ces défaillances. La plus emblématique est le naufrage du sous-marin nucléaire Koursk intervenu en 2000 qui a fait 118 morts. Mais ce n’est pas le seul. Depuis la fin de la guerre froide, une douzaine d’autres sous-marins nucléaires ont sombré ou ont eu des accidents entraînant des dizaines de morts. On ne peut hélas pas limiter cette remarque aux seuls sous-marins car les accidents se poursuivent également dans les installations nucléaires à terre. A titre d’exemple, le 6 avril 1993, dans la ville de Tomsk-7 rebaptisée Seversk, ville où, au temps de l’URSS, existait cinq réacteurs nucléaires de production militaire, une réaction chimique s’emballe dans une cuve d’une usine de retraitement contenant 8.773 kg d’uranium et environ 310 kg de plutonium. Il s’ensuit une explosion qui souffle les murs et deux étages du bâtiment et un incendie. Un nuage radioactif se répand dans l’atmosphère et passe au-dessus de la Suède quelques jours plus tard. Immédiatement après l’explosion, on détecte un niveau de rayonnement gamma vingt fois supérieur à la valeur acceptable. Deux techniciens de l’usine sont irradiés. Quant à la population des alentours qui a subi une partie des retombées du nuage radioactif, aucune statistique n’a été publiée. Seversk/Tomsk-7 n’est pas la seule installation à avoir connu des malheurs. Le 18 juin 1997, dans le centre nucléaire d’Arzamas-16 rebaptisé Sarov, une erreur de manipulation d’un technicien provoque une irradiation à laquelle il succombe peu de temps après. C’est aussi le fameux centre Maïak de Tcheliabinsk, victime de plusieurs drames au temps de l’URSS qui a vu, au moins, une demi-douzaine de fuites radioactives entre 1994 et 2007. En mai 2011, le brise-glace Taïmyr, premier navire à propulsion nucléaire conçu pour la navigation sur les fleuves du grand nord sibérien, alors qu’il était en opération sur l’Ienisseï, est victime d’une fuite radioactive. Rosatomflot, l’agence fédérale de la flotte nucléaire, indiquait que l’incident avait pour cause une erreur de montage voire des matériaux défectueux !

L’explosion accidentelle de dépôts de munitions est d’une grande banalité en Russie. Certaines, comme celle du 14 mai 1992, ont été effrayantes. Ce jour-là, un dépôt de munitions de la Flotte du Pacifique à Vladivostok prend feu. Des explosions se succèdent pendant plusieurs jours. Vingt hangars ainsi que 1.115 wagons de munitions explosent les uns après les autres. Dix mille personnes sont évacuées. Le bilan officiel est de cinq morts.

En trois ans, de 2008 à la mi-2013, il y eut au moins dix-huit explosions de dépôts de munitions, deux en 2008, trois en 2009, six en 2010, quatre en 2011, deux en 2012 et une en juin 2013 occasionnant la mort de trente-six personnes et en en blessant 150 autres avec des centaines de millions de roubles de pertes. En sept mois, trois explosions sont intervenues dans le même dépôt de munitions d’Oulianovsk situé à 700 km à l’est de Moscou laissant penser que les leçons de la première explosion n’ont guère été tirées.

Du côté des missiles balistiques, un constat similaire peut être fait. Depuis 2003, la marine russe tente de mettre au point un nouveau missile stratégique lancé de sous-marin, le Boulava, mais sur dix-sept essais, près de la moitié sont des échecs ce qui dénote une moins bonne maîtrise de la technique qu’à l’époque de l’URSS.

Mais, les catastrophes ne concernent pas que le secteur militaire. En juin 2011, le naufrage d’un bateau de croisière sur la Volga a fait 120 morts. Vladimir Poutine, venu sur les lieux, déclarait : « Il est horrible que l’irresponsabilité, la cupidité et la violation grossière des principes de sécurité élémentaires soient le prix que nous devons payer. »

L’aviation commerciale n’échappe pas à l’hécatombe. Entre juin 2011 et décembre 2013, huit avions se sont écrasés provoquant la mort de 203 personnes. Entre 2004 et 2013, ce sont 810 morts qu’il faut déplorer. Dans tous ces cas, il s’agissait d’avions vieillissants mis en service à l’époque soviétique. Néanmoins, la vétusté n’explique pas tout.

Le 18 décembre 2011, c’est une plateforme pétrolière qui sombre en mer d’Okhotsk en Extrême-Orient russe faisant 16 morts et 37 disparus. Soupçonnant des violations des règles de sécurité, les autorités russes ont lancé une enquête.

