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Categories: Culture Aéro

Discrétion assurée

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Martin R.

Sans bruit, il est devenu le numéro un mondial des hélices aéronautiques pour drones. Aujourd’hui, il veut réduire au silence les avions de tourisme. Itinéraire d’un fabricant dans ses montagnes.


 » Where is Saléon ?  » Saul Halter ne compte plus le nombre de fois où cette question lui a été posée.  » A une vingtaine de kilomètres au nord de Sisteron, dans les Alpes du Sud « . C’est la réponse conventionnelle qu’il a mise au point pour satisfaire la curiosité légitime de ses clients qui sont à des lieues de se douter que la plus grande joie de leur fournisseur est de pouvoir admirer de son bureau l’altisurface de Nossage et au-delà la vallée du Buech. Et même quand on a approximativement situé sur une carte, Saléon, il est difficile d’imaginer que dans l’une des quelques maisons en pierres blanches qui composent ce hameau, sont fabriquées les hélices des drones utilisés par la plupart des armées de la planète ? 85 % des hélices en bois qui équipes ces engins sont fabriqués à Saléon affirme le maître des lieux.

Il a trouvé son coin de paradis sur Terre, il y a une trentaine d’années, en débarquant de sa région parisienne natale. Il avait 16 ans. Il était apprenti ébéniste. Il deviendra artisan.

Quelques années plus tard, en 1976 précisément, il découvre qu’il est fait pour voler. Il a cette révélation qui va l’ancrer définitivement dans les Alpes, en voyant évoluer près de chez lui un deltaplane.  » J’ai levé les yeux, j’ai vu le machin. Une semaine après j’étais en stage « . Cette détermination est sa force. Elle lui a permis de devenir le premier fabricant mondial d’hélices de drones, sur un marché militaire où beaucoup serait tentés de penser que seules les multinationales tentaculaires capables de distribuer des pots-de-vin ont une chance de survivre. Lui ne s’est pas embarrassé de préjugés. Il a cru en lui et en son produit. Comme il s’est dit que pour lui sa vie n’était pas encore finie ce jour de 1980, où un atterrissage manqué l’a privé à jamais de l’usage de ses jambes.

Alors que les thérapeutes accordent en moyenne un an à un paraplégique pour trouver ses nouveaux repères et apprendre à se servir de son fauteuil roulant, Saul, six mois après son accident, part pour le Mexique et le Guatemala où pendant trois mois il va voler en deltaplane. C’est à ce moment que sa vie va basculer pour de vrai lorsqu’il entend parler pour la première fois d’ULM. De retour en France, il décide de construire une machine avec une aile rigide et des gouvernes. Il bricole un moteur et s’attaque à la réalisation de l’hélice. Pour cela, il suit des cours à l’ESSAM de Poitiers.

Pour rendre service à un copain, il fabrique une deuxième hélice. Puis une autre, et encore une autre…En évoquant cette période de sa vie, il prend soudain conscience que la plupart des amis de cette époque pionnière sont morts aujourd’hui. Il n’avait jamais vu les choses sous cet angle. Il faut reconnaître, qu’il n’est pas du genre à feuilleter les albums de souvenirs. La vie est devant lui. Pas derrière. Il semble avoir un don pour anticiper les évolutions, un sens particulier pour sentir également les basculements. Entre 1983 et 1985, il s’impose dans le milieu de l’ULM, comme fabricant. Ses affaires tournent rond.  » En très peu de temps, l’ULM a connu un boom extraordinaire. La pente était ascensionnelle. Un peu trop forte à mon goùt. Je me suis dit ça va redescendre. Et puis lors du Tour de France ULM 1985, trois pilotes se tuent. Pendant trois mois, je n’ai pas reçu un seul appel « .

