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AF447 : le directeur de vol au cœur de l’accident

Published by
Thierry Dubois

Le pilote de l’Airbus A330 a pu suivre des indications erronées d’un instrument qui lui semblait fiable. C’est un élément nouveau, qui apparaît pour la première fois dans le rapport final du BEA sur le crash du vol Rio-Paris.

Le Bureau d’Enquêtes et d’Analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA) a réussi à expliquer la majeure partie des actions à cabrer du pilote en fonction (PF) dans les dernières minutes du vol Air France 447. Des actions qui intriguaient les experts depuis un an. En tirant sur son manche, le PF (en place droite) a fait décrocher l’Airbus et empêché l’avion de sortir de cette situation aérodynamique. Le directeur du BEA, Jean-Paul Troadec, et son équipe pointent, dans le rapport final, une interface homme-machine perfectible. Et, si l’équipage n’a pas compris ce qui se passait, c’est bien en partie à cause de cette interface.

Au cœur du problème, le directeur de vol. Il est affiché sous forme de « barres de tendance » qui indiquent les actions à accomplir par le pilote (ou le pilote automatique, PA) pour suivre le plan de vol. Le pilote cherche ainsi à aligner le symbole représentant le vecteur vitesse de l’avion (le carré noir) sur la croix formée par les deux barres.

Or ces barres de tendance ont continué à s’afficher, bien que de façon intermittente, pendant le décrochage. Et elles suggéraient des actions à cabrer. C’est un élément nouveau, qui apparaît pour la première fois dans le rapport final du BEA.

Après la déconnexion du PA et de l’automanette, et alors que la loi des commandes de vol était passée de « normal » à « alternate » (annulant la protection du domaine de vol), l’affichage du directeur de vol a disparu. Mais il est réapparu à plusieurs reprises. Et, à chaque fois, en indiquant que le pilote devait tirer sur son manche. Les enquêteurs ont mis longtemps à « reconstruire », selon leur propre mot, ces indications. Elles ne figurent pas dans l’enregistrement de données.

A partir de là, le BEA admet que le PF a pu suivre les indications du directeur de vol. Ce n’était certes à faire dans un décrochage. Mais l’équipage n’a jamais réalisé que l’avion décrochait. De plus, les disparitions et réapparitions successives des barres de tendance renforçaient leur crédibilité. Pour l’équipage, leur réapparition pouvait signifier que l’information était valide. Le PF a pu se raccrocher au directeur de vol au point de cabrer… tout en disant suivre les indications du pilote non en fonction (PNF). Celui-ci lui demandait de piquer.

D’où des recommandations sur le directeur de vol. L’une d’elles porte sur sa « logique d’affichage ». Pour le BEA, lorsque l’alarme de décrochage se déclenche, le directeur de vol devrait disparaître ou présenter « des ordres adaptés ».

Le BEA rappelle que la procédure que l’équipage aurait dû appliquer depuis le début, « vol avec vitesse indiquée douteuse », implique de déconnecter le directeur de vol.

Par ailleurs, selon Léopold Sartorius, chef du groupe de travail « systèmes avioniques », l’A330 n’est pas le seul avion dans lequel le directeur de vol fonctionne de cette manière. La question reste posée de savoir si d’autres avions ont un meilleur directeur de vol sur ce point.

Le BEA a donc expliqué pourquoi le PF a tiré sur son manche après la déconnexion du PA. Mais il a agi de la même façon au début de la séquence fatale. C’était probablement pour corriger ce qui a ensuite été trouvé être une erreur altimétrique. Le seul point d’interrogation restant est pour la période qui commence avec la déconnexion du PA et la première alarme de décrochage. Durant ces cinq secondes, le PF a continué à cabrer mais le BEA ne sait pas pourquoi.

L’accident de l’A330-200 qui assurerait la liaison Rio-Paris a fait 228 morts lorsqu’il s’est écrasé dans l’Atlantique sud, le 1er juin 2009.

Thierry Dubois

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Thierry Dubois

Thierry Dubois est journaliste aéronautique depuis 1997. Ingénieur Enseeiht, il s’est spécialisé dans la technologie – moteurs, matériaux, systèmes — et la sécurité des vols. Chef du bureau français du magazine Aviation Week, il anime aussi des rencontres comme les tables rondes du Paris Air Forum. Pour Aerobuzz, Thierry Dubois couvre notamment les hélicoptères civils et des sujets techniques.

