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Industrie

Pour comprendre pourquoi le Boeing 737 MAX n’est toujours pas autorisé à reprendre du service

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Thierry Dubois

Plus d’un an que le Boeing 737 MAX est cloué au sol. Malgré la crise du Covid-19, l’avionneur poursuit les essais afin de faire homologuer la modification du système MCAS de contrôle automatisé de l’assiette. D’autres problèmes techniques se sont fait jour. A plus long terme, Boeing et la FAA doivent regagner la confiance des élus étasuniens… et au-delà.

Le directeur général de Boeing, David Calhoun, vise toujours un retour en service à la mi-2020. Des 737 MAX équipés du logiciel modifié ont accompli « plus de 1.200 vols pour une durée totale supérieure à 2.200 heures », indique une porte-parole. Des avions des trois versions, 737-7, -8 et -9, participent.

Récemment, Boeing a procédé à des vols « en conditions d’exploitation commerciale ». Les pilotes ont rallié différents aéroports aux États-Unis avec un -8 et un -9. Un équipage réduit a simulé « des vols court et long-courriers dans des conditions météorologiques et d’altitude correspondant aux paramètres requis pour tester la mise à jour du logiciel. »

MCAS : trois couches de protection supplémentaires

Le MCAS a été conçu pour le nouveau 737 MAX afin qu’il ait le même comportement en vol, vu du pilote, que le 737 NG. Mais le système, et en particulier son logiciel de commande, sont accusés d’avoir joué un rôle clé dans deux accidents mortels. Le MCAS a depuis reçu « trois couches de protection supplémentaires qui empêcheront que de tels accidents se reproduisent », affirme-t-on chez Boeing. Il s’agit d’un changement de logique quant à l’action du MCAS sur les gouvernes.

Le programme doit encore franchir des étapes cruciales. Les essais de certification par l’autorité américaine de l’aviation civile (FAA), d’abord. Les pilotes de la FAA effectueront un ou plusieurs vols de certification avec la version finale du logiciel. Ensuite viendra une évaluation de la formation sur simulateur. C’est un organisme où sont réunies différentes autorités de réglementation qui en sera responsable.

Le système MCAS de contrôle automatisé de l’assiette agit sur le stabilisateur horizontal. © Boeing

Problème de câblage en sus

Le MCAS n’est pas le seul problème à régler. Les ingénieurs travaillent aussi sur des ennuis de câblage et de protection contre la foudre. Or, dans le contexte du MCAS, la FAA est sous pression et veut montrer sa rigueur.

Le problème de câblage, découvert récemment, a été révélé par le Seattle Times. Il s’agit de fils électriques insuffisamment séparés les uns des autres : un court-circuit pourrait provoquer un mouvement intempestif de l’empennage horizontal. Le défaut existait avant le MAX et n’a jamais causé d’incident.

Mais la FAA se veut inflexible : « Le constructeur doit démontrer la conformité [du MAX] avec toutes les normes d’homologation ; l’avion sera déclaré à nouveau bon pour le service seulement quand la FAA estimera que toutes les questions de sécurité sont réglées. »

Protection dégradée contre la foudre

Autre ennui : une protection dégradée contre la foudre sur les nacelles des moteurs. Un polissage excessif de certaines surfaces externes endommage une couche métallique. Des câbles critiques deviennent alors susceptibles de subir les effets électromagnétiques de l’orage et de provoquer une extinction moteur.

La FAA a donc ordonné une inspection et un remplacement, si besoin, des panneaux concernés.

Plus globalement, c’est à la restauration de la confiance que Boeing doit travailler. C’est ce qui ressort d’un récent rapport de la chambre des représentants des Etats-Unis.

La commission des transports et de l’infrastructure a lancé une enquête dans les jours qui ont suivi l’accident d’Ethiopian Airlines. Ce rapport n’est que préliminaire, il met néanmoins en lumière de nombreuses insuffisances chez Boeing et à la FAA.

« Culture de la dissimulation » dénoncée

La « culture de la dissimulation » est le titre d’un chapitre. « Dans plusieurs cas, Boeing a retenu des informations cruciales » au lieu de les communiquer à la FAA, à ses clients et aux pilotes. L’avionneur a été jusqu’à masquer l’existence même du MCAS aux pilotes. Or un pilote est aussi un ingénieur censé connaître les systèmes de son appareil.

La conception du MCAS viole les règles internes chez Boeing. Elles exigent qu’aucun système ne produise d’interaction nuisible au pilotage de l’avion, note la commission. C’est pourtant ce qui s’est passé dans les deux accidents.

Mais donner une formation sur le MCAS aux pilotes aurait fait entrer le MAX sur un territoire où Boeing ne voulait pas s’aventurer. Un objectif clé du programme était que le passage du NG au MAX se fasse, pour le pilote, sans recours au simulateur. Il était même inscrit dans le contrat avec Southwest Airlines : la compagnie aurait reçu 1 M$ par avion livré si une telle formation avait été requise.

Mises en garde rejetées

D’une manière générale, Boeing s’est mis sous pression pour faire face à la concurrence de l’A320neo d’Airbus. Il s’agissait de limiter les coûts et de tenir un calendrier ambitieux.

Ainsi, les alertes lancées par des employés n’ont pas été entendues. Pire, certaines ont été lancées par des représentants de la FAA chez Boeing. Employés de l’entreprise (et donc payés par elle), ils sont censés défendre les intérêts de la FAA.

En 2015, l’un d’entre eux pose la question de la vulnérabilité du MCAS à une panne d’une seule sonde d’incidence – une non-redondance flagrante. Malgré cette interrogation, « l’avion a été livré avec un MCAS dépendant d’une seule sonde », regrette la commission.

