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Culture Aéro

« Je savoure chaque instant jusqu’à l’extinction des moteurs. »

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Sur le Jump Seat

Par Jérôme Bonnard

Ce premier septembre 2006, je n’ai pas beaucoup dormi la veille tellement j’attendais cette journée avec impatience. Je devais me rendre à New York pour le travail, et j’avais prévenu mon oncle suffisamment longtemps à l’avance pour que ce vol coïncide avec son planning. Nous étions sur la première rotation Air France de la journée vers JFK (départ 8h30).

L’avion était parqué loin du terminal, c’est donc en navette que nous sommes arrivés entre passagers au pied du Triple 7. J’ai alors aperçu mon oncle avant de monter, la verrière latérale du cockpit était ouverte, il avait le sourire aux lèvres terminant certainement la préparation du vol. J’étais attendu et je me sentais privilégié car je savais qu’une fois à bord, on me dirigerait vers l’avant de l’appareil…

« Depuis mon baptême en Caravelle Air Inter au tout début des années 80 (j’avais 10 ans), je n’oublierai jamais mon premier jump seat à Orly en provenance de Grenoble Saint-Geoirs.« 

L’équipage de la Caravelle d’Air Inter, blousons de cuir et Rayban sur le nez, m’avait accueilli avec une extrême gentillesse et même partagé son repas avec moi… Je me remémore encore la vision de la piste à l’arrivée. J’étais hypnotisé. Depuis, faire un tour au poste est devenu une quasi-obsession à chacun de mes voyages… Je n’arrive toujours pas à décrire aujourd’hui ce que je ressens assis sur le jump seat. Et j’ai pourtant eu la chance d’en faire quelques-uns…

Comme par exemple en janvier 2000 à bord d’un vieux B727 de Congo Airlines, avec l’auto-pilote en panne, 2 heures de vol en manuel au niveau 270 entre Lubumbashi et Kinshasa, ou encore ce magnifique posé de nuit à Sanaa à bord d’un A310-300 de la Yemenia. Le Commandant s’était branché sur la fréquence de la Mecque pour écouter la prière deux heures plus tôt au-dessus de la mer Rouge avec le coucher de soleil ambiant. Mémorable !

Comment ne pas mentionner aussi la célèbre approche en bout de plage à St Martin, à bord d’un A320 de la navette Air France en revenant d’Haïti, ou encore ce magnifique vol matinal en B737-800 sur Air Algérie de Alger à Tamanrasset avec escale à Ghardaïa… Le commandant m’avait offert le privilège de couper les moteurs une fois au bloc…

Mais revenons à 2006 avec mon oncle Pierrot. Je connaissais déjà le poste du 777, et m’y installer une nouvelle fois m’envahissait de bonheur. « Jérôme désolé ce n’est pas moi que tu verras piloter aujourd’hui ! » C’est en effet le jeune OPL qui devait réaliser l’aller aux commandes. C’est très souvent le cas en rotation. L’un fait l’aller, l’autre le retour, ou l’inverse.

« A l’époque où j’étais sur B747-200, c’est Concorde qui nous doublait en passant au-dessus… » 

Je n’osais pas dire un mot, j’observais mon oncle et son OPL, mise en route, roulage, décollage 27L plein Ouest. Quelques minutes après la montée initiale, il me demande de me lever (le cockpit de ce magnifique avion est tellement large) pour aller regarder à gauche… Ce matin-là, Paris était magnifique, avec une légère brune. Nous poursuivons vers Mantes la Jolie puis les côtes et la traversée de l’Océan… Je me rappelle ce moment à mi-chemin où nous avons doublé par dessous (à environ 1.500 pieds) un B767 de TUI Airways, et cette magnifique vision de sa trainée sous fond de ciel bleu… « A l’époque où j’étais sur B747-200, c’est Concorde qui nous doublait en passant au-dessus… » me confie Pierrot.

New York approche, avec le décalage horaire, l’arrivée est matinale. Il est environ 10H du matin en locale. La radio s’emballe, il y a beaucoup de monde qui converge vers JFK… Le ciel New Yorkais, avec non loin de là les terrains de La Guardia et Newark Liberty de l’autre côté de Manhattan, est l’un des plus fréquentés au monde. « Air France 022 ce sera pour vous Parkway Canarsie pour la 13L ! ». « Canarsie Approch, 13L, Rogers ! » répond Pierrot visiblement content. Il se tourne vers l’OPL : « tu vas voir c’est facile, c’est comme au simu ! ». L’OPL mine de sourire…

« Il faut dire que Canarsie, appelée aussi officiellement Parkway Visual, est une approche à vue particulière, qui rappelle celle de l’ancien aéroport Kai Tak à Hong Kong (fermé en 1998). »

