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Aviation Générale

La métamorphose du monoplace Cap 20 en biplace en tandem.

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Gil Roy

Pour transformer le Cap 20L (léger) qu’il avait construit dans les années 1990, en un biplace de voltige en tandem allégé, Stéphane Costantini a, notamment, conçu une nouvelle aile dont il a soumis le longeron carbone à des essais statiques menés jusqu’à la rupture du longeron carbone. Une étonnante démarche industrielle transposée à la construction amateur.

Pour alléger son Cap 20L d’origine, mais aussi gagner en sécurité, Stéphane Costantini s’est attaqué à ce qu’un avion de voltige a de plus précieux : son longeron. Pour ce faire, il est parti d’une étude de l’ingénieur aéronautique Jean-Marie Klinka, datant de novembre 1988, sur le longeron composite bois-carbone. Mais le constructeur amateur nantais ne s’est pas contenté de fabriquer un longeron bois-carbone sur le modèle imaginé par Klinka, il l’a optimisé. Un exercice osé…

Longeron carbone classique.
Les plats de carbone (en bleu) sont les uns au-dessus des autres. Ceux positionnés près du centre travaillent peu. En revanche, celui placé à l’extérieur est plus chargé que tous les autres et apporte un danger en cas de défaut matière © S. Costantini / Flytec.fr

Longeron carbone du Magic
Les plats de carbone (en bleu) sont disposés dans l’autre sens. Ils sont de ce fait tous éloignés du centre de manière à travailler de façon optimale. Ils sont aussi tous chargés de la même manière. Si un défaut matière est présent, la charge est reprise par les autres © S. Costantini / Flytec.fr

Dans un longeron bois carbone, les semelles en carbone remplacent une partie des semelles en bois. Du fait des propriétés mécaniques supérieures du carbone, cet assemblage offre une plus grande résistance des sections intrados et extrados de la poutre-longeron. Une partie des semelles de bois doit toutefois être conservée afin de rajouter de la surface de collage entre les semelles et les âmes, la partie verticale en bois du coffrage du longeron. Sans ces semelles horizontales, il ne serait pas possible de garantir un collage efficace entre les plis de carbone et les âmes, les feuilles de carbone étant trop fines. C’est la solution habituelle dite « mono-caisson ».

Stéphane Costantini a opté pour une solution « multi-caisson » en supprimant les semelles en bois. Afin de retrouver des surfaces de collage suffisantes entre les âmes et les semelles, il a multiplié les âmes.

Longeron carbone du Magic 200 avant collage
Gros plan des semelles et des croisillons dans le gabarit avant collage du contreplaqué de 1,6 mm. (le fond marron est un adhésif de démoulage) © S. Costantini / Flytec.fr

Au final, il a remplacé deux âmes de 5 mm d’épaisseur par plusieurs âmes de 1,6 mm. Il a ajouté des baguettes de bois en croisillon en contreplaqué pour éviter le flambage des âmes, c’est-à-dire leur fléchissement et leur déformation dans une direction perpendiculaire à l’axe de compression, autrement dit pour éviter une flexion.

Caisson longeron dans gabarit
Positionnement des plats carbone et des croisillons en bois dans le gabarit. L’opération suivante est le collage du contreplaque de 1,6 mm par le dessus pour joindre le tout.  © S. Costantini / Flytec.fr

Longeron carbone collé
Le caisson principal nommé « zéro », celui qui fait toute l’envergure de l’aile, est ici en sortie de gabarit juste après collage.
© S. Costantini / Flytec.fr

«Dans la partie centrale qui est la plus chargée, les sept semelles réparties horizontalement travaillent identiquement. Un éventuel défaut de matière d’une semelle présente donc moins d’importance.», explique Stéphane Costantini. « Dans une conception ou les semelles sont superposées verticalement, la semelle supérieure plus chargée que les autres devient critique si elle possède un défaut interne au mauvais endroit. »

La solution multi-caisson retenue par le constructeur permet aussi de maximiser la distance entre les centres des semelles et d’éviter au niveau de l’emplanture de faire travailler à faible taux des fibres rapprochées de la fibre neutre. Elle offre également l’avantage de multiplier considérablement les surfaces de collages entre âmes et semelles. « Dans cette conception multi caissons la surface de collage est environ 5 fois supérieure à celle d’un longeron conventionnel. », précise-t-il. Ne pouvant le démontrer par le calcul, il a proposé à la DGAC de réaliser des essais statiques afin de déterminer la plage de rupture.

