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Euroglider, le moto-planeur électrique à l’école

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Fabrice Morlon

Et si la propulsion électrique était l’avenir du vol à voile? C’est ce que l’Association Européenne pour le Développement du Vol à Voile (AEDEVV), Dassault Aviation et le groupe ISAE veulent démontrer avec un projet de moto-planeur électrique. D’autres se sont déjà attelé au sujet. La nouveauté? L’Euroglider sera un bimoteur développé avec des étudiants.

Complexe à mettre en œuvre dans l’aviation légère du fait d’une autonomie des batteries encore restreinte, la propulsion électrique n’est pourtant pas une utopie totale dans l’aviation. De nombreux constructeurs se sont essayé à ce type de motorisation pour les avions de voltige et… pour des planeurs.

Le vol à voile semble en effet tout indiqué pour accueillir ce type de propulsion, en particulier pour l’apprentissage du vol en planeur. Par définition et par essence, le moteur du planeur, ce sont ses ailes. Or, un moteur est bien utile pour remplacer le treuil ou l’avion remorqueur lors de la phase de décollage. En cas de nécessité, c’est aussi un allié utile pour la sécurité du vol.

L’Euroglider, avec une roue avant motrice, ses deux moteurs sur voilure, son tableau de bord numérique, est la somme des doléances formulées par les vélivoles © AEDEVV

Des multiples avantages de la « fée électricité »

Ensuite, le moteur offre la possibilité de s’envoler pour un vol d’instruction sans attendre les conditions aérologiques favorables, nécessaires aux autres moyens d’envol. Enfin, en plus d’un niveau sonore réduit en comparaison d’un moto-planeur standard, à l’intérieur de l’habitacle comme à l’extérieur, la « fée électricité » permet également de réduire les coûts non seulement pour les tractées mais aussi pour l’entretien simplifié du moteur et des systèmes liés et pour le consommable bon marché.

Testé sur un modèle réduit, les deux moteurs sur voilure sont un concept unique qui n’est pas encore prévu dans la législation pour un planeur « grandeur nature » © Gérard Risbourg

Un moto-planeur école électrique

Ce vecteur, présent dans de nombreux clubs, s’appelle le moto-planeur. Si la quasi totalité des moto-planeurs sont équipés d’un moteur thermique, sur un pylône ou dans le nez de l’appareil, l’électrique a déjà fait ses premiers pas dans le vol à voile. Pipistrel a par exemple mis en production son Taurus Electro G2 et il existe dans ce domaine de nombreux projets. Les fabricants de planeurs n’ont donc pas attendu l’Euroglider pour se pencher sur la problématique.

Toutefois, le projet de planeur biplace à propulsion électrique porté par l’AEDEVV innove avec plusieurs points. C’est tout d’abord un projet collaboratif. L’AEDEVV a réuni plusieurs partenaires d’envergure pour mener ce projet : Dassault Aviation, le groupe ISAE, avec l’ISAE-SUPAERO et l’ISAE-ENSMA, l’ESTACA et l’Ecole de l’Air font partie des partenaires sur ce projet.

Cinq envolées par jour pour des vols de 30 à 45 minutes : c’est le cahier des charges sur lequel planche les élèves de quatre écoles © Gérard Risbourg

Genèse d’un projet

En 2014, l’AEDEVV lance un projet de moto-planeur électrique dédié à l’école. « C‘est une idée qui est venue des clubs de vol à voile » explique Joël Denis, président de l’AEDEVV qui précise : « en partant du constat qu’on a besoin dans les clubs d’un appareil autonome, facile à piloter et à mettre en œuvre, on a travaillé durant un an avec des ingénieurs de Dassault Aviation, dont certains sont vélivoles, pour mettre au point un cahier des charges. L’objectif étant de faire de l’Euroglider un outil d’apprentissage. »

Car si ce projet de planeur école a une vocation industrielle, son maître-mot est sans doute : apprentissage. Après cette année de réflexions, le cahier des charges est proposé aux écoles du groupe ISAE. Les étudiants de l’ISAE-SUPAERO, de l’ENSMA, de l’ESTACA et de l’Ecole de l’Air vont alors plancher, avec l’encadrement de leurs professeurs et des référents techniques, sur le projet pour proposer in fine une configuration optimisée : forme de l’aérostructure en 3D, ergonomie à bord, énergie embarquée, catégorie de certification… tout est passé au crible de l’analyse des futurs ingénieurs, encadrés par les formateurs de l’école et de Dassault Aviation. Depuis 2015, ce sont chaque année entre 60 et 70 étudiants qui travaillent sur le projet, avec une liberté totale.

