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L’homme qui vole avec les oiseaux

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Martin R.

C’est lui que Jacques Perrin est venu voir quand il a décidé de tourner  » Le peuple migrateur « . Il a fait la route jusqu’à Vézac à la rencontre de l’univers de Christian Moullec, au cœur du Massif Central.


À la sortie d’un petit village de pierre, Jacques Perrin les a trouvés là, lui, sa femme Paola et leurs oiseaux. Il leur a parlé de son projet de renouveler le pari fou de Microcosmos en réalisant un nouveau film de fiction dont les protagonistes seraient cette fois-ci, non plus des insectes, mais des oiseaux migrateurs qu’il voulait suivre dans leurs périples aller et retour de plusieurs milliers de kilomètres autour du globe, à travers déserts et océans, par dessus les montagnes .

L’idée lui était venue en découvrant les images tournées par Christian Moullec, en vol en patrouille avec deux bernaches nonnettes. Cet ensemble parfait que constituaient l’homme et les oies sauvages relevait du sublime. Christian en avait tiré un documentaire, Jacques Perrin voulu en faire un film.

Ce n’est qu’au bout d’une année de collaboration que les deux hommes saisiront la nuance. Elle était trop importante pour qu’ils puissent continuer à travailler en ensemble. Christian et Paola qui s’étaient installés en Normandie, dans la propriété du réalisateur où avait été créé de toutes pièces un élevage de plusieurs milliers d’oiseaux migrateurs de toutes espèces destinés à tenir les premiers rôles de la superproduction, ont décidé alors de rentrer dans le Cantal. Ils ont tourné le dos au cinéma pour reprendre leur projet ornithologique, là où ils l’avaient abandonné un an plus tôt.

Ce projet germait dans la tête de Christian depuis 1987, depuis ce jour où il tomba sur un article scientifique détaillant les travaux d’un ornithologue suédois, le professeur Lambert von Essen, qui avaient entrepris le sauvetage des dernières oies naines de Scandinavie. Cette espèce hivernait autrefois autour de la mer Capsienne et de la mer Noire, en Bulgarie, en Grèce et en Turquie, jusqu’en Irak et en Iran. L’évolution prise par l’agriculture et les excès de la chasse dans ces régions ont pratiquement éradiqué cette espèce du nord de l’Europe. L’idée du professeur était d’inciter les oies à aller hiverner dans un endroit où elles seraient en sécurité.

Plus facile à dire qu’à faire évidemment, si ce n’est toutefois que contrairement à la plupart des autres oiseaux migrateurs, cette espèce ne possède pas l’instinct de la migration. Les jeunes oies l’acquièrent lors de leur première migration, en suivant leurs parents. D’où l’idée de von Essen d’utiliser un couple de bernaches nonnettes hivernant dans une zone protégée d’Allemagne pour guider de jeunes oies naines. En substituant des œufs d’oies à des œufs de nonnettes, dans la couvée, le tour était joué. En vingt ans, le vieux professeur était parvenu à implanter 4 à 5 couples, ce qui compte tenu des efforts déployés s’avérait un bien modeste résultat.

 » La complexité de l’expérience ne permettait pas aux Suédois de pouvoir travailler avec beaucoup d’oiseaux chaque année. Pour obtenir un résultat significatif, il faut pouvoir réaliser les choses sur une échelle bien plus grande et travailler chaque année avec une centaine d’oies naines. En opérant ainsi en grand avec beaucoup d’oiseaux, il n’est pas nécessaire de continuer le travail de réimplantation pendant des années « , explique Christian Moullec.  » C’est donc à la lecture de l’expérience des Suédois et aussi à mes lectures bien plus anciennes des ouvrages de l’éthologiste autrichien Konrad Lorenz sur les phénomènes d’imprégnation, que je me suis dit tout naturellement, en 1987, qu’à l’aide de l’ULM, nous pourrions certainement travailler avec un bien plus grand nombre d’oies naines à chaque voyage. Ma seule véritable interrogation était évidemment de savoir si les oies suivraient en vol un ULM. Je devais nécessairement tenter une première expérience « .

Christian possède cette passion pour les oiseaux depuis sa plus tendre enfance, à l’époque où avec son frère il collectionnait les plumes et avait pour animal de compagnie une poule. A onze ans, il s’était lancé dans la lecture des travaux de Konrad Lorenz. L’envie de voler lui était naturellement venue en observant les oiseaux faire du vol de pente sur les falaises bretonnes. Mais c’est sur l’île Amsterdam que sa passion va pouvoir s’exprimer et son besoin de voler s’encrer définitivement.