Rapidement, il négocie le tournant pour décrocher de l’ULM.  » Actuellement je continue à fournir Air Création parce que ce sont des amis. Ainsi que le paramoteur. C’est tout. En 1985, au salon du Bourget, j’ai eu mon premier contact avec une filiale d’une société sud africaine spécialisée dans la construction de drones. C’est vraiment le point de départ. J’ai tout de suite senti que les drones étaient une révolution.  » Il se passionne pour ce nouvel engin volant. Il suit les premières conférences et colloques qui sont organisés sur le sujet. Puis c’est la guerre du Golf qui va constituer pour les américains un banc d’essais grandeur nature pour toute une panoplie d’armes nouvelles dont les drones. C’est la consécration des avions sans pilotes. Le marché explose littéralement. Toutes les armées du monde veulent se doter de cette arme à la portée des budgets les plus modestes. Les programmes se multiplient un peu partout. Saul est en première ligne.  » Je me suis positionné, dès la fin des années quatre-vingt sur un créneau qui n’était pas encore ouvert. J’étais prêt quand la demande est arrivée. Pour gagner au loto, il faut prendre un billet. Pour réussir en affaires, il faut travailler « .

Son savoir-faire et ses contacts lui permettent de devenir en quelques années, le numéro un mondial des hélices en bois. Aujourd’hui, il revendique 85% du marché.  » Dès qu’un pays veut faire quelque chose, je prends l’avion et je me rends sur place « . Les voyages ne le rebutent pas, lui qui est pourtant classé dans la catégorie des personnes à mobilité réduite. Il se fait également un devoir d’être présent sur le terrain aux côtés de ses partenaires industriels et de ses clients. Il voyage beaucoup à travers le monde. Pour les voyages intercontinentaux, il a évidemment recours aux services des compagnies aériennes patentées. Mais dès que cela est possible, en Europe ou en France, il prend son Cozy équipé IFR.

Il a installé un vérin qui lui permet de baisser et relever le nez à volonté. Il peut ainsi faire son transfert depuis son fauteuil roulant, le nez de l’avion en position basse. Une fois installé à bord et après avoir chargé son fauteuil à l’arrière comme il le fait lorsqu’il utilise sa voiture, il remonte le nez. Il n’a besoin de personne. Il est parfaitement autonome.

Il a décidé une fois pour toutes que son handicap ne lui interdirait rien. Il a construit lui-même son atelier et sa maison, de ses mains. Suspendu à un palan, il a coulé la dalle, monté les murs et réalisé la couverture. Il a toujours refusé de se résigner à admettre que son handicap puisse lui interdire d’avoir une vie différente. Il n’en demeure pas moins qu’il entend que les droits accordés aux handicaps soient respectés. Malheur à celui qui se gare abusivement sur une place réservée aux handicapés. Il en sera quitte pour regonfler ses quatre pneus. Ces places ne sont pas un privilège, mais un nécessité. Il faut de l’espace pour faire un transfert du siège de la voiture au fauteuil roulant. Certains l’oublient. D’autres s’en moquent. A Gap ou à Sisteron, Saul Halter est là pour le rappeler aux étourdis et aux goujats. Il n’est pas pour autant militant d’une quelconque cause, encore moins un porte-drapeau. Ce n’est pas dans sa mentalité.

Au premier échange, il apparaît clairement, que Saul Halter est un volcan bouillonnant d’une énergie canalisée. Pour ceux qui vivent près de lui, sa femme, ses quatre enfants comme ses quatre salariés, cela demande beaucoup de vitalité. Il faut le suivre !

En une vingtaine d’années, il a construit une entreprise étonnante. L’une de ses grandes satisfactions est d’avoir remporté le marché de la fourniture des hélices pour le Shadow 200 développé par AAI Corporation pour l’US Army. Il a détrôné son concurrent direct, l’américain Sensenich, aux Etats-Unis, sur son marché national.  » En matière de drone, le Shadow 200 est la référence, un peu comme l’A340 en aéronautique « . Aujourd’hui, les hélices Halter équipent la plupart des armées du monde dotées de drones : France (Spewer), Grande-Bretagne (Crecerelle), USA (Shadow 200 et 600), Israël (Silver Arrows), Afrique du sud (Kentron), Corée, etc.  » Nous travaillons simultanément pour l’Inde et pour le Pakistan, pour Abou Dahbi et Israël, et nous ne nous en cachons pas « . Il feuillette un catalogue répertoriant tous les drones produits à travers le monde.  » 90% des OVNI sont là ! « .

