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Aviation Générale

Les pilotes des bombardiers d’eau adressent un ultimatum à la Sécurité Civile

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Frédéric Marsaly

En raison de très nombreux dysfonctionnements administratifs entraînant des retards de paiement des salaires et des primes, un problème récurrent depuis plusieurs années, les pilotes d’avions de la Sécurité Civile menacent de ne pas aller au feu l’été prochain. Face à une administration centrale qui semble dépassée par le problème, les équipages de Canadair, Dash 8 et Beech 200 craignent des répercussions sur la sécurité des vols. En conséquence, ils haussent le ton et ont déposé un préavis de grève pour le 1er juillet 2022 en forme d’ultimatum.

Même si, à plusieurs reprises au cours de leur histoire les équipages de la Sécurité Civile ont connu des mouvements de grève, jamais ils n’avaient envisagé de ne pas aller combattre les feux ! C’est pourtant la menace qui plane désormais au-dessus de la base de Nîmes.

Des rémunérations incomplètes

La principale revendication porte sur les salaires. Non pas que les pilotes souhaiteraient une augmentation. Mais 15 à 20 % d’entre-eux aimeraient être payés en temps et en heure et surtout au montant qu’il leur est dû.

Le syndicat détaille les problèmes : des retards de paiements ont été régulièrement enregistrés et parfois même des cas de non-versement. Les primes de vol qui peuvent représenter jusqu’à 65% de la rémunération subissent aussi le même sort. Les Indemnités liées aux détachements saisonniers subissent des retards de 8 à 10 mois et certains salaires ont été baissés de 10 à 20% sans aucune explication.

Face aux récriminations une des réponses de la direction a été de conseiller aux pilotes de faire des demandes de prêts à taux zéro auprès de la Fondation Jean Moulin dont le rôle est « de gérer l’action sociale au profit de tous les fonctionnaires et agents du ministère de l’intérieur ».

C’est vers L’Amicale des Pompiers du Ciel, l’association à but non lucratif créée par les pilotes pour subvenir aux besoins, notamment, des orphelins de la base, que certains se sont quand même tournés pour obtenir un soutien financier temporaire.

Une recentralisation imparfaite

La cause de ces problèmes, qui durent depuis plusieurs années, semble être la recentralisation à Paris de certains services administratifs au moment du déménagement de la base de Marseille vers Nîmes en 2017. Les demandes pour revenir à une gestion « locale » des rémunérations n’a pas été acceptée : « trop compliqué pour 88 pilotes. »

 

De même, la valse continuelle des hauts fonctionnaires en charge de ces dossiers ne permet pas de les régler, ainsi en 2021 : « Le ministre nous a mis en contact avec un de ses conseillers (qui a été) nommé préfet du Tarn 5 jours après notre visio-conférence. » Difficile pour lui, alors, d’avoir le moindre impact sur la résolution de ces dossiers.

Pour le syndicat, ces problèmes s’ajoutent à ceux qui touchent la maintenance.

La Sabena Technics au banc des accusés

En effet, dans leur communiqué, les pilotes dénoncent la complaisance de la Direction de la Sécurité Civile envers Sabena Technics, en charge du maintien en conditions opérationnelles des avions de la BSC de Nîmes. Selon eux, cette entreprise serait exonérée de toute pénalité de retard lorsque les avions ne sont pas prêts dans les délais définis par le contrat, une situation assez courante et pénalisante pour les opérations.

En conséquence, les pilotes de la BSC refusent donc d’assurer les vols de réception des machines sortant de maintenance hivernale, qu’ils assurent jusqu’ici dans un grand flou administratif, ce qui impactera fortement le nombre d’avions disponibles pour la saison à venir.

Une menace concrète pour la saison à venir

Et encore faudra-t-il des équipages pour les armer :

« 17 instructeurs sur 18 ont rendu leur fonction spécifique d’instructeur afin de voir régler au plus vite les problèmes de paie des plus jeunes, ainsi que les problèmes de statut internes à la sécurité civile ou externe avec la société Sabena ».

Dans un mois, si aucune avancée n’est faite, ceux-ci cesseront de requalifier les pilotes en prévision de la saison. Sans pilotes qualifiés, pas de mission possible.

