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Transport Aérien

Les compagnies aériennes « déconfinent » leurs pilotes de ligne

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Fabrice Morlon

Le maintien des compétences relève de la responsabilité des pilotes. Pas facile quand toute la flotte a été clouée au sol plusieurs semaines et que la reprise est laborieuse. Comment les compagnies s’organisent pour assurer le redémarrage ? Deux exemples : la régionale Chalair et la long-courrier Air Caraïbes.

Lorsque le gouvernement français a annoncé le confinement de la population, l’autorité de l’aviation civile, la DGAC, a rapidement assoupli la réglementation en vigueur en matière de validité des qualifications et du médical de classe 1. Toutefois, l’Aircrew, la réglementation européenne, précise qu’un pilote doit effectuer trois décollages et trois atterrissages dans les 90 jours de manière à pouvoir exploiter un avion transportant des passagers et jouir pleinement des privilèges de sa qualification. D’autre part, une pratique régulière assortie d’un entraînement lui aussi régulier sont les gages d’une sécurité optimale.

Si les pilotes ont la responsabilité de maintenir leurs compétences, alors qu’un grande majorité des avions est encore clouée au sol, les compagnies doivent s’organiser pour faciliter le maintient des compétences de leurs pilotes. Aerobuzz a contacté Chalair et Air Caraïbes, l’une évoluant sur des lignes intérieures et l’autre sur du long-courrier, de manière à prendre la température et à comprendre comment les pilotes et leur compagnie se préparent à reprendre les vols.

e-learning et maintient des compétences

La compagnie Chalair Aviation, basée à Caen, exploite en France neuf Beechracft 1900D et cinq ATR (trois 42-500, un 42-320 et un 72-500) sur des liaisons intérieures. Comme toutes les autres compagnies, le 17 mars 2020, Chalair suspend ses vols, mais pas ses activités, et accompagne ses soixante pilotes.

Marine Le Meur, responsable formation et pédagogie au sein de la compagnie, explique la nécessaire rapide évolution des outils de formation : « Nous avions l’habitude de réunir les pilotes dans une salle de manière à assurer les formations récurrentes sur la gestion des ressources de l’équipage (Crew Resource Management, CRM), mais aussi sur les procédures normales, anormales et d’urgence, les procédures d’exploitation… Si le CRM demeure obligatoire en salle, nous avons fait évoluer nos systèmes d’entraînement et de formation pour les pilotes et le personnel de cabine vers l’e-learning, que nous utilisions très peu jusqu’alors. »

A bord des Beech 1900D, le copilote est amené à gérer les passagers à la différence des ATR dotés de personnel de cabine. © Chalair Aviation / Jean-Marie Urlacher

Les Beechcraft 1900D, qui nécessitent de voler toutes les quatre semaines, ont effectué plusieurs vols techniques depuis Caen pendant le confinement, permettant ainsi à leurs équipages de maintenir leur compétences. © Chalair Aviation / Jean-Marie Urlacher

Chalair a ainsi créé sa propre formation e-learning, sur la base de l’existante, qui vient en complément de ce qui se faisait dans la compagnie et qui demeurera de manière pérenne dans le parcours de chaque pilote : « Nous avons découvert avec l’e-learning la possibilité de faire de la formation toute l’année et d’adapter les sujets en fonction de la période de l’année » explique encore Marine Le Meur qui poursuit : « aborder les conditions givrantes en salle et en par une journée d’été n’a pas la même portée que l’aborder au moment où le pilote pourrait rencontrer ces conditions météo. »

Séances de simulateur pour les pilotes d’A330 et A350

Chez Air Caraïbes, le e-learning est également devenu la règle lors du confinement. Les 120 pilotes de la compagnies, qui opère cinq A330 et quatre A350 vers les Antilles et la Guyane, ont bénéficié eux aussi d’une formation à distance. Jean-Paul Julia, chef pilote de la compagnie, explique que « le service formation a produit un document en e-learning, accessible à tous en libre accès, pour aider les pilotes à maintenir leurs compétences. »

Malgré tout ses avantages, l’e-learning ne suffit pas pour autant à maintenir les compétences des pilotes : les exigences liées à l’expérience récente et à l’entraînement régulier (autrement appelé « recurrent training »), conduisent le pilote à passer par le simulateur.

La cohérence de la flotte d’Air Caraïbes simplifie les choses : les qualifications de type sur A330 et A350 sont les mêmes, avec seulement un module en plus pour l’A350. « Côté simulateurs » précise Jean-Paul Julia, « nous n’avons pas eu de problème pendant le confinement car ceux qu’on utilise à Roissy et Toulouse nous ont permis de passer la plupart des pilotes arrivant en butée de validité de leur expérience récente et du « recurrent training ».