Les marchés d’armement ont à l’évidence peu de similitudes avec celui de l’ULM sur lequel, Saul Halter a fait ses classes. Il maîtrise son sujet.  » Le processus de décision est toujours très long. Entre le premier contact et les premières livraisons, il ne s’écoule jamais moins de cinq ans. Mais après, pendant dix ans, on est assuré de recevoir des commandes régulières « . La spécialité d’Halter est l’hélice en bois pour les petits drones, ceux qui ne possèdent pas de train d’atterrissage. Lors du retour au sol, l’hélice doit fait office de fusible pour éviter d’endommager le moteur. Après chaque vol, il faut remonter une hélice neuve. D’où une rente de situation pour l’hélicier. L’intérêt de la chose n’est pas seulement commercial.

 » On peut faire de la technologie pure. On n’a pas besoin d’attendre deux mois un laissez-passer pour faire des essais. On va sur le terrain et on fait les vols. ».

La construction des drones a atteint aujourd’hui sa phase de maturité. Ce secteur a beaucoup évolué au cours des dix dernières années.  » Au début, les constructeurs réalisaient une cellule, puis recherchaient un motoriste qui s’adjoignait les compétences d’un hélicier. Depuis sept ou huit ans, ils ont compris qu’il fallait d’abord constituer un groupe motopropulseur répondant aux besoins spécifiés puis développer ensuite la cellule. Aujourd’hui, nous travaillons en pool avec des motorises anglais et italiens essentiellement « .
Depuis plus de 20 ans qu’il développe ce type d’hélices, Halter a acquis une expertise en matière d’aérodynamisme qui lui a permis de réduire de manière considérable le bruit de l’hélice. C’est un gage de furtivité.  » En 1993, nous avons voulu appliquer la technologie de l’hélice silencieuse aux avions légers. En partenariat avec l’ONERA nous avons étudié une hélice à 5 pales. Du point de vue acoustique les résultats étaient bons, mais du point de vue technologique ce fut un échec. Nous avons cassé une pale en vol, lors d’un essai à Istres. Cet incident nous a refroidi. J’ai décidé de temporiser en attendant de trouver une technologie de fabrication performante d’autant que je travaillais sur des fonds propres « .

En fait cette technologie existe et elle est maîtrisée par le principal concurrent d’Halter sur le marché des drones, l’hélicier américain Sensenich. Celui-ci produit des hélices à pale carbone pour les bateaux à fond plat, ces hydroglisseurs propulsés par des moteurs de 540 cv.  » Il y a énormément de puissance et de bruit. Ils n’ont jamais cherché à réduire le bruit, parce que le bruit montre qu’on est puissant. Nous nous connaissons bien avec Sensenich. Même si l’une de mes plus grandes satisfactions est de les avoir battus sur leur propre marché national, nous nous respectons parce que nous nous sommes toujours battus à la loyale, sans jamais casser les prix. Il nous a donc été facile de nous entendre sur un projet commun. Nous possédons le savoir-faire en matière d’aérodynamique et de silence et eux l’outil de production. Ils ont tout de suite compris que si on se cassait la tête à décrocher la certification et qu’eux se contentaient de fabriquer, ils pourraient gagner beaucoup d’argent ». Le pragmatisme l’a emporté.
 » Nous allons pouvoir nous concentrer sur notre point fort, l’aérodynamique et l’acoustique, sans avoir à passer par le développement d’une technologie mécanique. De plus, en travaillant ainsi avec un partenaire américain, il nous sera plus facile de pénétrer le marché américain. Mon objectif n’est pas de grossir en devenant fabricant. Je souhaite rester concepteur. Le moule sera réalisé ici, les pales seront fabriquées aux USA, la finition et le contrôle seront sous-traités à une structure ici. Quant au moyeu, il sera fabriqué en sous-traitance en France « .