Gérard Risbourg, aéromodéliste et vélivole chevronné, a testé un système propulsif électrique pour son ASH-25 qui a inspiré Dassault et l’AEDEVV © Gérard Risbourg

Apprendre à travailler ensemble

« Le projet Euroglider permet aux étudiants de quatre écoles de se confronter au travail en équipe » explique Emmanuel Bénard, enseignant-chercheur à ISAE-SUPAERO et référent académique du projet Euroglider pour le Groupe ISAE, qui poursuit « ils ont la chance de pouvoir travailler sur un produit complet, tout en l’abordant comme un véritable projet industriel. »

Pour les étudiants, travailler sur un planeur qui va voler donne à cette étude une dimension réelle. Le cahier des charges donné par l’AEDEVV aux étudiants est toutefois strict et précis. Pouvoir emporter 190 kg de passagers avec leur parachute individuel (un parachute de cellule est toutefois à l’étude), permettre cinq envolées pour un vol de 30 à 45 minutes en une journée, le planeur doit pouvoir monter à 1.200 mètres avec les moteurs. Charge aux étudiants de trouver, d’imaginer des solutions et d’apporter leur contribution dans l’élaboration du projet, sous l’œil bienveillant des enseignants et des partenaires. La forme définitive de l’Euroglider devra être définie en 2019.

L’inspiration de l’aéromodélisme

Le choix tout à fait singulier du groupe motopropulseur et de son implantation a été décidé lors de l’année préparatoire de recherches, menées par les ingénieurs de Dassault Aviation. « Nous avions consacré plusieurs travaux destinés à déterminer les faisabilités et incidences de chacune des configurations de positionnement du propulseur, ce qui constituait un préliminaire de premier ordre pour le reste de la conception globale de la machine » explique Joël Denis qui poursuit : « à l’issue, nos calculs et conclusions avaient amené à retenir la configuration bi-propulseur sur bords de fuite comme étant la plus optimale pour l’Euroglider. »

Or, l’aéromodélisme avait déjà pu tester cette configuration. Gérard Risbourg, passionné d’aéromodélisme et de vol à voile, multiple champion de France en planeur Rc et auteur du site Les Grands planeurs RC, a motorisé une maquette dASH-25 à l’échelle 1/3, en janvier 2013, en plaçant deux moteurs propulsifs sur la voilure. « Je n’ai rien inventé » confesse Gérard Risbourg « car ce type de planeur en aéromodélisme existe depuis 1973 avec le Hi Fly du constructeur allemand de modèles réduits Graupner, à hélices fixes. J’ai simplement modernisé le système.« 

Le pylône, envisagé au début du projet, a vite été remplacé par les moteurs sur voilure : peu d’inconvénients et beaucoup d’avantages © Gérard Risbourg

Diatribe contre le pylône

Et si au départ l’Euroglider s’oriente vers un moteur sur pylône rétractable, les ingénieurs sont vite conquis par le modèle réduit. « Au départ du projet, on a étudié différentes manières d’incorporer le moteur » explique Julien Henry, responsable de la coopération avec l’enseignement chez Dassault Aviation et référent technique sur l’Euroglider, « et on a retenu les deux moteurs sur voilure. » Et Gérard Risbourg de renchérir : « Le pylône rétractable a un mauvais rendement : au roulage, il crée un couple piqueur sur piste non revêtue, ce qui entraîne une consommation plus importante. En vol, il occasionne une trainée induite importante, il faut attendre que le moteur refroidisse pour le rétracter… et quand on a besoin du moteur, il n’est pas immédiatement disponible.« 

Tous ces inconvénients trouvent une solution avec les deux moteurs sur voilure, utilisables immédiatement. Utiliser des moteurs électriques, c’est aussi limiter la maintenance : pas de trappe pour le moteur et l’hélice, la seule contrainte est de veiller à la charge des batteries et à leur état ainsi qu’au contrôleur du moteur. Toutefois, la présence de deux moteurs peut poser quelques problèmes. « Certes, deux moteurs sur une voilure dégradent la finesse initiale du planeur » concède Gérard Risbourg qui rétorque : « mais dans le cas d’un planeur école on ne cherche pas la performance. »

Les Alpilles ont été le cadre des évolutions de l’ASH-25 électrique qui ont permis à Gérard Risbourg de valider le concept © Gérard Risbourg

Autre problème : si l’on doit se poser en campagne, autrement dit se « vacher », comment faire tenir un planeur avec deux moteurs dans les remorques « standard »? Seule solution : démonter les deux moteurs, ce qui peut prendre un peu de temps et demander une certaine minutie.