Sur cette petite île de 50 km2 des Terres australes françaises située à 2000 km au nord-ouest de l’archipel de Kerguelen, où pendant treize mois, il a partagé l’isolement total de trente-cinq hommes. Il s’était porté volontaire, en sa qualité de météorologue.  » Cette île volcanique abritait la plus grande colonie mondiale d’albatros à bec jaune, 37000 couples. L’observation journalière du vol des oiseaux me permit de bien supporter l’hivernage sur Amsterdam. Mon rêve de voler avec mes propres oiseaux ne devait plus me quitter « .

De retour en métropole et avant de rejoindre sa nouvelle affectation à Saint-Pierre et Miquelon, il met à profit les six mois qu’il a devant lui pour passer son brevet de pilote d’ULM.  » Je me disais alors qu’à proximité du Canada j’aurais certainement l’occasion de me familiariser avec ce type d’engins et peut-être bien aussi de découvrir de nombreuses oies sauvages « . Côté oies, il sera comblé au-delà de ses espérances, mais côté ULM il devra attendre son retour en métropole. Il rapportera de cet archipel une collection remarquable de photos et surtout un film. Il fera aussi connaissance de sa femme, Paola, native de Miquelon, qui le rejoindra dans le Cantal.  » C’était le département français que j’avais choisi pour une nouvelle affectation en espérant pouvoir continuer à profiter d’un cadre de vie toujours porche de la nature « .

Dans le Cantal, il passe au delta-plane avec l’aide d’un collègue météo de la station d’Aurillac. Il s’achète une aile à 3000 F et pour parfaire son entraînement il s’inscrit à des rassemblements libéristes.  » Je me souviens d’un très beau vol réalisé en partant du point culminant du département, le plomb du Cantal (1855 m). C’était la première fois que j’enroulais un thermique « .

A sa demande, le parc ornithologique de Branféré (Morbihan) lui confie trois œufs incubés de nonnette. Deux vont éclore et donner naissance à Fifi et Loulou avec lesquels Christian va tout expérimenter et jeter les bases de sa technique.  » Dès que Fifi et Loulou eurent atteint l’âge de deux semaines, nous les amenions régulièrement au vieux lavoir abandonné et ils aimaient s’y baigner. Le son du magnétophone, avec les enregistrements du bruit du moteur de mon ULM et le bruit de la cornette de rappel donnaient une allure très comique à notre curieuse petite famille « . Dans le village, ces expéditions amusent les voisins qui prennent Christian pour un sympathique rêveur. Bien peu le croient quand il leur dit qu’il a l’intention de voler avec ses oiseaux. Mais personne ne le lui dit pour ne pas lui faire de la peine. Il est trop gentil.

Quelques semaines avant l’arrivée des oiseaux, Christian était allé récupérer un moteur auxiliaire, pour équiper son aile delta. Il l’avait trouvé chez  » un inventeur zélé. Cet homme d’une cinquantaine d’années était un vrai fou volant comme je les aime. Dans sa tête trottait depuis longtemps déjà un projet bien plus délirant que le mien. Il voulait voler comme un oiseau, en battant des ailes… Il avait réellement trafiqué et mis au point une aile classique de vol libre pour que celle-ci assure un véritable battement grâce à un astucieux système de pédaliers « .

Dans son livre  » Voler avec les oiseaux « , Christian Moullec raconte avec humour et humilité la prise en main de sa machine volante, en particulier un décollage scabreux sur la piste d’Aurillac, qui se termine par un crash.  » Je m’écrasais lamentablement avant d’avoir réellement quitté le sol, devant le petit public toujours très indésirable dans des cas pareils. Personne n’aurait pu imaginer que quelques mois plus tard ma photo serait avantageusement publiée dans le livre  » Guiness des records « , deux oiseaux en formation au côté de ma  » formidable  » machine…  » avant d’en arriver là, Christian va connaître d’autres mésaventures aériennes qui auraient pu mal tourner. Il va surtout toucher du doigt les difficultés de commander à des oiseaux de voler.