Le plan 3D de la voilure du Magic 200.
On y voit bien les nervures en angle pour augmenter la rigidité de torsion et le taux de roulis. Une solution imaginée et mise en œuvre par Stéphane Costantini destinée à apporter plus de rigidité. © S. Costantini / Flytec.fr

Disposant des gabarits lui ayant servi à réaliser son premier longeron, il a décidé dans produire une deuxième pour réaliser ses essais de rupture. Pendant 20 ans, le constructeur amateur a été directeur technique dans une PME qui réalisait des machines spéciales. Il a fabriqué son propre banc d’essais statiques.

Le banc d’essais développé spécifiquement par Stéphane Costantini pour le longeron carbone du Magic 200
Les deux éléments orange sous le banc sont les vérins de traction. Ils peuvent tirer chacun jusqu’à 3T et répartissent la charge sur le longeron par l’intermédiaire de l’ensemble des palonniers découpés dans du plat d’acier. Les points d’aboutissement sur le longeron se font au niveau de chaque nervure. Le bâtis (gris) est en acier soudé. « Il a été calculé également afin d’être certain que ce soit bien le longeron qui casse avant lui« , souligne Stéphane Costantini. Les plats verticaux de couleur blanche sont des guides latéraux entre lesquels le longeron coulisse. Ils sont nécessaires pour que le longeron travaille bien dans l’axe et ne casse pas en partant vers l’avant ou vers l’arrière. © S. Costantini / Flytec.fr

« Les essais statiques ont permis de valider tous les calculs et la résistance du longeron », affirme Stéphane Costantini. Le longeron bois-carbone a cassé à 15 g. « Mon objectif était de valider l’avion à 8 g. Avec un coefficient de 2, cela laisse une grande marche. Cela permet de voltiger l’esprit tranquille ! ».

Longeron d’essais
C’est la préparation du longeron d’essais avant de le mettre sur son banc.
© S. Costantini / Flytec.fr

L’installation d’essais
Le poste de contrôle avec les commande pour ajuster la charge sur les vérins. Le grillage est une protection de l’opérateur. La force appliquée ici est de 12 G. © S. Costantini / Flytec.fr

La rupture a été analysée. « Il est apparu qu’elle s’est produite au niveau du carbone. Le montage, les collages et les âmes ont résisté ». Avant d’atteindre le point de rupture, le constructeur a multiplié les essais pour voir la déformation du longeron. « C’était hyper instructif. Le longeron carbone est un vrai élastique ».

Le film de la rupture du longeron carbone #1
La longeron à pleine charge (16 g), juste avant la rupture. © S. Costantini / Flytec.fr

Le film de la rupture du longeron carbone #2
La rupture est en train de se produire. © S. Costantini / Flytec.fr

Le film de la rupture du longeron carbone #3
La longeron s’est affaissé. © S. Costantini / Flytec.fr

Plan de la rupture carbone sou 16 g
Stéphane Costantini a ausculté méticuleusement cette rupture. Les adhésifs de couleurs montrent le désalignement des semelles rompues. Le carbone est broyé et ressemble à du charbon de bois. On notera que seul le carbone est rompu, les collages n’ont pas bougé.© S. Costantini / Flytec.fr

Au-delà de cet essai de rupture spécifique, en procédant ainsi Stéphane Costantini a pu confronter ses calculs à la réalité. Il sait désormais que cette méthode est la bonne s’il est amené à calculer un nouveau longeron. Pour l’heure, il est occupé à terminer la construction de son avion, le Magic 200, qu’il espère faire voler l’été 2021.

La voilure du Magic 200
Sur cette photo datant du 13 janvier 2021, on peut voir le pied de manche et également les nervures diagonales en carbone en cours de réalisation pour la reprise de torsion sur la partie centrale de l’aile. © S. Costantini / Flytec.fr

Le renvoi d’aileron.
Le support du renvoi est réalisé en contreplaqué stratifié avec 2 plis de carbone pour le renforcer. © S. Costantini / Flytec.fr

Le Magic 200 sera la version biplace en tandem du Magic, le monoplace qu’il a construit au début des années 1990 sur une base de monoplace de voltige Cap 20 léger de Mudry. Après avoir volé 200 heures avec, il l’a démonté, il y a une quinzaine d’années, pour en faire un biplace. « L’idée était de l’alléger et de mettre une voilure plus performante. » La masse à vide visée est de 450 kg avec un moteur Lycoming IO360 de 200 cv.

Le biplace de voltige Magic 200.
Son constructeur, Stéphane Costantini, prévoit de réaliser le premier vol au cour de l’été 2021. © S. Costantini / Flytec.fr

Le passage de mono à biplace s’est fait sans rallonger le fuselage, en reculant la place pilote. Il a été nécessaire de changer un cadre du fuselage. « C’est la seule modification structurelle. Elle doit être validée par le calcul ». La verrière a été redessinée. Le Magic 200 n’a aujourd’hui plus qu’une lointaine filiation avec le Cap 20L. « C’est un prototype de voltige » résume Stéphane Costantini qui reconnaît que son avion « est un biplace un peu intime. L’idée est de pouvoir faire de la compétition en biplace et de pouvoir faire découvrir la machine à d’autres pilotes. Ce n’est pas un avion école ». C’est surtout le remarquable exercice de style d’un constructeur amateur averti.