View Comments

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Question sémantique somme toute, je me demande si le BEA n'a pas pris quelques libertés:

    Rapport Annexe 1 - Extract CVR - 44'49 - La fameuse phrase remontée par la presse il y a quelques temps sous la forme "on va pas s'laisser emmerder par les cunimb, hein!".
    On remarquera que la sémantique du rapport finale est différente : formule "passéisée", moins agressive, moins sulfureuse, moins polémique.
    "on n’a pas été emmerdé par les cunimb hein"

    Soit.

    Mais dans le contexte des discussions cockpit, le "y'a de la rumba dans l'air", ca a l'air de seccouer pas mal. Les données graphiques page 5 de l'Annexe 3 - Paramètres semblent indiquer des changements de conditions vol (vent, accélération).

    D'un pur point de vue contextuel, enchainée à la petite boutade sur le point RUMBA, la phrase du rapport final me paraît malvenue : j'ai une lecture des échanges beaucoup plus proche de la version 'fuitée' que de la version proposée dans le rapport final.

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Mon post n' a peut etre rien à voir avec l'accident. Je suis pilote de chasse depuis 15 ans, aujourd'hui dans le cadre de la formation continue j'étais à l'EPNER d'Istres (l'école des pilotes d'essais) . J'ai reçu un cours sur l'incidence de dérochage en fonction de la flèche, du facteur de charge, de la courbure puis je suis monté dans un alphajet avec pleins de senseurs, j'ai fait des décrochages, des déclenchés et des vrilles (toutes sortes de vrilles) desquelles j'ai appris les différentes manières d'en sortir.
    J'ai simplement la sensation de piloter mon avion et de comprendre ce qu'il se passe.
    J'espère que les équipages Air France ont ce genre de formation continue.
    Cordialement

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Bonjour,

    En tant que CDB d'une petite entreprise, je suis à mon poste 15heures/jour et 6j/7j, et je m'octroie une petite sieste journalière de 0H30, aprés avoir passé 9h00 dans le cockpit aprés le décollage matinal. Je n'ai pas à me plaindre de ma situation, qui est beaucoup moins harassante que chez AF, au vu de la sieste que s'est octroyé le CDB guère aprés le décollage.... mais bon, je ne suis q'un manuel..et l'aviation n'est pas mon domaine.

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Le PM n'a rien monitoré du tout.
    Il était accaparé par le rappel du patron ... parcequ'AF l'a formé ainsi.

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Merci pour vos commentaires.

    @Jaheira
    Au sujet du terme "automanette", le rapport du BEA semble utiliser indifféremment "autopoussée" et "automanette".

    @Aquila
    Notez bien que l'article se concentre sur la phase où l'avion est en décrochage (même si nous abordons aussi ce qui a précédé). Je laisse chacun se faire son opinion à partir du graphe publié en page 102 du rapport final en français. Nous en reproduisons l'essentiel :

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    Bon, je resume, cet avion est un vrai fer a repasser quand il est en mode degrade.
    C'est un magicien qu'il faut aux commandes ...

  • AF447 : le directeur de vol a bon dos.
    A l’époque de l’introduction de l’A320, certains pilotes s’inquiétaient de la non-conjugaison des mini-manches, voire de l’utilisation de mini-manches au lieu de commandes de vol traditionnelles. Ils craignaient essentiellement que le PM ne puisse plus vérifier les actions du PF.

    Il leur fut répondu péremptoirement que c’était à l’aide des instruments de bord que le PM devait assurer cette vérification. L’auteur de cette réponse vient d’ailleurs de recevoir une nouvelle distinction pour ses brillants états de service dans l’industrie aérospatiale par le magazine « Flight International ». On ignore si sa concierge était aussi invitée à la cérémonie.

    Il se trouve précisément que, dans le cas de l’AF447 le PM, après qu’il eut demandé au PF de redescendre et que ce dernier eut accepté, a été dans l’impossibilité de comprendre pourquoi l’assiette restait cabrée et donc que le PF, apparemment hypnotisé par le DV au détriment de l’attitude, ne faisait pas ce qu’il avait expressément annoncé qu’il ferait.

    A ce moment, l’avion n’avait pas encore décroché. Si le PM, bien qu’accaparé par d’autres tâches, avait pu voir ou sentir que la commande de profondeur restait contre toute logique du cabré il aurait pu réagir et peut-être éviter l’accident.