Elle mentionne un sondage interne réalisé en 2016, au moment où les activités liées à la certification du MAX battaient son plein Son plein, singulier : à l’origine, c’est le « son » de la fête. Pas moins de 29 % des employés interrogés n’osaient pas parler de la pression excessive qu’ils ressentaient.

Défiance vis-à-vis de la FAA

Boeing affirme pourtant aujourd’hui que l’intervention des employés pour signaler un problème a « toujours été encouragée ». Deux nouvelles entités, dont une au sein du conseil d’administration, vont désormais traiter ces interventions. L’anonymat éventuel sera respecté.

La FAA n’est pas épargnée dans le rapport. En décembre 2018, après la catastrophe de Lion Air, Boeing avait avoué une impasse. Le constructeur n’avait pas évalué les effets d’une conjonction de pannes conduisant à une activation indésirable du MCAS.

Plusieurs voyants de la FAA auraient dû passer au rouge, tempêtent les parlementaires.

L’influence de Boeing sur l’agence était si forte que les objections techniques émises par les spécialistes de la FAA ont été à plusieurs reprises rejetées par leurs propres dirigeants.

Globalement, le rapport dénonce l’acceptation par la FAA d’une conception entachée d’erreurs, grossières pour certaines. D’où un sombre constat : le système qui supervise l’aviation américaine a terriblement besoin d’être restructuré, selon la commission.

De quoi alimenter la méfiance, à court terme, des autres autorités de certification dans le monde. Une fois le sésame de la FAA obtenu, le MAX ne sera pas remis en service immédiatement partout. Les homologues de la FAA, l’Agence européenne de la sécurité aérienne en tête, ne manqueront pas de nourrir le feuilleton.

Thierry Dubois

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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

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  • Ça va être compliqué de trouver des pax qui accepteront de monter dans ce cercueil volant ! Si tant est qu'on puisse y mettre des pilotes, d'ailleurs !
    Voilà ce qu'on gagne à toujours privilégier le moins-disant, à chercher le profit maximum. Et de nombreux autres secteurs devraient en tirer des leçons...

  • Il y a 15 ans Boeing est entre en "virage engage" quand les financiers ont pris les commande de l'entreprise, en bons neophites ils ont tire de plus en plus sur le manche, on connait le resultat.
    Ces memes financiers se sont bien gaves de dividendes pendant des annees et maintenant a l'approche du crash il demandent l'aide des contribuables au travers du chantage a l'emploi (to big to fail).
    Je suis un liberal convaincu mais je trouve le procede inique.

    • C'est pourtant souvent le cas...
      En même libéral, il y a tant d'acteurs qui procèdent de la sorte, affirmant la main sur le coeur qu'il ne font que leur travail (banques, assureurs, etc...) répondant à toutes les réglementations et engagements métiers.
      L'économie de terrain, c'est cà !
      La seule manière d'en sortir me semble être de le faire partager au plus grand nombre et que nous adaptions de nouvelles manières de consommer...
      Je pense également aux limites des ressources naturelles que les pétroliers défendent, en toute bonne fois.
      Tant que le marché ne mettra pas suffisement de pression sur les produits sourcés à partir du pétrole, cette filière se sentira légitime, comme les entreprises incontournables (stratégiques) que les états doivent défendre, sauf à se fragiliser.
      Le consommateur est l'acteur le plus influent, mais ne le sait pas et se laisse manipuler ... si facilement.
      Les élus appliquent ce que la rue approuve, soutien...
      Aujourd'hui la rue ne veut pas voir un malade refoulé des services de santé, et nous cassons l'économie pour cette seule raison. Il faut que ce choc serve à mieux procéder demain, sinon nous aurons perdu une magnifique occasion de passer à un nouveau modèle pour nos enfants.

      • il n'est pas question de chercher de nouvelles manières de consommer ou de s'interroger sur l'utilisation du pétrole dans l'affaire du 737 max. On voit une entreprise prendre l'ascendant sur les services officiels de certification. C'est une faute de l'administration américaine qui n'a pas su contrôler Boeing. C'est aussi une faute de l'EASA qui a entériné la certification FAA sans chercher les failles dans le dossier. L'EASA est elle coupable d'incompétence ou de soumission à des pressions américaines?

      • Bonjour, cette affirmation est totalement gratuite et le temps montrera qu'elle est fausse.
        La famille 737 est ce qu'on appelle une "vache à lait " en terme commercial comme l'A320 pours AIRBUS.
        L'effort sera donc fait pour le rendre conforme à la réglementation car sinon, c'est la crédibilité de BOEING qui est aussi en jeu.
        C'est presque le point le plus important sur le long terme.
        C'est d'ailleurs pour cela qu'après la catastrophe du Concorde, l'avionneur a tenu à apport une solution, même si son sort était déjà scellė.....

      • le 737 ne revolera jamais est une affirmation recevable tant que la Vérité ne sera pas dite et écrite aux consommateurs(compagnies aériennes, agences de voyage, personnels naviguant, voyageurs aériens professionnels ou privés, acheteurs d'avions...).
        Cette vérité c'est à dire la "ROOT technique racine" est pour le moment désignée par l'euphémisme journalistique "autres problèmes techniques".
        La correction du MCAS toxique en soit n'est il pas un cache misère du SMYD et de son "commandement mono-chaine"?

  • Gamin moteur caoutchouc dans mon amcb , les chefs avaient des télécommandes avec cerveau bellamatic trimé déjà , ce pourrait être une solution que Boing se construise une belle maquette volante avec son Mcas pour vérifier ses axiomes sans perte humaine ...?

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