Gil Roy

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Gil Roy

Gil Roy a fondé Aerobuzz.fr en 2009. Journaliste professionnel depuis 1981, son expertise dans les domaines de l’aviation générale, du transport aérien et des problématiques du développement durable est reconnue. Il est le rédacteur en chef d’Aerobuzz et l’auteur de 7 livres. Gil Roy a reçu le Prix littéraire de l'Aéro-Club de France. Il est titulaire de la Médaille de l'Aéronautique.

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  • Article très intéressant.. je suis admiratif de cette incroyable détermination pour valider le concept original d'un constructeur amateur...J'ai découvert que JM Klinka avait écrit un bouquin que je voudrais me procurer. Comment ? J'en profite pour saluer les anciens de l'ESTAe..dont je suis...(1965)..Merci. Bons vols à tous.

  • Oui, remarquable article qui nous informe sur ces techniques modernes. La rupture sous 16 g, c'est exceptionnel ! J'en profite pour vous divertir d'une anecdote ancienne. J'étais élève pilote de ligne à l'ENAC en 1967, du temps où l'école était à Orly, et suivait donc, entre autres, les cours de technique des matériaux (c'était du temps où le contenu du brevet théorique de pilote de ligne était plutôt conséquent, avec en particulier la navigation astronomique et une météo très poussée, et alors qu'on passait tout en bloc). Notre professeur, M. Beaubois (le mal-nommé, paix à ses cendres !), avait l'habitude de fustiger la construction en bois. Aussi, lorsqu'il eut l'imprudence de dire qu'il allait se rendre le samedi suivant à l'Établissement Aéronautique de Toulouse pour y assister à la torture d'un Robin, et qu'il ajouta espérer bien démontrer que le cobaye, tiré au hasard sur la chaîne, allait casser avant les 4,5 g réglementaires. À la fin du cours, j'étais allé lui demander si je pouvais le rejoindre à l'EAT, puisque, Toulousain, je rentrais chez moi ce week-end là. Il avait tout de suite accédé à ma requête en rajoutant que je pourrais alors raconter à tous mes petits camarades qu'il avait raison. Le samedi en question, j'étais là et fut admis, même si M. Beaubois m'accorda peu de considération. Peu importe ! Je le vis devenir fébrile quand les vérins tordirent l'aile au-delà de 4,5 g. Moi, j'étais déjà impressionné par la courbure que prenait cette aile. Et la torture se poursuivit, faisant devenir de plus en plus vert mon prof. Soudain, un coup de canon ! et l'aile gisait, cassée. La machine de torture affichait 7,5 g... Les cours suivants, Beaubois ne parla plus des avions en bois et n'accrocha plus jamais mon regard d'élève studieux au premier rang.

  • Je suis admiratif devant ce beau travail et de sa détermination!.....
    Comme quoi toute technologie est appelée à évoluer......

  • Passionnant article. C'est finalement une amélioration du lamellé-collé bien connu des architectes pour les charpentes de grande portée, mais aussi des fabricants pour d'autres domaines (skis, arcs) On utilise justement des panachages d'essences différentes (avec notamment du bambou) car en effet du hêtre par exemple, ne se comportera pas comme du chêne ou du sapin. Et on a même déjà du panachage de bois-carbone dans de nombreux domaines...donc la boucle est bouclée avec l'article.

    • Le lamellé-collé c'est autre chose. Toute la pièce est constituée de la même essence, généralement un résineux. Le L.C. c'est l'art de faire des pièces de grandes dimensions avec des "petits" morceaux de bois et de qualité non exceptionnelle. On en profite pour donner une forme cintrée si besoin à la pièce. Un longeron traditionnel a seulement ses semelles faites en lamellé-collé .

  • Je ne peux lire l ensemble de l article sur ce beau sujet. Je souhaite tout de même mettre en avant le livre " voler ou ne pas voler telle est la question" de JM KINKLA édité par " mémoire de l aviation civile" qui explique la démarche conduisant l auteur à l assemblage bois/ carbone. Passionnant et merci à la DGAC et un petit clin d oeil aux anciens de l'ESTAe.

    • C'est peut-être le moment de franchir le pas et de vous abonner. Ou tout simplement de vous offrir 48 heures de lecture pour 4,50€ (seulement !). Si le sujet vous intéresse, vous ne regretterez pas cette dépense. Stéphane Costantini a fait un travail incroyable !

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