Enfin, dernier problème et non des moindres : l’écueil législatif. « Cette configuration n’est pas prévue dans le cadre réglementaire européen actuel, d’où le lancement du programme expérimental que nous avons décidé à la demande intéressée des responsables de la DGAC et en concertation avec eux » précise Joël Denis.

L’Euroglider, c’est en somme un laboratoire à plusieurs niveaux : scientifique, technique, énergétique, pédagogique… et législatif.

Prochaines étapes

Les étudiants et les référents techniques de Dassault Aviation et de l’AEDEVV qui travaillent sur l’Euroglider vont poursuivre leurs investigations sur l’énergie et l’aérostructure. « Des groupes de travaux sont dédiés notamment à la préparation du BEV (banc d’essai volant) destiné à faire, au cours du 2ème semestre 2018, les essais en classe expérimentale pour la configuration en bi-moteur qui seront présentés à la DGAC, de même que pour la validation de la chaine énergie embarquée et de ses systèmes de contrôle en vol » explique Joël Denis. L’Euroglider sera classé CS-22 et non ULM.

L’AEDEVV, conformément à son plan de marche, entreprendra parallèlement des contacts avec les potentiels partenaires pour l’industrialisation. Le souhait de l’association est de générer, avec l’Euroglider, une chaîne de production dans la mesure du possible en France. L’objectif est de faire voler un premier prototype en 2020.

Fabrice Morlon

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Fabrice Morlon

Pilote professionnel, Fabrice Morlon a rejoint la rédaction d’Aerobuzz, début 2013. Passionné d'aviation sous toutes ses formes, il a collaboré à plusieurs médias aéronautiques et publié une dizaine d'ouvrages, notamment sur l'aviation militaire.

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  • Faudra juste m expliquer comment on fait pour avoir une qualif ( rating) Bi-moteur en planeur....
    Ce qui est fou c est de voire des industriels passionné par le projet, alors qu aucun cadre reglementaire/licence existe...
    Eh oui, pour toucher l subvention ya du monde...
    Mais il s agit là bien d'un bi-moteur!!!!
    Il pourra voler aux mains de pilote qualifié bimot pour le plaisir de la presse aéro, mais pas pour les clubs avec nos velivoles bénévoles...
    Administratif et technique sont bien different. N oubliez pas que l administratif assure notre sécurité et celle des autres ...mdr..
    Ya plus qu a travailler sur un bon vieux pylone pour revenir au monomoteur, charger le fuselage en poids et ceux afin que la bureaucratie accepte le projet en tant que planeur a dispositif d envol incorporé
    Bon courage!

    Vive l ULM, mais attention que les Fédéraux du VV (politiciens) ne creer pas un Label ou Lobby sur le sujet qui soit finalement plus contraignant que le Certifié lui lui-même...

  • et ...s'il y a un spécialiste dans le coin ,...un jeu de turbines électriques noyées au bon endroit (bdf emplanture ailes par exemple ) ,et quelques m2 de panneaux solaires (légers ,aviation compatibles ) pour aider la recharge en vol ,c'est faisable ?

  • Bonjour,
    Cet article resitue l'aéromodélisme à la place qui est la sienne depuis les débuts de l'aviation, à savoir une partie intégrante de cette dernière. La force qui fait voler "petits" et "grands" aéronefs est la même. L'aéromodélisme est un loisir scientifique et technique, et à certains égard une branche relativement peu coûteuse de la R&D en aéronautique : ne l'oublions pas !

  • L'écueil législatif! Voila ce qui nous paralyse. Dès qu'on veut aller de l'avant, on est barré par la bureaucratie et il faut un temps infini et une énergie pour surmonter cet obstacle: cela s'appelle la décadence.

    • Nous n'avons jamais eu autant de capacité de mesure, de capacité de calcul, de réseaux de veille et de R&D...
      Pourquoi se faire peur ?
      Juste se mobiliser positivement pour faire passer ce qui semble juste et porteur pour demain.
      Nous avons l’administration que nous méritons.
      Convaincre avec de solides arguments me semble jouable. (nous avons vu la DGAC au coté de la FFA au Bourget pour porter le programme avions école électrique...) Montrer que l'aviation de demain fait partie du modèle "France" et pas seulement l'affaire des US ou des GAFA, me parait génialement légitime.