Ces catastrophes qui interviennent actuellement en Russie tant dans le domaine civil que militaire prolongent la longue liste de celles apparues pendant plus de soixante ans en Union soviétique et qui ont été passées sous silence par le gouvernement soviétique. Mais, outre les drames humains générés par les catastrophes d’aujourd’hui, ce sont les causes qui inquiètent car elles ne différent guère de celles d’hier en Union soviétique : défauts de conception, manque de qualité des matériels, défauts de maintenance, non respect des règles et procédures, irresponsabilité et incompétence des hommes à tous les niveaux. La culture et les méthodes industrielles sont aussi concernées. Et les conséquences sont évidemment plus graves lorsqu’il s’agit de matériels nucléaires comme le montre le bilan que l’on peut faire de la guerre froide. Dans la grande majorité des accidents, la responsabilité des hommes eux-mêmes est engagée et c’est bien ce que dénonçait le ministre de la Défense russe Sergueï Ivanov à propos de l’accident du sous-marin K-159 en 2003: «Une fois encore, nous avons vu le retour d’une vieille habitude russe de s’en remettre uniquement à la chance, d’espérer que tout va bien se passer au final». Ces avertissements au plus haut niveau de l’état ne semblaient guère avoir été entendus puisqu’en décembre 2011, un nouvel accident arrivait : un incendie se déclarait dans un sous-marin nucléaire en cale sèche suite à une opération de soudage alors que toutes les armes nucléaires étaient à bord !

Si ces manques n’ont pas eu de conséquences trop dramatiques au cours des dernières années, peut-on être sûrs qu’il en sera de même dans l’avenir ? La Russie, héritière de l’URSS, a une culture et des méthodes de travail qui ont peu changé avec la rupture politique de 1991. Et il faudra de nombreuses années avant que l’état d’esprit forgé par 70 ans de communisme soviétique face place à plus de responsabilité des individus et des organisations. Ce pays possède aussi des installations vieillissantes et souvent mal conçues dès l’origine si l’on prend l’exemple des réacteurs de type Tchernobyl dont certains ont été construits dans les années 1950 et dont la maintenance souffre souvent d’un manque de crédits. Encore que sous la pression et l’aide occidentales, une amélioration est à noter. Le risque de voir poindre de nouvelles catastrophes et notamment nucléaires existe donc. Cette inquiétude qui transparaît dans le pays inquiète aussi les riverains de la Russie comme les pays scandinaves. La catastrophe de Tchernobyl a aussi rappelé que l’Allemagne, la France et les pays de l’ouest de l’Europe pouvaient se retrouver aux premières loges. C’est un problème qui dépasse la seule Russie. Car tout problème nucléaire majeur est par définition planétaire.

Jacques Villain Jacques Villain est l’auteur du livre Le livre noir du nucléaire militaire. Fayard/octobre 2014
Académie de l’Air et de l’Espace

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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  • « Où va la Russie ? »
    "La responsabilité de ce drame incombe à l’état d’ivresse du conducteur d’une déneigeuse."

    Ha vous faites partie du BEA Russe ? Visiblement la vérité n'est pas si simple.

    Article très moyen dans son ensemble. J'ai été surpris de lire ça sur Aerobuzz

  • « Où va la Russie ? »
    Le taux élevé d'accidents dans l'aviation commerciale Russe n'est pas un fait nouveau, mais qui date déja de l'ex URSS , du temps de l'ex compagnie nationale Aeroflot , en notant quand meme qu'a cette époque déja ancienne , elle transportait 120 millions de passagers par an et plus de 3 millions de tonnes de fret,ce qui en faisait et de loin la num 1 mondiale;La population Russe prenait l'avion comme on prends le bus ,souvent dans des régions reculées et isolées dans des appareils rustiques; Mais bon il est vrai que ces dernières années, ce pays avec les ex républiques Socialistes presente le taux d'accident le plus élevé dans le monde avec le continent Africain

  • « Où va la Russie ? »
    ne pensez-vous pas que le véritable responsable est l' EASA qui a fait démonter le dispositif spécial ( radar ) qui permet de voir sur les piste, mâme par mauvaise visibilité, cet avion en état équipé lorsqu'il était au US, et l' EASA l' a fait déposé pour le faire immatriculer en France...faudra t-il voler uniquement sur des appareil immatriculés US pour avoir droit à la sécurité que l'on est en droit d' avoir
    selon le journal " le point " , il n' y avait , non pas, une déneigeuse, mais deux...et si le pilote aurait vu et évité la première, il n'en a pas été de même avec la deuxième, le tout sur une piste humide, mais sans neige,
    dans ces conditions, on peut se poser beaucoup de questions, cela fait rappeler l' accident du patron de l' ENI, ( pétrole Italien ) il y a quelques années
    il est certains que quelques fusibles vont sauter, mais ce ne sera pas ceux qui tirent les ficelles.
    on peut aussi se poser des questions sur l' immatriculation française de cet avion, qui avait une partie de sa carrière aux US, il avait été racheté par un groupe pharmaceutique qui le louait à Unijet lorsqu'il n' en avait pas l' utilisation.
    on peut aussi se poser la question pourquoi Total, groupe international, n' est pas le propriétaire d'un avion pour ses dirigeants, et l' immatriculer aux states dont on sait que la réglementation FAA est plus souple , et surtout suit plus rapidement les progres technologiques , sans tergiverser pendant 10 ans !
    avec ce dispositif, tout porte à croire que l' accident aurait pu être évité...il permet même de voir un débris sur la piste..vous vous rappelez le concorde !
    sur ce type d' appareil appelé à voler comme les grands, mais en utilisant des pistes qui ne bénéficient du suivi maximum, ce dispositif est un plus incontestable.

