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Transport Aérien

Automatismes – Pourquoi ? Quoi ? Comment ?

Published by
Michel Trémaud

L’invention du pilote automatique est souvent attribuée aux Américains Lawrence et Elmer Sperry qui firent voler en 1914 un avion équipé d’un pilote automatique 2-axes. Moins connu est le vol en 1917 d’un avion Voisin X équipé d’un pilote automatique 3-axes d’une étonnante modernité. L’installation comportait une centrale gyroscopique élaborée, des servomoteurs électriques ainsi que toute une « électronique » embarquée … car cet appareil était destiné à être un avion téléguidé « sans pilote » pour une utilisation militaire ! Nous voyons ici que déjà les options technologiques et les motivations variaient dans l’esprit des concepteurs ! Voyons ensemble ce qu’il en est un siècle plus tard.

Comme nous l’avons vu au fil des cinq articles consacrés aux facteurs opérationnels et humains (voir en bas de cette page), l’art de leur étude est de sans cesse se poser des questions (de préférence, … les bonnes questions) et de tenter d’y apporter des réponses ; cet article ne dérogera donc pas à cette pratique.

En effet, comprendre les automatismes c’est en fait répondre à trois questions :

  • Pourquoi automatiser ?
  • Quoi automatiser ?
  • Comment automatiser ?

On y a ajoutera une quatrième question, primordiale pour les utilisateurs que nous sommes :

  • Comment utiliser les automatismes ?

Les éléments de réponse développés dans cet article sont en partie inspirés des réflexions d’un groupe de travail multidisciplinaire dédié à l’étude et à la prise en compte des facteurs humains.

Pourquoi automatiser ?

Le rôle principal des automatismes est de soulager le pilote de certaines tâches afin de lui donner plus de disponibilité pour l’exécution d’autres tâches et pour la gestion / supervision globale du vol.

Cette délégation permet au pilote de se concentrer sur la situation de l’avion dans son environnement présent et futur, et sur l’état de l’avion en termes de configuration et niveau d’énergie. Ainsi, il peut mieux maitriser / superviser les quatre piliers du vol :

  • piloter (définir / maintenir / surveiller l’attitude, la vitesse et la trajectoire verticale, …),
  • naviguer (définir / maintenir / surveiller la trajectoire horizontale, …),
  • communiquer (dialoguer avec les autres membres d’équipage, le contrôle aérien et le personnel de cabine, …),
  • gérer (superviser le bon fonctionnement des systèmes et automatismes, garder une vision globale de la conduite et progression du vol, se préparer à toute éventualité, …).

L’automatisation tient compte des forces et faiblesses de l’être humain en capitalisant sur ses points forts et en compensant ses points faibles.

En effet, l’homme (le pilote) se révèle supérieur à la machine dans les domaines suivants :

  • adaptabilité (situations inconnues / non-couvertes par la formation et/ou les procédures, …),
  • mémoire des évènements passés (capacité d’apprentissage / expérience, acquisition de nouvelles compétences, …),
  • instinct / intuition (ressenti, airmanship, …),
  • conscience des situations critiques (responsabilité, autorité, …),
  • analyse, jugement et prise de décision (particulièrement dans les situations exceptionnelles, …),
  • [ … ].

Par contre, l’homme se révèle moins performant dans les domaines suivants :

  • vitesse de réaction (nous pensons vite mais réagissons lentement, …),
  • précision d’exécution (nous commettons facilement des erreurs de manipulation, …),
  • répétitivité (notre niveau de performance est variable, …),
  • calcul mental (au delà de quelques règles bien connues, nous sommes plutôt lents à calculer et cela accapare toute notre attention, …),
  • détection / perception (nos « capteurs » ne sont ni précis ni fidèles, …),
  • surveillance / supervision (nous nous lassons assez vite des tâches répétitives et relâchons notre attention / vigilance, …),
  • gestions de tâches simultanées (nous préférons une gestion séquentielle, …),
  • [ … ].

L’humain se montre également (parfois !) imprévisible, indiscipliné, (trop) satisfait-de-lui-même, prompt à oublier, … . Ne soyez pas désespérés par ce qui précède ; en effet, l’humain a aussi la volonté naturelle d’apprendre et de se perfectionner, … en d’autres termes de s’adapter.

L’automatisation trouve donc toute sa justification et sa place, en complément à l’humain, chaque fois que les automatismes peuvent faire mieux et de façon plus fiable que l’homme.

En fait, les automatismes rehaussent le rôle de l’humain en le soulageant des tâches répétitives ou ne nécessitant pas la décision / action du pilote. Par exemple, il est essentiel que le pilote décide et définisse la trajectoire de l’avion mais il n’est pas indispensable qu’il en assure lui-même le suivi ; ceci peut être délégué au pilote automatique qui l’assurera sous la supervision du pilote.

La plus grande disponibilité qui en résulte permet au pilote d’accorder plus de temps à maintenir sa conscience de la situation générale (situational awareness) et sa conscience de l’état de l’avion (aircraft state).