 » Fifi et Loulou commençaient déjà à voleter quand nous décidâmes de réaliser les premiers véritables entraînements « , écrit-il dans son livre, illustré de plus de 300 photos exceptionnelles.  » Pendant plusieurs jours, presque chaque matin, nous faisions la navette vers le plateau. Il nous fallait à chaque fois monter et démonter le matériel. Avec Paola, nous nous rodâmes très vite à toute cette gymnastique, ce n’était pas le plus difficile. Rapidement, nous comprîmes que j’aurais surtout beaucoup de mal à voler accompagné de mes volatiles. Ils ne voulaient en effet rien savoir. Je décollais toujours seul, les deux oiseaux restant hébétés de leur côté, prostrés au milieu du champ, comme cloués au sol. Ils savaient déjà parfaitement voler, mais ils ne comprenaient pas qu’ils devaient me suivre. Je m’épuisais à insister avec eux de la sorte, je risquais de mettre ma vie en danger à répéter indéfiniment les mêmes décollages sans résultat « .
Sur le point de renoncer, Christian eut l’idée d’essayer avec un seul des deux oiseaux, en l’occurrence, le plus volontaire. Et le miracle eut lieu.  » Loulou volait à mes côtés, comme s’il l’avait toujours fait, avec grande aisance et dextérité, passant d’un côté de mon aile à l’autre sans toucher aucun câble. J’étais fou de joie, je touchais enfin là ce qui occupait mes pensées depuis si longtemps « . Paola qui suivait la scène depuis le sol décida de lâcher Fifi qui vint se placer immédiatement à côté de l’aile.  » Chaque jour qui suivait nos vols était toujours plus beaux « .

La presse grand public et la télévision commencent à s’intéresser à Christian Moullec et à ses oies. La vente de ses premières photos ne lui permet pas encore d’envisager une migration depuis la Suède avec un groupe d’oies naines, mais il peut se lancer dans un voyage entre le Cantal et la Bretagne, avec une douzaine de nonnettes. Il s’offre un petit chariot ULM plus confortable et opte pour une motorisation plus fiable. Il en a assez de finir en vol plané dans les champs. Il a également tiré les leçons de sa première expérience. Rapidement, il réussit à entraîner les douze oies dans une formation parfaite.

 » Les premiers entraînements avec un groupe relativement important d’oies demandent une attention de tous les instants. Il est primordial que la personne au sol observe en permanence si un élément du groupe ne s’égare pas. L’ULM doit impérativement évoluer au rythme des élèves les plus difficiles « . En permanence, Christian compte ses oies. Certains oiseaux se posaient n’importe où sur le plateau, il ne fallait pas les perdre de vue afin de les récupérer au plus vite pour éviter les prédateurs.

Christian qui observe le vol des oiseaux depuis des années a désormais un point de vue unique. Dans cette nouvelle dimension à laquelle il est parvenu, il va d’émerveillement en découverte.  » Le vortex créé par l’extrémité de mon aile en déplacement agit un peu comme un aspirateur dont se servent les oies pour économiser leur énergie. Elles agissent entre elles de la même façon, l’oiseau de devant entraînant en partie dans son sillage l’oiseau situé juste derrière lui. À tour de rôle, elles se relaient en tête de la formation. J’ai pu constater aussi que les oiseaux les plus habiles utilisent la masse d’air plus dense située contre le bord d’attaque de l’aile pour se laisser porter sans aucun battement d’ailes, comme si elles faisaient du surf sur une vague invisible « . La NASA a estimé qu’en volant ainsi il était possible d’économiser jusqu’à 20% d’énergie. Elle mène des essais sur des F-18.

Par leur comportement face aux dangers multiples du vol, les oiseaux initient le pilote à la prudence et lui apprennent à se méfier des pièges. Christian s’est ainsi aperçu qu’ils n’aimaient pas voler dans les barbules.  » J’ai senti à leur vol qu’ils étaient vraiment angoissés, je me promis de leur éviter à l’avenir ce genre de frayeur « . Un autre soir, il décolle malgré un ciel menaçant.  » J’agissais seulement avec un simple raisonnement d’humain, les oies, elles ne voulurent absolument pas prendre de l’altitude et accrocher mon ULM « . Christian dù voler dangereusement au ras des arbres.

