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Défense

Pourquoi un drone MQ-25 de ravitaillement en vol ?

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Frédéric Lert

Après les essais réussis du X-47B américain en 2013, on attendait un drone de combat embarqué. Eh bien non, le premier drone opérationnel sur porte-avions sera un appareil de ravitaillement en vol. Voici pourquoi…

En 2013, l’US Navy et Northrop Grumman avaient défrayé la chronique en faisant décoller puis apponter en totale autonomie le X-47B. L’appareil avait toutes les apparences du drone de combat du 21ème siècle, à commencer par des formes dictées par les exigences de la furtivité.

Rayon d’action en berne

Mais il ne s’agissait là justement que d’une apparence : le plus dur restait à faire pour transformer le X-47B en appareil de combat capable de réagir à une menace, prendre des décisions dans un environnement complexe, combattre et survivre, etc. Sans doute la marine US, les mains pleines de ses Super Hornet, ne souhaitait elle pas franchir trop tôt ce pas important. En optant pour la mission de ravitaillement en vol, elle a fait un choix plein de bon sens.

Le Skywarrior avait été conçu pour emporter une bombe atomique. Ses dimensions généreuses en firent un ravitailleur en vol précieux… © US Navy

La mission est infiniment plus facile à confier à un appareil autonome. La planification est moins complexe, les menaces s’éloignent, les interactions avec les autres appareils sont plus simples à gérer. Et surtout la mise au point d’un appareil spécifiquement conçu pour le ravitaillement en vol, le MQ-25, va enlever une sérieuse épine du pied à l’US Navy : tout en lui permettant de se faire la main avec l’emploi régulier du drone embarqué, le MQ-25 va offrir ce qui fait aujourd’hui le plus défaut aux avions du groupe aérien embarqué, de l’autonomie. La Navy annonce qu’elle pourrait acheter jusqu’à 72 appareils de ce type.

L’US Navy au plus haut

Il y a un demi siècle, le porte-avions Forrestal à propulsion classique embarquait une cinquantaine d’avions dotés d’une capacité d’emport moyenne d’un peu plus de deux tonnes, avec un rayon d’action sans ravitaillement en vol de 1200 nautiques. Vingt ans plus tard, le Nimitz à propulsion nucléaire pouvait lancer 85 avions avec une charge utile pratiquement triplée, mais avec un rayon d’action abaissé à 900 nautiques. Mais ce dernier point était facilement compensé par la présence à bord de solides avions de ravitaillement en vol : le KA-3 Skywarrior, plus de 37 tonnes au catapultage, avait la capacité de livrer plus de 13 tonnes de kérosène. Il avait ainsi le pouvoir de « tirer » douze avions jusqu’à une distance de 1800 nautiques du porte-avions. Ca tombait bien parce que le char d’assaut de la Navy, le F-4 Phantom, était alors à l’image des centurions dans Astérix : un torse puissant et des gros bras, mais de petites jambes ridicules.

Bombardier classique cette fois, le A-6 Intruder se distinguait également par sa capacité d’emport. Les KA-6 de ravitaillement en vol sont aujourd’hui bien regrettés… © US Navy

Le Phantom chargé de bombes offrait moins de 300 nautiques de rayon d’action. Avec ses avions nombreux, puissants et adossés à d’imposants ravitailleurs, l’US Navy était au plus haut de ses capacités pendant la guerre du Vietnam. Retiré du service en 1991, le Skywarrior fut remplacé par le KA-6 Intruder, également dérivé d’un bombardier. Le KA-6 pouvait quant à lui livrer 12 tonnes de carburant et tirer huit avions à 1800 nautiques. Quand le KA-6 fut retiré du service, la mission passa au S-3 Viking, avion original, versatile, dont la marine US peut se mordre les doigts aujourd’hui de l’avoir retiré du service trop tôt.

Le cas du Hornet

Et puis à la fin des années 90, tout fout le camp et la chienlit débarque sur les ponts plats ! Avec le F/A-18 Hornet et ses 4,7 tonnes de carburant en interne, le rayon d’action des avions embarqués s’effondre à moins de 400 nautiques alors même que les ravitailleurs sont retirés du service. Le Super Hornet qui prend le relais n’apporte qu’un progrès marginal : ses 6,5 tonnes de carburant lui permettent tout juste de tutoyer les 500 nautiques de rayon d’action. Devenu ravitailleur à l’insu de son plein gré, et ne pouvant livrer que 4 tonnes, il est loin d’égaler les avions spécialisés qui l’ont précédé. Le F-35 avec ses 550 nautiques de rayon d’action, ne va rien faire pour arranger la situation et l’US Navy n’est d’ailleurs pas pressée de le mettre en service.

Le Super Hornet se fait ravitailleur en vol, faute de mieux. Mais l’avion n’est pas conçu pour cette mission qui pèse en outre sur sa disponibilité, au détriment des missions de combat. © US Navy

L’avenir du porte-avions

Les porte-avions américains sont aujourd’hui pris entre le marteau et l’enclume, entre le rayon d’action insuffisant de leurs avions embarqués et la portée grandissante des défenses basées à terre. On pense notamment aux missiles balistiques chinois DF-21D qui seraient optimisés pour la lutte contre les navires de surface, avec une portée de plus de 1000 nautiques… C’est donc dans ce contexte qu’arrive le MQ-25, avec une empreinte minimale sur le porte-avions, la capacité sans doute d’orbiter loin et longtemps du navire et de livrer bien plus que quatre tonnes de carburant. Le MQ-25 ne sera sans doute que la première étape d’une révolution à venir, avec, c’est couru d’avance, l’irruption dans quelques années des drones de combat sur les porte-avions. Ceux-ci y trouveront un second souffle bien nécessaire. Car leur règne sur les mers, qui dure depuis bientôt cent ans, est déjà fortement remis en question. Cent ans, c’est synonyme d’éternité à l’échelle d’un progrès technologique qui n’a jamais fait bon ménage avec l’immobilisme des doctrines…

Frédéric Lert

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • Bonjour,
    à ce jour les capacités opérationnelles du F 35 restent à prouver.
    Ces faiblesses, son manque de disponibilité opérationnelle sont elles parfaitement avérées.
    Mettre un mono réacteur sur un porte avion est une ineptie que même la marine américaine à comprise il y a des décennies.
    Le fait de lui rallonger les pattes ne le rendra ni plus fiable, ni plus invisible.
    Qualité hypothétique de moins en moins crédible. Surtout lors de ravitaillements en vol effectués à vitesse faible , constante qui en ferrons des cibles parfaites pour tir aux moineaux.
    Il n'y a plus de place sur les mers , et encore moins le long de côtes hostiles pour des cathédrales d'acier lentes et indéfendables.

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