Comparé aux autres pistes (il y en a 4 à JFK), elle n’est effectuée que lorsque la visibilité et les vents favorables le permettent. Technique, le dernier virage s’effectue à basse altitude au-dessus de nombreux quartiers résidentiels et une bretelle d’autoroute « belt Parkway » quelques secondes avant le seuil de piste… 

À New York, une approche ILS standard début de 15 à 20 nautiques, en ligne droite le long de l’axe prolongé de la piste prévue. Mais selon les vents et la densité du trafic, les deux autres aéroports de la ville sont trop proches les uns des autres pour assurer une séparation sûre des aéronefs. C’est pourquoi cette procédure d’approche spéciale a été établie pour la piste 13 de JFK dans les années 1970. 

Sous le regard de mon Oncle qui gère la radio, depuis la pointe sud de Long Island, le jeune OPL applique la procédure, cap 043° établit sur le VOR « Canarsie » en provenance de Brooklyn. Jusque-là l’avion est toujours en pilotage automatique. A 1.000 pieds (300 mètres), le contrôleur nous autorise l’atterrissage.

Au niveau de la balise, l’altitude minimale doit être de 800 pieds. Au sol, des flashs lumineux servent de repère pour débuter le virage de 90 degrés pour s’aligner sur la piste située à droite. « Je prends la main ? » annonce l’OPL. « Oui tu peux », lui répond Pierrot. Le pilote automatique est désengagé, les choses sérieuses commencent pour le jeune pilote, concentré, une main sur les manettes de gaz, l’autre au manche, le regard cherche le seuil… « C’est 130 noeuds la vitesse d’approche mais on garde 135 » lui dit mon oncle…

La dernière partie de l’approche se fait alors entièrement à vue. À ce stade, si les pilotes n’ont aucun visuel de la piste, ils doivent effectuer une remise des gaz en direction nord-est vers Long Island. Dans le cas contraire, ils effectuent un virage à droite peu profond de 90 degrés tout en descendant à un angle peu prononcé jusqu’à ce que les roues touchent le sol.

Nous poursuivons le virage, je filme la séquence. Devant, juste en dessous, des feux positionnées sur le toit de l’hôtel Hilton indiquent le seuil de piste. A la sortie du virage résonnent les « Three Hundred » (soit 300 pieds, 90 mètres). Nous sommes maintenant tout juste alignés. « Garde le plan » précise Pierrot. « Two Hundred » (200 pieds, 60 mètres). « Laisse-le, laisse-le glisser… » rajoute-t-il.

« Fifty.. Forty.. Thrirty… Twenty.. Ten ! » Bang ! Le touché est brutal… Très calmement « redresse le redresse » demande mon oncle. La roue avant est maintenue en l’air, l’atterrissage mal commencé se termine en douceur… Nous roulons vers le bloc, l’OPL ne dit pas un mot, moi non plus… Il se gratte le menton, revivant certainement son approche… Il sait qu’il vient de louper son arrondi… En fait, il n’a quasiment pas arrondi me confiera mon oncle plus tard dans la soirée. Le train a souffert mais il est conçu pour…

Quant à moi, dans ma tête, je savoure chaque instant jusqu’à l’extinction des moteurs. Je viens de vivre une journée dans le plus beau bureau du monde. Et aujourd’hui en écrivant cet article, je pense à mon oncle, trop vite disparu emporté par la maladie il y a 4 ans. Son univers m’a fasciné dès mon plus jeune âge…

Jérôme Bonnard

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Sur le Jump Seat

C’est la série de l’été 2022 proposée par Aerobuzz.fr. Des lecteurs évoquent leurs souvenirs de vols dans le cockpit, assis sur le jump seat. Le jump seat, c’est ce strapontin qui se déplie entre les deux pilotes. C’est la place du testeur. C’est le meilleur point de vue sur le travail de l’équipage. En certaines occasions devenues rares, le jump seat peut-être occupé par un observateur privilégié. En d’autres temps, il était rarement vide. Nous vous encourageons à partager vos souvenirs de vol sur un jump seat. Laissez un commentaire…

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  • Autrefois, avant que les terroristes (palestiniens pour commencer)ne nous en chassent on allait à Orly, le dimanche, sur les terrasses voir les avions et parfois en demandant au chef de cabine de demander au CDB de nous permettre de visiter le cockpit on pouvait même faire un petit arrêt sur le strapontin derrière le CDB surtout si on annonçait être pilote privé.La première fois pour moi ce fut en Caravelle de nuit J'accédai au cockpit dès la mise en palier et j'y suis resté jusqu'à l'arrêt des moteurs à Londres. Eh oui on vivait beaucoup mieux à cette époque bien qu'on a gagné depuis certaines commodités dans la vie courante et en moyens aériens les "low-cost"

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