    • Peut-on transmettre un message au chef de ce beau projet :
      Du moment ou les négociations sont ouvertes avec la DGAC pour faire accepter cette configuration inhabituelle de motorisation, je serais reconnaissant à ce qu'elles soient étendues à la catégorie ULM.

      Je trouve également cette configuration de motorisation comme étant le meilleur compromis pour équiper un planeur, mais si réglementairement interdit, je ne pourrais jamais concevoir et construire le planeur ULM biplace dont je rêve.

      Cette remarque n'est pas qu'à mon seul profit :
      En effet, force est des constater que l'avenir n'est plus dans le certifié.
      Combien coutera cette machine en CS22? Combien de clubs de vol à voile ont encore l'argent d'acheter un planeur certifié neuf?
      Regardez les prix catalogues des Antares E, ou autres Ventus 3 FES (planeurs certifiés électriques)!
      De plus en plus de clubs se tournent vers l'ULM (motoplaneur, remorqueur, ou les deux en même temps) car plus accessible au niveau prix global, et avec des nouveautés tout le temps.

      • Bonjour,
        Tout à fait d'accord sur la question du coût, et particulièrement pour un aéronef certifié. Qui va financer les investissements d'un part et qui va construire le prototype d'autre part ? On imagine pas un fabriquant de planeurs actuel (allemand par exemple) construire sous licence un planeur qui viendra concurrencer sa propre gamme. Pour que le jeu en vaille la chandelle, il faut que les investissements soient gagés par l'assurance d'une production minimale. Mais ce n'est pas une garantie : le "Mariane", biplace un peu trop ambitieux et pas vraiment réussi de Centrair qui devait remplacer les Bijave a mené cette société au dépôt de bilan. Si la société qui construit le prototype n'est pas un fabriquant de planeur, cela voudra dire qu'elle a un savoir-faire minimal dans le domaine : le risque pris sera bien supérieur à celui supporté par un constructeur qui sort un nouveau modèle dérivé de modèles antérieurs. Mais pire, vu qu'il s'agit d'un planeur à propulsion électrique et donc porteur d'un défi technologique supplémentaire, le risque en sera considérablement augmenté, qui le prendra ?
        Assurément, s'il y avait derrière une ou deux Akaflieg allemandes derrière le projet, on aurait de bonne chances de voir le prototype voler d'ici quelques années...

      • 1000 fois d'accord avec vous, cet Euroglider constitue une révolution tant par son mode de lancement que par la coopération des différents acteurs, poussons la révolution jusqu'au bout et renversons l’écueil législato-administratif !

  • J'ai juste envie d'applaudir.
    Je trouve tout ce que la société peut créer de vertueux aujourd'hui. De géniaux inventeurs qui tripotent le modèle réduit "a pas cher mais ça reste très sérieux", des pilotes qui vivent leur passion d'un manière ouverte sur le monde réel (le bruit, le CO2) et un challenge technologique pour canaliser l'énergie de ce joyeux groupe.
    La finalité : davantage de grâce dans un sport qui ne manque ni d'intelligence ni d'engagement, encore moins d'accessibilité. Dans l'univers de l'aviation certifiée, c'est le moins cher et celui qui donne le sens de l'air.
    Les crises peuvent sont bénéfiques, et l'innovation n'arrive pas toujours là où on l'attend. :o)
    Sortir d'une zone de confort !

  • 5mn d'autonomie, c'est seulement aux planeurs que cela ne pose pas de problèmes. Et c'est a eux et a eux seuls que l'électricité apporte une solution.

    30 ou 45mn n'est pas une bonne idée : c'est du poids à trainer en permanence. Et de toutes facons, il faut de la manutention au sol pour renvoyer le planeur en vol, alors autant changer son pack batterie à ce moment la...

    On peut même imaginer un capotage rétractable pour que les moteurs et hélices ne trainent vraiment qu'un minimum lorsque le planeur...plane..

    Enfin des gens qui bossent pour faire quelque chose d'utile, et pas pour chasser la subvention..

    • Tout à fait !
      On pourrai imaginer deux packs chaque donnant une autonomie de décollage de l'ordre de +500-600 m uniquement. Un sur l'appareil pendant que l'autre au sol est en charge rapide, ce qui permettrai d'alterner les décollages sur une journée.
      Il faut aussi bien concevoir le changement de pack avec des connexions rapides et sécurisées après chaque atterrissage.

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