Des problèmes statutaires sont même venus envenimer la situation. Les pilotes continuent de réclamer qu’on reconnaisse leur métier comme étant « à risques » car en effet :

« tous les matins nous pouvons compter le nombre de morts en Service Aérien Commandé gravés dans le marbre à l’entrée de notre base (34 au total). »

Le dernier drame est survenu en août 2019 lorsque Franck Chesneau a perdu la vie à bord de son Tracker. Le rapport d’accident du BEA-E avait pointé les préoccupations professionnelles du pilote comme une cause contributive à l’accident. De son côté le SNPNAC avait, à cette occasion, déjà soulevé le problème des salaires. C’était il y a trois ans et visiblement rien n’a évolué.

 

Face au « mépris administratif »

« Face à ce mépris administratif et cette indifférence totale de la part de notre direction, nous annonçons que nos concitoyens ne verront pas de Canadair ni de Dash dans le ciel de France cet été pour une raison simple : les 88 pilotes de bombardiers d’eau n’acceptent plus ce mépris et cette non reconnaissance de notre administration »

Si les problèmes administratifs au sein de l’aviation de la Sécurité Civile durent depuis des décennies et que, malgré tout, les missions étaient assurées – et actuellement les avions de la Sécurité Civile assurent des misions quotidiennes vers la Pologne pour acheminer de l’aide de première urgence pour les réfugiés ukrainiens qui ont fuit leur pays en guerre – il semble que cette fois, les pilotes ont décidé d’en venir au bras de fer avec leur administration.

La menace qu’aucun avion bombardier d’eau ne puisse opérer cet été en France semble aujourd’hui réelle, une situation unique et, pour tout dire, ahurissante.

Frédéric Marsaly

 

 

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Frédéric Marsaly

Frédéric Marsaly, passionné par l'aviation et son histoire, a collaboré à de nombreux média, presse écrite, en ligne et même télévision. Il a également publié une douzaine d'ouvrages portant autant sur l'aviation militaire que civile. Frédéric Marsaly est aussi le cofondateur et le rédacteur en chef-adjoint du site L'Aérobibliothèque.

View Comments

  • Il y a de quoi être outré par cet état de choses !
    un largage de 4000 litres sur la tête du ministre pourrait peut-être le secouer suffisamment pour qu'il agisse !
    Agir, c'est donner des ordres et vérifier qu'ils sont exécutés par une administration dont la complexité lui donne une bonne occasion de se défausser constamment !

  • En revanche, pour se voter des augmentations avec effet immédiat, faisons confiance à nos députés et sénateurs !!

    DC

  • Les pompiers du ciel n'ont décidément rien compris à la politique géniale du "en même temps" menée par des gens qui ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour en expliquer le principe !
    Comme pour les infirmières, les policiers, les gilets jaunes, les agriculteurs, etc...
    C'est pourtant simple : en même temps vous vous tuez à la tâche et en même temps on vous emmerde !
    Et pour ceux qui seraient imperméables à cette gestion des savoir-faire, hop, Un ausweiss à la mode des beaux jours pour aller au cinoche ou à la salle de sport !

    Dans quel monde on vit !....
    Ne lâchez rien, les pompiers du ciel !

    Jean-Baptiste Berger

  • ... et que dire de la surprise de découvrir que nos pompiers du ciel doivent se battre pour recouvrer leur salaire ? Nous ne savions pas que cette situation inadmissible, déjà bien connue pour l'Armée Française (dont la Gendarmerie), concernait d'autres structures capitales pour la sécurité du territoire...
    Que se passe t'il donc dans cette "Administration" dépassée par un (simple) sujet de comptabilité et d'organisation ?

  • Ce qu'on nous apprend est tout à fait CHOQUANT !

    À faire mousser en cette période électorale... et sans "retardant" !

  • Je partage cette surprise. C’est un vrai métier mais qui présente de nombreux risques liés aux incertitudes aérologique et météorologiques. Sans compter le stress présent à forte dose même pour pour les plus pros. Les envoyer au feu sans que leurs situations administratives soient claires présente un risque majeur. Les pauvres sont dirigés de-ci de-là par de très bons ou de très indifférents fonctionnaires alors qu’ils méritent les meilleurs. Courage. Ne lâchez pas. 🔥🛩🚁🍀🍀🍀❤️

  • Je suis stupéfait d’apprendre que le métier de pompiers du ciel ne soit pas reconnu comme une profession à risques…les bras m’en tombent!

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