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LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars

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Frédéric Lert

Le Pentagone a mis fin au suspens : Northrop Grumman sera le nouveau champion des bombardiers stratégiques. Les B-52H et B-1B n’ont jamais été aussi proches d’avoir un successeur… Mais à quoi va servir le futur LRS-B ?

Le secret autour du programme LRS-B (Long Range Strategic Bomber) a été très bien gardé jusqu’à l’annonce faite hier par le Pentagone. Seul le nom des compétiteurs était connu avec certitude, tout le reste étant pure spéculation. Pour ce programme majeur, Northrop Grumman faisait face à une alliance de deux poids-lourds, Lockheed Martin et Boeing. Le tandem LM-Boeing disposait de sérieux atouts en matière de bureau d’études, de capacité industrielle et de solidité financière. Mais Northrop Grumman n’était pas manchot non plus, avec notamment un savoir faire incontesté en matière d’ailes volantes furtives.

On doit à Northrop Grumman la réalisation du bombardier B-2, mais aussi celle moins connue du drone de reconnaissance stratégique RQ-180 qui afficherait environ 24 heures d’autonomie et un très haut niveau de discrétion. Le RQ-180 viendrait tout juste d’entrer en service opérationnel, mais il reste encore entouré d’un très grand secret. Ce savoir-faire combinant furtivité, allonge stratégique et « dronisation » est bienvenue puisqu’il est aussi question du faire du LRS-B un appareil optionnellement piloté. Paradoxalement, la relative faiblesse de la base industrielle de Northrop Grumman par rapport à ses compétiteurs pouvait aussi jouer en sa faveur : en l’éliminant de la compétition, le Pentagone aurait pris le risque de tuer un de ses fournisseurs essentiels et de créer un monstre avec un tandem Lockheed Martin – Boeing qui aurait alors concentré dans son giron l’essentiel des contrats militaires.

Une chose est certaine : la décision n’a pas été prise sur un coup de tête. Depuis plus de deux ans, le Pentagone a conduit une phase d’étude poussée qui aurait déjà coûté près de 2 milliards de dollars, donnant au passage une idée très précise des propositions des deux candidats. Des sous-ensembles ont déjà été testés et des essais en soufflerie ont permis de figer les grandes options aérodynamiques.

Le choix de Northrop Grumman indique qu’il s’agira très certainement d’une aile volante subsonique, à l’image du B-2. L’USAF annonce toutefois vouloir maitriser le coût du programme en limitant les explorations de nouvelles technologies, au contraire de ce qui avait été fait sur le B-2 pour lequel rien n’était trop beau. Moyennant quoi le prix unitaire du B-2 est aujourd’hui estimé à 1,5 milliards de dollars. L’objectif est de ne pas dépasser 600 millions l’unité pour le futur appareil.

En prenant en compte le développement et les prototypes, le programme LRS-B est cité pour une valeur globale de 80 milliards de dollars maximum pour cent avions. Tenir ce chiffre sans aucune dérive signifierait que le processus d’acquisition du Pentagone est devenu vertueux et que les industriels ont fait un pas vers la philanthropie. Pourquoi pas.

La prochaine étape du programme LRS-B va porter sur la fabrication de trois ou quatre prototypes et d’une première tranche de 21 appareils de série. Une première capacité conventionnelle est attendue pour le milieu de la prochaine décennie, l’option nucléaire n’étant pas attendue avant 2030. A condition toutefois que le programme aille à son terme.

Les soubresauts du programme B-1 dans les années 70, la réduction de cible pour les B-2 (de 132 à 21) vingt ans plus tard et l’abandon du programme Next Generation Bomber en 2009 ont montré que la conception et la fabrication d’un bombardier lourd n’était jamais un long fleuve tranquille. Les concurrents malheureux de Northrop Grumman pourraient également tenter une action en justice pour essayer d’inverser le choix du Pentagone. Boeing est un bon connaisseur du procédé, puisqu’il était arrivé de la sorte à récupérer le programme des ravitailleurs de l’Air Force, initialement gagné par Airbus.

L’USAF dispose aujourd’hui de 76 B-52H, 50 B-1B et 19 B-2. L’âge moyen est de 53 ans pour les premiers, 28 pour les deuxièmes et 20 ans pour les derniers. Les B-52H auront donc 68 ans en moyenne en 2030 et il sera plus que temps de les retirer du service, tout le monde est d’accord là-dessus. On peut par contre se poser la question de l’intérêt de fabriquer en 2015 un bombardier stratégique.