L’automatisation ne remet pas en cause le rôle et l’autorité du pilote qui reste seul responsable des choix tactiques et stratégiques … Comme le gardien de but d’une équipe de football, le pilote ne participe pas directement à l’action mais il en a une vision globale et est prêt à intervenir si la situation l’exige.

Quoi automatiser ?

La réponse découle directement du « bilan forces / fragilités » ci-dessus.

L’automatisation ne doit pas être perçue comme limitant l’autorité du pilote ; en effet, des systèmes tels que le yaw damper, le stick-pusher, l’anti-skid, les protections en termes de température et survitesse des réacteurs et de l’APU, … sont acceptés depuis des décennies comme des facteurs de sécurité et de performance … nul ne les a jamais considérés comme des restrictions dans le rôle du pilote.

L’automatisation s’applique de façon logique à trois grands domaines :

  • la gestion des systèmes (séquences / transitions, transferts, reconfiguration, …),
  • la conduite du vol (attitude, vitesse, trajectoire, poussée … donc performance, …),
  • l’information (affichage contextuel, pertinence, hiérarchie, retour sur action, …).

Gestion automatique des systèmes :

  • freinage (protection anti-patinage, contrôle du taux de décélération, …),
  • pressurisation (intervention limitée à l’affichage de l’altitude de l’aéroport de départ / arrivée, …),
  • dégivrage des ailes / nacelles / sondes (conditions sol / vol, cycles, …),
  • répartition et alimentation en carburant (gestion des pompes d’alimentation et pompes / vannes de transfert entre réservoirs, …),
  • position du centre-de-gravité (gestion des transferts de carburant en fonction de la phase de vol, …),
  • reconfiguration des systèmes électriques en cas de panne (gestion des contacteurs de lignes et contacteurs de transfert pour la récupération des barres d’alimentation affectées, …),
  • protection en termes de température et vitesse de rotation des réacteurs et de l’APU (en l’absence de FADEC, la gestion de ces limitations nécessitait toute l’attention du mécanicien naviguant),
  • [ … ].

Conduite et gestion du vol :

  • augmentation des qualités de vol (amortissement en lacet, compensation en tangage des effets de vitesse / Mach, protection anti-décrochage, …),
  • directeur de vol et pilote automatique (la précision et la répétitivité de des performances ont permis l’adoption de minima de plus en plus réduits que seuls autorisent une approche et un atterrissage automatique),
  • gestion latérale et verticale du vol (couplage FMS / pilote automatique / manettes automatiques, options tactiques ou stratégiques, gestion des déroutements, optimisation de la consommation, …),
  • protections de l’enveloppe de vol (limitations en assiette / inclinaison, incidence, facteur de charge, survitesse, … ; en effet, l’expérience d’un pilote ne le prépare pas au pilotage d’un avion aux limites de l’enveloppe de vol),
  • [ … ].

Information :

  • présentation de l’information pertinente quand elle est nécessaire (need-to-show / when-to-show, … la bonne information au bon moment),
  • actualisation des schémas synoptiques pour refléter les reconfigurations automatiques des systèmes (suite à une panne / malfonction),
  • reconfiguration des schémas synoptiques pour refléter l’état du système avant et après les actions du pilote (cas des procédures anormales ou d’urgence),
  • actualisation dynamique des procédures et checklists pour refléter les actions effectuées ou restantes,
  • hiérarchisation des messages d’information ou d’alerte, et des alarmes associées,
  • inhibition (par phase de vol) des alertes non essentielles ou ne nécessitant pas d’action immédiate (afin de ne pas distraire le pilote de la conduite du vol),
  • simplification / désencombrement des affichages (declutering) – en conditions anormales – pour focaliser l’attention du pilote sur l’essentiel,
  • [ … ].

Comment automatiser ?

L’automatisation répond à un ensemble de règles de haut-niveau dont les attributs définissent la philosophie d’utilisation des automatismes.

Le concepteur doit s’assurer que les automatismes :

  • n’affectent pas l’autorité du pilote … mais le protège néanmoins contre tout dépassement des limites structurales de l’avion ou perte de contrôle,
  • laissent au pilote la décision de quand et comment déléguer une tâche ou un ensemble de tâches à l’automatisme (adaptation du niveau d’assistance nécessaire en fonction de la phase de vol et/ou des circonstances),
  • agissent avec une autonomie limitée par les choix / sélections / autorisations préalablement effectués / programmés par le pilote,
  • confirment au pilote ses choix / sélections / autorisations, lui permettant ainsi de surveiller le séquencement (transitions) des différentes phases … et de détecter et corriger ses éventuelles erreurs de manipulation (erreur de consigne / donnée, erreur de mode, erreur d’affichage, …),
  • autorisent la reprise en main par le pilote par une action simple, rapide et intuitive,
  • [ … ].

Pour la mise en pratique de ces principes de conception, on peut distinguer deux grandes familles d’automatismes :

  • la gestion des systèmes,
  • la conduite et gestion du vol.