Pour l’heure, seuls quatre A350 sont en opérations sur les neuf appareils de la flotte d’Air Caraïbes. © Air Caraïbes

Vols techniques chez Chalair

Pour les ATR de Chalair, pas de problème à signaler : le confinement n’a pas été problématique en la matière et les simulateurs d’Orly et Toulouse ont été mis à profit. Toutefois, la compagnie dirigée par Alain Battisti utilise pour ses Beechcraft 1900 D le simulateur basé à Toronto, encore inaccessible à l’heure actuelle. « Depuis le confinement, les pilotes sur Beech 1900 D se réentraînent sur avion » explique Alain Battisti.

Pendant le confinement, 40% de l’effectif pilotes était exploité pour réalisé des vols dits techniques : « les Beechcraft 1900 D doivent voler au minimum toutes les quatre semaine » explique Marine Le Meur, « nous avons donc effectué quelques vols depuis Caen pour des raisons de maintenance. Les ATR, qui peuvent rester plus longtemps sans voler, stationnés à Limoges, ont quant à eux été suivis tout au long du confinement et certains ont été réactivés au déconfinement. »

Pour l’heure, six Beech 1900 D ont été remis en vol sur les neuf et trois ATR sur cinq qui devraient assurer seulement 15% des vols opérés habituellement à cette période et jusqu’au mois d’octobre 2020.

Pour Chalair, les vols depuis Orly et Quimper ont repris le 29 juin 2020. Poitiers ouvre le 13 juillet 2020. © Chalair Aviation

Risques liés à la reprise

Comme chez Chalair, pendant le confinement, 40% de l’effectif total des pilotes d’Air Caraïbes était sur le pont. Avec French Bee, appartenant comme Air Caraïbes au groupe Dubreuil, ce sont près de 65 vols cargo qui ont été réalisés vers la Chine et les Antilles. « Les vols vers la Chine ont cessé au début du mois de juin 2020 » explique le chef pilote d’Air Caraïbes, « et nous sommes repartis vers Point à Pitre, Fort de France et Cayenne avec nos quatre A350, ce qui représente actuellement 40% d’exploitation de la flotte. »

Si Jean-Paul Julia, comme tous les chefs pilote des compagnies aériennes, espère une reprise rapide, il insiste sur la nécessaire mise en garde faite aux pilotes : « le pilote sous entraîné représente un risque pour la sécurité. Pendant près de trois mois sans voler, il perd naturellement ses habitudes et ses réflexes et commet de nouvelles erreurs. Nos pilotes ont été très sérieux et ont travaillé avec assiduité sur les cours en e-learning mais nous insistons sur l’application rigoureuse des procédures. Ajouté à cela que les pilotes ne sont pas les seuls à redémarrer : le personnel de cabine, les mécaniciens, les contrôleurs eux aussi redémarrent leur activité et personne n’est à l’abri d’une erreur. Au simulateur, les pilotes remis en ligne ont subi un entraînement renforcé en comparaison des séances habituelles, avec des pannes complexes » précise encore Jean-Paul Julia.

Air Caraïbes a ainsi instauré des briefings particuliers pour les commandants de bord et les chefs de cabine, non seulement sur la distanciation et les gestes barrière, mais aussi sur les nouveaux risques liés à une inactivité de quelques semaines.

Dans les Beech 1900 D de Chalair, « les gestes barrière sont plus difficile à appliquer » estime Marine Le Meur, « il n’y a pas de personnel de cabine comme dans les ATR et le copilote est mis à contribution dans cet appareil où le cockpit n’est pas cloisonné. » Alain Battisti conclue en précisant que « les premiers vols se sont bien déroulés et les pilotes sont habitués aux modifications de procédures. On est également très attentif au retour d’expérience des pilotes. »

Recrutements gelés

Pour l’heure, seuls 40% des effectifs pilote des deux compagnies sont en activité. Actuellement en sur-effectif, Chalair et Air Caraïbes ont logiquement gelé leurs recrutements mais aucune ne prévoit de licenciement. « Les sélections effectuées par Air Caraïbes restent valables » rassure Jean-Paul Julia.

Pour Alain Battisti, « la pyramide des âges est toujours valable et nous allons recruter de manière progressive ». Mais le président de Chalair, par ailleurs président de la Fédération Nationale de l’Aviation Marchande, appelle à la prudence : « l’aviation commerciale navigue à vue, on ne sait pas comment les choses vont évoluer et il est impossible de se projeter même dans les mois à venir. »

Fabrice Morlon

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

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