Ce premier grand voyage qu’il effectua entre Vézac et la Baule, du 11 au 19 septembre 1996 avec douze oies nonnettes lui permit d’acquérir l’expérience pour se lancer dans sa première vraie migration, laquelle, au-delà de l’immense plaisir de partager des instants magiques avec des oiseaux, était la première étape de son projet. L’expédition s’étala sur plus d’un mois, du 1 septembre 1999, date du décollage de la réserve d’Oster Malma à l’ouest de Stockholm, au 7 octobre 1999, date de l’arrivée sur le lieu d’hivernage, au nord-ouest de Düsseldorf, une réserve où chaque année, hivernent 20000 à 30000 oies rieuses de Sibérie. 1600 kilomètres et quinze étapes au total, précédés de plus d’une année pour élever les 27 oies naines avec toutes les précautions indispensables et leurs faire mémoriser l’itinéraire de leur migration future.

Le vol en formation n’était plus une fin en soi pour Christian, mais un moyen pour atteindre le but qu’il s’était fixé. Pendant toute la préparation et le déroulement de la migration, Christian et Paolo durent dissimuler leur apparence humaine derrière un costume pour éviter que les oiseaux ne s’habituent à l’homme, ce groupe étant destiné à vivre dans la nature à l’état sauvage. Il fallut familiariser les oies avec l’ULM sans jamais voler, le premier vol devant obligatoirement se faire sur le site appelé à devenir le lieu de reproduction. Les oies appartiennent à la terre d’où elles s’envolent pour la première fois et c’est là qu’elles viennent se reproduire.

La première tentative a été une réussite. Au printemps suivant, une partie des oies a été repérée en Suède. Le processus de réimplantation est en marche, mais pour qu’il réussisse, il va falloir passer à l’étape supérieure et pour cela dégager les moyens nécessaires. En France, Christian Moullec n’a pas forcément bonne presse parmi les ornithologues patentés. Son principal défaut, à leurs yeux, est d’être un autodidacte. Il ne fait pas partie du sérail. Officiellement, ils estiment que son projet est trop interventionniste et que si l’espèce doit disparaître de la surface du globe, ils ne peuvent rien faire pour elle. Même si les causes de son extinction n’ont rien de naturel. La publicité faite autour du travail de Christian indispose également les chercheurs, habitués à travailler dans l’ombre et passant le plus clair de leur temps à chasser des budgets pour poursuivre leurs travaux.

Christian sait qu’il n’a rien à attendre de la communauté scientifique française, et ce ne sont sùrement pas les articles dans la presse grand public, son premier prix au mondial des patrouilles et les multiples trophées remportés dans les festivals par ses films qui vont arranger sa situation. En revanche, en Allemagne, il en va tout autrement. Le succès de la première migration à apporter la crédibilité scientifique à la démarche de Christian qui par l’intermédiaire de ses amis allemands a obtenu un premier budget pour poursuivre ses travaux.

 » Notre objectif est de réimplanter 500 oiseaux en cinq ans, soit une moyenne de cent oiseaux par an, d’où la nécessité d’organiser des migrations avec cinq à six ULM, probablement en deux groupes « . La première vague est prévue pour l’année prochaine. Ce projet qui, il y a quelques années encore, relevait aux yeux de beaucoup, du délire d’un scientifique isolé sur une île perdue des Terres Australes, est une réalité aujourd’hui.  » Il est plus facile d’apprendre aux oies naines d’aller hiverner ailleurs que d’amener les hommes à se comporter différemment « , constate Christian, sans amertume.

 » Pour financer mes projets, je suis obligé de me donner en spectacle « . Il vient de tourner un film en Afrique du sud avec 8 grues couronnées, pour la télévision allemande et cet été, il sera l’invité d’honneur du sixième festival aéronautique de Megève, où il se rendra avec huit grues cendrées, de magnifiques oiseaux voiliers.  » En même temps, j’ai amené beaucoup de chasseurs à l’ornithologie. J’en ai vu pleurer en regardant mes films et raccrocher leur fusil « . Celui qui parle à l’oreille des oies sait aussi, par la sincérité de son engagement, parler au cœur des hommes.

Gil Roy. Aviasport N°568 / Mars 2002

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Martin R.

Martin R. est le développeur et webmaster d’Aerobuzz depuis sa création en 2009. Développeur de formation, il a fait ses classes chez France Telecom. Il lui arrive d’oublier ses codes le temps de rédiger un article sur un nouveau produit multimedia ou sur un jeu.

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