La gestion automatique des systèmes s’est développée avec l’apparition d’avions pilotés par deux membres d’équipage, le panneau et la fonction de mécanicien navigant étant remplacés par ce qui a été appelé un electronic flight engineer.

Cette gestion est généralement basée sur un ensemble de « conditions logiques », sans intervention du pilote après la mise en configuration initiale (pressurisation, système carburant, reconfigurations du système électrique, protections réacteur / APU, protection anti-patinage, protections anti-givrage / dégivrage, …).

La conduite et la gestion du vol (y compris la protection du domaine de vol) a bénéficié d’évolutions plus sensibles et plus visibles avec l’apparition des calculateurs numériques et des affichages multifonctions.

La conduite et gestion du vol fait appel à des « lois de pilotage », adaptées pour chaque « mode », les modes se succédant automatiquement (au travers de transitions) en fonction des choix et consignes précédemment sélectés par le pilote.

Lorsque des choix irréalisables sont effectués par le pilote (par exemple, la sélection d’une vitesse verticale importante en montée, incompatible avec le maintien de la vitesse sélectée) alors des réversions de modes – basées sur des conditions logiques – peuvent s’activer automatiquement pour maintenir l’avion à un niveau d’énergie et de performance acceptable.

Comment utiliser les automatismes ?

La complexité des automatismes ne fait que refléter la complexité de l’environnement opérationnel – espace aérien, infrastructures aéroportuaires, … – dans lequel nous évoluons (par exemple, c’est le cas des nouvelles fonctionnalités du FMS, qui sont dictées par les nouveaux et futurs concepts en termes d’ATM).

La description des automatismes doit permettre de démystifier les différentes fonctions / les différents modes en plaçant cette description dans un contexte opérationnel d’utilisation. En effet, la décontextualisation de cette description s’avérerait abstraite et « intimidante », et pourrait conduire à une délégation excessive … non pas par excès de confiance mais plutôt par défaut de compréhension et de maîtrise.

Comprendre les automatismes c’est pouvoir répondre aux quatre questions suivantes :

  • Comment le système est-il conçu ?
  • Pourquoi le système est-il conçu ainsi ?
  • Comment le système interface-t-il et communique-t-il avec le pilote ?
  • Comment utiliser le système de façon optimale en conditions normales, anormales ou d’urgence ?

L’apprentissage des automatismes constitue pour certains pilotes un véritable changement de paradigme, l’accent n’étant plus mis sur l’action elle-même mais sur les résultats de cette action. Ainsi, toute action sur le bandeau pilote automatique doit simultanément être vérifiée par son résultat tel qu’affiché sur les écrans de la suite avionique et par ses effets tels qu’observés sur l’attitude / vitesse / poussée / trajectoire de l’appareil (donc, sur la performance).

Afin de permettre à chaque membre d’équipage de contribuer à la supervision des automatismes, la verbalisation / annonce de tout changement (exécuté ou observé) constitue ici un facteur important de conscience de la situation. Dans le même esprit, la répartition des tâches entre le PF et le PNF (PM) doit s’adapter au niveau d’automatisation choisi (par exemple, pilotage manuel au directeur de vol vs vol sous pilote automatique).

Une dernière règle … et non la moindre, chaque fois qu’un automatisme ne se comporte pas comme désiré (guidage anormal en attitude et/ou en trajectoire, déroulement lent ou embarquement brutal d’une commande, absence de séquencement d’une action ou d’une série d’actions, non respect d’une consigne sélectée, …), cet automatisme doit être déconnecté – et non forcé / surpassé manuellement – pour un retour immédiat à un contrôle manuel du système et/ou de la fonction affecté(e).

En résumé

Avec le développement des notions de PF / PNF (PM), de répartition des tâches associées et de bonnes pratiques de CRM, le rôle du pilote est devenu plus collectif; en effet, le pilote-en-fonction doit pouvoir s’appuyer sur toutes les ressources humaines et technologiques disponibles. Dans ce contexte, les automatismes sont des « outils » dont le rôle est d’assister / aider le pilote à remplir ses objectifs de sécurité, de flexibilité et de performance.

Dans le prochain article, intitulé Interface Homme-Machine – HMI (mise en ligne du 01/12), nous développerons les principales clés de la communication homme-machine.

Nous consacrerons l’article suivant, intitulé Pilote automatique – Avatar du pilote ? (mise en ligne du 08/12), à une illustration concrète des généralités ci-dessus.

Michel Trémaud

 

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Michel Trémaud

Michel Trémaud a débuté sa carrière au Bureau Veritas, l'a poursuivie à Air Martinique et Aerotour, avant de rejoindre Airbus pour une carrière de près de 30 ans, consacrée principalement aux opérations en vol, essais de développement / certification et sécurité des vols. Dans ces fonctions, il a contribué à de nombreux projets pilotés par l'OACI, IATA, la Flight Safety Foundation et Eurocontrol. Ingénieur et pilote de ligne de formation académique initiale, il est pilote privé ( avion / planeur / ULM ) ... et également formé sur A310/A300-600.

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