Proposer à l’aviation générale une hélice silencieuse est le nouvel objectif que s’est fixé Saul Halter qui a besoin des challenges les plus ambitieux pour ne pas s’ennuyer. Celui de mettre au point une hélice ultra silencieuse destinée aux avions légers dont la puissance est comprise entre 120 et 250 cv en est un de taille. Le défi est autant économique que technologique.  » Nous avons investi 1 million de francs en fonds propres depuis le début de l’année. « . Traduisez 150.000 euros.

Au premier abord, le résultat est pour le moins surprenant. Si la compétence et le savoir faire de Saul Halter n’étaient pas derrière ce prototype on pourrait douter de son avenir. L’hélice se compose d’un moyeu central en aluminium sur lequel sont fixées trois pales, larges et courtes qui s’apparentent plus à des battoirs qu’à des pales d’hélices telles qu’ont les conçoit aujourd’hui. Elles sont moulées en composites (carbone, fibre de verre et kevlar). Elles ont la particularité d’être creuses.

A l’attention des septiques Halter rappelle que les moteurs actuels imposent des vitesses périphérique de rotation élevées génératrices des nuisances sonores. L’ONERA a démontré que l’hélice entre pour 47 % dans le bruit d’un avion, presque autant que le moteur (48%). En diminuant le diamètre, on réduit la rotation périphérique, donc le bruit. En réduisant à l’extrême on tombe sur le capot moteur. Pour compenser le manque de diamètre, Halter prône un élargissement de la pale tout en sachant qu’il génère alors une traînée importante.  » L’hélice a tourné au sol et a donné des résultats très satisfaisants. Les essais en vol sont prévus pour cet automne « . Le banc d’essai volant est un Piel Super Diamant de construction amateur acheté spécialement dans le but de réaliser les essais. Ils seront conduits par un pilote. Halter assumera la fonction d’ingénieur d’essais en vol.

L’année prochaine, l’ONERA va travailler sur un nouveau profil générant peu de traînée et possédant un haut rendement. Il sera peu bruyant.  » Pour le moment on a gagné en bruit mais pas en aérodynamique « .

En parallèle, Halter a entrepris de décrocher toute une série de certifications indispensables afin de pouvoir concevoir, développer et produire des hélices dans les conditions optimales. Il s’agit du JAR P (certification de l’hélice), JAR21-JA (agrément de conception), JAR21-G (agrément de production) et JAR145 (réparation des hélices).  » Les dossiers de STC pour le montage de l’hélice sur les différents types d’avions et de moteurs viendront ensuite. Depuis 1993, nous évoluons dans un contexte de certification à travers les audits de nos clients. Années après années nous avons affiné notre manière de faire. Aujourd’hui nous sommes au niveau ISO9002. Il reste encore du travail pour arriver au niveau JAR, mais nous possédons la mentalité. Pendant deux à trois ans, toutes les hélices qui seront produites seront essayées sur un avion. C’est notre force au niveau des drones. Nous sommes les seuls à tester systématiquement chacune de nos hélices sur un banc d’essais statique avant de les expédier ».

Halter est convaincu qu’il est à la veille de l’émergence d’un nouveau marché. Le scénario des drones pourrait bien se reproduire avec les hélices.  » En 1993 quand nous nous sommes intéressés pour la première fois au sujet, nous étions en avance. Mais aujourd’hui, les riverains travaillent pour nous. A termes, les hélices qui arriveront en bout de potentiel seront remplacées par des tripales silencieuses. Elles coùtent plus cher, mais on n’aura plus le choix. Pour continuer à voler il faudra en passer par là. Aujourd’hui, le produit existerait, il se vendrait « .

Halter ne prévoit pas un retour sur investissement avant deux ans. Les deux activités seront séparées.  » Nous ne voulons pas être gênés avec des problèmes de certification, là où il n’y en a pas besoin « . A Saléon, dans les Alpes du Sud, le bon sens l’emporte toujours.

Gil Roy. Aviasport N°576 / Novembre 2002

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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