    Le rapport du BEA évoque vaguement cette situation, soumettant que le PM n’aurait pas suffisamment porté son attention sur la trajectoire. En réalité, le PM était dans l’incapacité d’établir une corrélation entre l’attitude de l’avion et les actions du PF. Il était même fondé à soupçonner un défaut de commandes de vol, une fausse piste. Aucune des recommandations du BEA n’aborde ce problème. Selon le modèle de James Reason il restera donc un trou béant dans l’une des fameuses tranches de gruyère: celle du contrôle mutuel.

    Un autre point sur lequel le rapport du BEA me laisse sur ma faim concerne le fonctionnement de l’autotrim en loi « alternate ».

    En loi normale, l’A330 est très bien protégé contre le décrochage. La protection basse vitesse inclue, entre autres, le rétablissement d’une stabilité dynamique longitudinale positive (habituellement absente) lorsque la vitesse est inférieure à «V alpha prot ». En particulier, quand cette protection est active, l’autotrim ne peut plus mouvoir le plan horizontal réglable (stabilisateur) vers cabré.

    En revanche, considérant que la condition « alternate » résulte d’une anomalie, la certification n’exige pas l’ensemble des protections basse vitesse qui existent en loi normale. Suite à la perte d’au moins deux ADR, cette protection spécifique au stabilisateur est perdue. C’est ce qui explique son déplacement par l’autotrim vers 13 degrés à cabrer en raison des ordres du PF. Ah oui ! Cela a parfaitement fonctionné « as designed ».

    Il me semble cependant que l’inhibition de l’autotrim vers cabré tant que l’alarme de décrochage est active, une modification relativement facile à implémenter, aurait pu aider à contrôler l’avion. Notamment, l’incidence n’aurait probablement pas pu atteindre la valeur qui a indirectement rendu l’alarme de décrochage intermittente.

    Je regrette le silence du BEA à ce sujet.

    PM : Pilot Monitoring
    PF : Pilot Flying
    DV: Directeur de vol
    ADR: Air Data Reference

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    @gus,

    En matiere d'exploitation d'avion de cette gamme, rien n'est évident.
    Il faut se former et s'entrainer pour etre cabable d'agir en situation dégradée.

    Non, on ne développe pas les capacités d'initiative et de décision si l'on ne reçoit aucun entrainement.

    Le postulat que vous faites a été fait par d'autre au sein d'AF avant vous.
    Il a mis un avion dans l'eau.

    Vous voulez vous en convaincre : pourquoi diable AF change ses procédures en ce moment meme pour coller aux procédures d'Airbus et de Boeing ?

    Pourquoi AF forme enfin les copilotes à la prise d'initiative (agir en tant que PF) face à une situation d'urgence ?

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    @Tropo447

    4.1. MANOEUVRE D’URGENCE

    Elle est systématiquement effectuée de mémoire selon une répartition des tâches spécifique. Face à une situation qui nécessite de la part de l’équipage une réaction immédiate, le contrôle mutuel devient secondaire sauf dans le cas d’un pompage réacteur qui conduit à une réduction de poussée. C’est toujours le CDB qu’il soit PF ou PNF qui appelle la réalisation d’une manoeuvre d’urgence en annonçant son titre : exemple : “WINDSHEAR TOGA”.

    Aaah OK .. c'est donc cela le fameux documentt
    Il est bien évident qu'en abscence du CDB .. c'est celui qui le remplace qui devra appeler la procédure d'urgence ... cela ne fait pas de doute .. même chez AF
    Cela est une question de bon sens
    Aucun pilote AF étant en remplacement du CDB (celui-ci étant en repos) va dire en cas de situation d'urgence:
    " Moi je ne peut rien faire .. je ne touche a rien car je doit attendre que le CDB soit la pour la réalisation de la manoeuvre d'urgence et qu'il m'en annonce clairement le type .... comme c'est bien indiqué dans le bouquin 4.1 Manoeuvre d'urgence "
    Faudrait quand même rester sérieux ... LOL !

  • AF447 : le directeur de vol au cœur de l'accident
    @Tropo447

    Chez AF, c’est toujours du CDB que vient la décision d’une manoeuvre d’urgence.
    Partout ailleurs, elle vient du pilote en fonction...
    C'est la deuxième fois que vous postez cette affirmation
    A cause qu'elle me parait incroyable .. je vous demande une deuxième fois de citer votre (vos) source ou d'étayer cette afirmation par un document ou un lien permettant sa consultation .....

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