  • « Où va la Russie ? »
    Ce sont des réactions immédiates, émotionnelles. Mais le texte de Jacques Villain est factuel et, dans les heures qui ont suivi la catastrophe, les autorités locales ont pris des mesures sévères, à commencer par le départ du directeur de l'aéroport. Sans attendre la fin de l'enquête, les manquements sautent aux yeux.
    Pierre Sparaco

    • « Où va la Russie ? »
      C'est justement ce que l'on est en droit de reprocher, les réactions immédiates et émotionnelles. On attend de journalistes professionnels de la neutralité, et qu'ils mesurent leurs propos, un travail d'analyse. Si c'est pour refaire du TF1/LCI ou le Monde, alors autant que l'on lise directement ces caricatures de journalisme, plutôt que d'en avoir un plagiat ici.

      On pourrait considérer le texte de Monsieur Villain comme factuel s'ils se basait sur des faits précis et documentés, pas avec l'espèce de bouillie aigre qu'il nous a servie.

      En ce qui concerne le Falcon à Moscou, les manquements sont évidents, ils auraient pu se produire ailleurs, de tels événements se sont produits ailleurs et il y en aura sans doute malheureusement d'autres, car c'est le propre de l'humain de faire des c*nneries, que ce soit en Russie ou partout dans le monde.

      Dans le cas de Moscou, les responsables ont été punis, et d'autres vont sans doute suivre - ce qui n'a pas été le cas de bien d'autres accidents (AF-447, Concorde, Asiana, etc.) qu'attendez vous de plus au juste ?

  • « Où va la Russie ? »
    Souvenez-vous d'un reportage fait sur le contrôle aérien en Urss il y une bonne quinzaine d'années sur la 2(à vérifier).est-il toujours d'actualité?

  • « Où va la Russie ? »
    Monsieur Villain, un mot juste pour vous rappeller qu’il faut attendre les résultats de l’enquête en cours avant de jeter les dénigrements gratuits sur la Grande Russie. Sans entrer dans la polémique des incidences diverses, je suppose que votre article ne reflète que vos propres pensées hâtives.
    Pour cet accident GRAVE, je pense que votre article n’est pas digne d’un ancien responsable SAFRAN et encore moins un Académicien de l’Air et de l’Espace.

  • « Où va la Russie ? »
    Je rejoins les commentaires de Vladimir Krementzoff qui à juste titre soulève le parti-pris de l'auteur de cet article, qui vise délibérément à montrer du doigt un régime poste soviétique. Or, les difficultés et les responsabilités rencontrés dans cet aéroport de Moscou lors du crash du jet privé ne sont pas encore établies par l'enquête. L'article de Mr Villain ne prend pas en compte les autres incidents de centrales nucléaires et sous-marins dans le monde. Or un travail de journaliste ou d'expert, doit faire émerger les questions de toutes parts, et non d'un seul point de vue. Il y a là un manque de neutralité évidente. Soyons sérieux et évitons de conclure un peu vite sur une liste d'incidents exclusivement "Russe". Cela ressemble à de la propagande....

  • « Où va la Russie ? »
    N'est-il pas étrange qu'une déneigeuse se trouve sur une piste totalement sèche, sur un aéroport où (les images télévisiées en attestent !) il n'y a aucune trace de neige ?
    Les seules traces de neige visibles (neiges carboniques) sont SUR les débris de l'avion et ne sont donc que celles produites par les extincteurs utilisés pour arrêter l'incendie provoqué par cet accident.
    Vous ne trouvez pas étrange, à l'heure où un bras de fer entre la Russie, Les USA et l'Arabie Saoudite met la Russie dans une situation économique dramatique, que le PDG d'une des plus importantes société pétrolières (qui, par ailleurs, possède de sérieux intérêts en Russie) disparaisse "fortuitement" dans un tel accident ?
    Est-ce vraiment un accident ? Car l'empressement des autorités à pointer du doigt un employé de l'aéroport prétendûment ivre paraît vraiment suspect, dans de telles circonstances.
    Tout cela n'est pas clair. Pas clair du tout. Voire très suspect !

  • « Où va la Russie ? »
    C'est un meurtre, juste un meurtre organisé par la Mafia du pétrole russe, dans les plus hautes sphères de l'état, tout en haut, oui, Oui, OUI.
    Il est impossible de faire des affaires en Russie, sans risquer sa vie.

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