Le B-52 avait été conçu à une époque où le missile balistique intercontinental n’était qu’un rêve. Le B-2 était lui taillé pour franchir les rideaux de missile soviétiques et arriver à Moscou indétecté. Mais aujourd’hui, quelle justification peut-on trouver à des appareils hors de prix ? Les utilisera-t-on pour vaporiser des pick up dans le désert ou viser Pékin ? Ou bien s’agit-il simplement pour l’USAF de perpétuer un schéma hérité du passé et d’afficher une capacité qu’elle est aujourd’hui la seule au monde à se permettre ?

Frédéric Lert

 

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Frédéric Lert

Journaliste et photographe, Frédéric Lert est spécialisé dans les questions aéronautiques et de défense. Il a signé une vingtaine de livres sous son nom ou en collaboration. Il a rejoint Aerobuzz en juin 2011. Au sein de la rédaction, Frédéric Lert est le spécialiste Défense et voilures tournantes.

View Comments

  • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
    Boeing verrait bien une aile volante envahir après 2050 (?) le ciel des avions commerciaux et ce bombardier pourrait lui servir de banc d'essai financé par les contribuables Américains. Juste une hypothèse comme ça pour voir...

  • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
    Quand on voit le délai de développement du F35, on est en droit de douter du délai de 10 ans. De plus il semblerait que les nouveaux systèmes russes ne détectent pas si mal les appareils dits furtifs, et Dieu sait où on en sera dans 10 ans dans ce domaine. Un nouvel éléphant blanc qui épuisera les budgets du Pentagone?

  • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
    On peut se demander ...
    1 à quoi ça servira dans la guerre qui se pointe aujourdhui
    2 pourquoi l'UE , plus nombreuse (500 M de citoyens ,contre 315aux US) ,et riche ( 1er PIB mondial !) ne fait rien pour coordonner ses forces , et préparer l'avenir -en tant que 1ère puissance mondiale .

    • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
      L'UE n'est qu'un groupe de pays ne parlant pas la même langue et avec des objectifs a long terme différents et quelques fois contradictoires contrairement aux USA.
      Tant que nous ne seront pas une vraie fédération menée par une vrai politique unique, il nous sera impossible de lutter contre eux.
      Quand a l'utilité de tels avions, si elle n’apparaît pas utile dans une guerre contre des groupes terroristes épars, il faut bien reconnaître que ce n'est pas le seul scénario envisageable dans l'avenir. Un programme prévu pour durer 40 ou 60 ans doit envisager des conflits plus étendus et des façons de frapper plus souples et plus précises que des missiles tirés depuis des navires de surface ou sous-marins.
      Si la France avait su garder de vrais bombardiers, le problème Syrien n'en serait pas un, un lâcher de bombes sur le palais et le "problème" Bachar El Assad disparaît.

    • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
      Car l'UE reçoit ses directives de Washington depuis des années. Nos programmes individuels sont capables de rivaliser avec les appareils de l'USAF. Une réunion des compétences et des budget entre les pays européens feraient de nous la nouvelle superpuissance militaire aérienne. Ce n'est pas le but recherché par les états-unis.

      Ce n'est que mon avis, mais au niveau militaire, l'UE est un fiasco total.

  • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
    C'est encore et toujours le CMI le gagnant d'une loterie truquée, celle des mega-buck companies, là où tant les ressources "hard" et "soft" sont hors de prix, rendant les rendements extrêmement rondelets en même temps que les émoluments à tous les niveaux ( en commençant par le haut, bien sûr ) pour un ensemble réduit de personnes.
    Des privilégiés aux dépens du prolétariat !?!?!

    Quand donc le jour où on dépensera autant en faveur d'une paix durable pour un monde d'authentique Justice ? JJJJJJJamais !

    Pendant tout ce temps ( autrement dit depuis toujours ), la biosphère entière écoppe, saigne, s'affaiblit et se meurt, par empoissonnement.

    À vivre par l'épée, l'humanité finira bien par disparaître prématurément.

    • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
      Voilà une analyse raisonnée que l'on ne peut que partager.

    • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
      L'argent est le nerf de la guerre. Qu'il puisse être aussi celui de la paix universelle me paraît être, hélas, une illusion.

  • LRS-B : L’US Air Force s’offre un bombardier à 80 milliards de dollars
    Ce type de programme a surtout un but dissuasif, c'est en quelque sorte un instrument politique.
    Dans le passe Richard Nixon s'etait servi de la menace des B52 a la fin de la guerre du Vietnam pour obliger les chinois a venir negocier un accord de cessez le feu dans les negociations interminables qui se deroulaient a Paris.
    Il faut dire qu'ils gardaient un assez mauvais souvenir de l'operation Linebaker ou 700 B52 avaient mis le pays a feu et a sang.

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